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Pourquoi la décision de l’Islande d’interdire le porno en ligne est vaine
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L'effet Streisand

L’Islande envisage d’interdire la pornographie sur Internet afin d’éviter les effets néfastes sur les enfants et les femmes. Des groupes de travail chargés de trouver les méthodes appropriées pour en finir avec le "X" auraient déjà pris forme.

Jérémie  Zimmermann

Jérémie Zimmermann

Jérémie Zimmermann est le co-fondateur de l'organisation de défense des droits et libertés des citoyens sur Internet La Quadrature du Net.

 

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Atlantico : L'Islande se prépare à interdire l'accès à la pornographie (extrême) sur Internet pour assurer la protection des enfants. D'un point de vue technique, est-ce possible de bloquer l'accès de contenus à la totalité d'un pays ? 

Jérémie ZimmermannCe n’est techniquement pas possible. On peut tenter de bloquer l’accès à certains sites. Il y a trois types de dispositifs de censure des contenus sur Internet : celle par nom de domaine, celle par adresse IP et par le proxy filtrant. On peut aussi envisager une combinaison des trois dans une technologie de filtrage hybride (utilisée en autre en Chine). Mais cette censure est toujours contournable : on peut changer l’adresse de son serveur DNS pour éviter la censure par nom de domaine, ou utiliser un proxy ou un VPN pour échapper au proxy filtrant.

N'est-ce pas là une mesure plus symbolique qu'efficace ? N'est-il pas vain de vouloir fermer des sites, alors que des dizaines d'autres peuvent se recréer dans la minute ?

Si c’est une mesure symbolique, c’est un symbole assez proche de ceux des régimes autoritaires, celui du « le gouvernement sait mieux que vous ce qui est bon pour vous». Je ne suis pas sûr que l’Islande ait à gagner à envoyer un tel message. Les réactions internationales à cette annonce, alors que le processus législatif n’a même pas été amorcé, ont été importantes : l’image de l’Islande est écorchée.

Cela va encourager les personnes à s’équiper en technologie de chiffrement et de contournement, ce qui va rendre plus compliqué le travail des enquêteurs lors de la lutte sur les dérives d’internet, notamment contre la pédopornographie par exemple. Le gouvernement va diffuser des listes de pornographie chez les opérateurs afin d’opérer la censure, ces listes vont donc se retrouver dans la nature. Et puis cela pose aussi le problème de déterminer ce qui relève de la pornographie extrême et ce qui n’en relève pas. Qui est habilité à décider de ce qui relève de la pornographie extrême et de ce qui ne l’est pas ?

Cette mesure est hypocrite, bloquer l’accès aux contenus sur Internet revient à mettre la main devant les yeux de celui qui regarde et dire «le problème est réglé». En réalité, le contenu reste sur les serveurs. C’est totalement hypocrite. De toute façon, laisser les enfants se servir d’internet avant un certain âge sans filtrage parental est totalement inconscient. Cette responsabilité doit être celle des parents.

Pour les ados et les adultes qui veulent accéder à des sites pornos, cela va créer en plus un marché du contournement de la loi, qui échappera à la fiscalité islandaise.

Entre-t-on dans une nouvelle ère de prohibition ? 

Cela dépend bien évidemment des pays, mais une chose est sûre c’est que la censure d’internet progresse indéniablement. Les deux derniers rapports de Reporters Sans Frontières sont éloquents à ce sujet. Il y a deux ans, c’est l’Australie, premier pays occidental à entrer dans la liste. L’an dernier, c’est la France (avec notamment Hadopi) qui y est entré à son tour.C’est quelque chose qui progresse, et pas seulement à des milliers de kilomètres de chez nous dans des régimes autoritaires. La censure est la réponse apportée par des gouvernements incapables de répondre autrement aux problèmes sociaux. Avec ces technologies de censure, on ne respecte plus le principe de proportionnalité, d’efficacité et la défense la plus élémentaire de la liberté d’information, de communication, et d’expression.

La volonté de protéger les enfants de la pornographie est légitime. Néanmoins, interdire ce contenu ne reviendrait-il pas à le faire mourir, quand on sait que le marché du porno sur internet représente l'immense majorité de la consommation globale de pornographie ?

Une solution politique adoptée dans un seul pays ne conduira qu’à le séparer de l’internet global. Internet est un espace universel dans lequel tout le monde a accès à tous les contenus et tout le monde peut publier tous les contenus. A partir du moment où pour une raison politique on va porter atteinte à cette universalité, on aurait simplement une séparation de l’espace internet : les islandais auraient accès à Isternet et non plus à Internet, comme les chinois ont accès à Chinternet.

Faire disparaître la pornographie est à peu près aussi absurde que de vouloir faire disparaître le jeu, l’alcool, la drogue. La pornographie fait partie de la nature humaine, Internet est le reflet de la nature humaine. Ce n’est pas en imposant des mesures de censure, en utilisant la technologie comme un outil de contrôle qu’on pourra faire changer la société. Tout au plus, elle repousse le problème dans la clandestinité, avec tout les risques que cela engendre.

Cette mesure pourrait même renforcer les contenus que l’on espère faire disparaître  ce qu’on appelle «l’effet Streisand» ( elle avait obtenu par la justice la censure d’une photo qu’elle ne voulait pas diffuser, en réaction, la photo s’est retrouvée à des millions d’exemplaires sur Internet). Quand on essaye de les faire disparaître en réalité on les renforce. Regarder du porno pourrait devenir un acte de désobéissance civile en Islande. Cette interdiction pourrait être une mesure totalement contre-productive.

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