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100 millions d'euros dépensés... mais la guerre au Mali a-t-elle vraiment commencé ?
©Reuters

Afrique

La France s'est récemment félicité de n'avoir dépensé que 100 millions d'euros dans l'intervention au Mali. La partie est pourtant loin d'être terminée alors qu'une autre phase du conflit, portée davantage sur la guérilla, est en train de s'amorcer.

Antonin Tisseron

Antonin Tisseron

Antonin Tisseron est chercheur associé à l’Institut Thomas More. Il est Consultant auprès de l’Office des Nations Unies  contre la Drogue et le Crime (ONUDC)  bureau pour l’Afrique de l’Ouest et centrale (ROSEN).

Il est spécialisé dans l'étude des doctrines militaires, des questions de sécurité en Afrique et des enjeux de défense européenne. Il travaille principalement sur le Maghreb et le Sahel.

 

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Atlantico : Jusqu'où peut aller la "guerre asymétrique" qui semble fonder la nouvelle stratégie des djihadistes ? Est-on en train d'entrer dans la phase véritablement déterminante du conflit malien ? 

Antonin Tisseron : Cette idée de nouveauté à propos de la stratégie de guérilla doit être relativisée. Elle évoque les actions d’Al Qaïda au Maghreb islamique, en Algérie notamment, ou les opérations de harcèlement sur d’autres théâtres, et était très probablement envisagée et préparée (avec la constitution de caches d’armes) avant le déclenchement de l’opération Serval. Concernant les limites, il n’y en a pas en soi, si ce n’est relatives aux capacités humaines et matérielles des groupes armés, au Mali mais aussi dans les autres pays de la région à commencer par ceux qui sont engagés dans la MISMA ou à ses côtés. Les ressortissants et intérêts français sont d’ailleurs loin d’être les seuls cibles des djihadistes ou des groupes affiliés. Il faut s’attendre à un niveau diffus d’insécurité dans l’ensemble de la région dans les semaines voire mois à venir, avec des pics plus ou moins réguliers et deux épicentres : dans le nord du Mali et le nord du Nigéria comme l’a rappelé la prise en otage de sept français la semaine dernière. De ce point de vue, on est bien entré dans une nouvelle phase du conflit, qui sera longue et se règlera à la fois à travers des opérations militaires et une reconstruction politique. Mais la phase déterminante du conflit malien aujourd’hui se déroule dans le massif des Ifoghas, et non dans la Boucle du Niger.

Les pays de la CEDEAO ont demandé à ce que l'aide financière de la communauté internationale soit doublée pour atteindre 950 millions de dollars. Cette ré-évaluation révèle t-elle une prise de conscience quant à la difficulté de la tâche qui attend les pays africains ?

Oui, très clairement. Cette demande d’augmentation de l’aide internationale traduit à la fois une prise de conscience devant des opérations qui s’annoncent longues et exigeantes en termes d’effectifs, mais aussi une forme d’inquiétude et une cruelle réalité économique. Les États membres de la Cédéao sont dépendants de l’aide internationale pour une opération financée par des bailleurs étrangers. Toute augmentation des effectifs ou tout dépassement de la durée initialement prévue implique donc une augmentation des financements. Par contre, reste à voir quelle va être la réaction de la communauté internationale au regard des arguments qui seront avancés par la Cédéao pour justifier de cette importante rallonge budgétaire.

La Misma a par ailleurs déployé plus de 6000 hommes contre les 3300 annoncés initialement. Aura t-elle les possibilités de maintenir une force d'occupation sur place pendant plusieurs mois ?

C’est une bonne question car réunir ces 6 000 hommes a constitué un véritable défi. Fin 2012, seuls deux pays de la Cédéao avaient un bataillon disponible : le Niger, qui a bénéficié d’efforts de coopération de la part de la France depuis deux ans, et le Togo, qui se préparait à prendre une relève dans la mission de l’ONU en Côte d’Ivoire. De plus, plusieurs pays de la région font face à des situations politiques internes fragiles, comme la Côte d’Ivoire ou même le Nigeria, dont les troupes mènent des opérations contre les groupes armés du Delta du Niger et les islamistes de Boko Haram, liés à Al Qaïda au Maghreb islamique. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour laquelle la contribution des 2 000 hommes de l’armée tchadienne est jugée si indispensable par Paris. Mais quoi qu’il en soit, pour la Cédéao, la Misma est une opportunité pour améliorer dans les années à venir la contribution de l’organisation à la sécurité africaine. C’est une opération exigeante mais potentiellement riche d’enseignements.

L'objectif de départ du gros des forces françaises en mars reste t-il tenable dans cette situation ?

Les discours sur un départ au mois de mars ont toujours fait question. Après, je pense qu’il faut les prendre avec des nuances. C’est un objectif de l’exécutif français qui, de toute façon, est contraint par le déploiement des forces africaines et les opérations en cours. En fait, la vraie interrogation concerne le rythme de la diminution du dispositif français et le nombre d’hommes qui seront amenés à rester au Mali aux côtés de la Misma et des forces tchadiennes. Il n’est même pas certain que l’état-major le sache réellement à Paris. Des hypothèses et des scénarios existent, mais qui sont pour l’instant conditionnés par l’issue des affrontements en cours dans le massif des Ifoghas et aux opérations de sécurisation dans la Boucle du Niger. En tout état de cause, la France n’est pas disposée aujourd’hui à partir si la situation sécuritaire et politique ne garantit pas un retour à la paix du Mali.

Plusieurs officiers de l'armée malienne affirment que les groupes islamistes disposent de "la capacité de destruction d'une armée". Un tel constat est-il fondé ?

C’est difficile à dire à partir des informations rendues publiques. Il est pas contre certain que les groupes armés de la région ont récupéré de nombreuses armes des stocks libyens, avec pour effet de bouleverser les rapports de forces régionaux comme l’a montré l’offensive victorieuse du MNLA début 2012, puis des stocks des unités maliennes présentes dans le nord du Mali. Ceci étant, la « capacité de destruction » avancée par les officiers maliens auxquels vous faites référence doit être relativisée à l’aune de l’efficacité très relative de l’armée malienne mais aussi de ses équipements. Elle n’a rien à voir avec celle d’une armée occidentale.

propos recueillis par Théophile Sourdille

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