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Voilà comment la Chine profite de la crise pour acheter à bas prix nos connaissances technologiques
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Naïveté

Affaiblies par la crise, les entreprises européennes et américaines sont de plus en plus souvent contraintes de vendre leurs technologies à leurs concurrents chinois pour renflouer leurs liquidités. Décryptage d'une inquiétante stratégie court-termiste.

Ali Laidi

Ali Laidi

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Ali Laidi est chercheur à l'IRIS, docteur en science politique (relations internationales) de l'université Paris 2 et diplômé de l'Ecole de journalisme de Paris. 

Il est notamment l'auteur de "Aux sources de la guerre économique" (Armand Collin) paru en décembre 2012. 

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Atlantico : Depuis une dizaine d’années les délégations chinoises dépêchées par Pékin se rendent fréquemment dans les entreprises européennes et américaines . Que viennent y chercher ces représentants ?

Ali Laidi : La réponse est simple : il s'agit pour les Chinois d'acquérir les paliers technologiques permettant à leurs entreprises de pouvoir fabriquer des produits de haute technologie capables d'égaler la qualité de ceux qui sont produits en Occident. Les Japonais ont fait exactement la même chose entre 1945 et 1980 et il ne faut pas s'étonner de voir les Chinois faire pareil aujourd'hui. Il s'agit aussi pour eux de s'assurer du fait que leurs achats sont de bonne qualité et correspondent aux stratégies commerciales qui leurs sont propres. Toute la question est ici de savoir jusqu'à quel point nous souhaitons laisser les délégations étrangères visiter nos usines ainsi que nos unités de R&D (Recherche et Développement, NDLR)

Peut-on dire que la crise représente une réelle opportunité pour la Chine sur le plan technologique ?

Effectivement. On peut affirmer de manière générale que la crise représente une opportunité pour tous ceux qui disposent de liquidités, ce qui est bien le cas de l'Empire du Milieu. Depuis 2007, bon nombre de sociétés ont vu leurs valeurs actionnariales chuter et connaissent des difficultés croissantes pour emprunter sur les marchés. Pour la Chine, c'est aussi le cas pour les fonds souverains des pays du Golfe, cette fragilité est donc une aubaine dans le sens où les entreprises sont prêtes à céder plus facilement leurs savoirs en échange d'un répit financier. Cela représente un intérêt à court-terme pour ces sociétés mais pose véritable problème à court ou moyen terme en termes de compétitivité : lorsqu'une société de haute-technologie est vendue cela concerne non seulement les moyens de production, mais aussi le pôle de R&D et le patrimoine "immatériel" de l'entreprise (brevets, process...). Le profit généré immédiatement devient ainsi un handicap pour l'avenir dans le sens où l'on crée le concurrent de demain. Par ailleurs, fait généralement moins connu, la stratégie inverse (recommandée par des organismes internationaux comme l'OCDE) qui consiste à vendre ses systèmes de production tout en conservant sa capacité de R&D (Recherche et Développement) peut aussi être commercialement coûteuse. Une recherche efficace ne peut pas ainsi être pensée indépendamment d'une chaîne de production, puisque cela enlève, entre autres, la possibilité de tester directement les produits qui sont conçus en laboratoire.  Autrement dit, une réflexion intelligente sur le transfert des technologies doit se faire dans les deux sens, puisqu'au delà de la question du transfert de connaissances, les délocalisations de productions sont elles aussi pénalisantes pour les entreprises innovantes. 

Quels sont les secteurs technologiques qui intéressent aujourd'hui les officiels chinois ?

Le domaine de recherche qui suscite aujourd'hui d'énormes rivalités est la captation du carbone, de par les enjeux qui y sont liés. La Chine souffre, comme chacun sait, de conséquents problèmes de pollution et l'entreprise qui saura mettre la première la main sur cette technologie pourra dégager des bénéfices absolument colossaux. Il y a aussi les secteurs "classiques" (électronique, bionique)  ainsi que les technologies militaires qui attirent depuis longtemps l'attention de Pékin. 

Des pièces de TGV Made In China s'exportent déjà en direction de l'Europe. A ce rythme l'industrie technologique chinoise ne va t-elle pas bientôt devenir indépendante ? 

C'est très clair. Beaucoup pensaient il y a encore dix ans que la Chine serait vouée a rester un atelier géant fabriquant à bas-coût des produits textiles pour les pays développés. On se rend bien compte aujourd'hui que ce n'était pas la bonne analyse et l'Empire du Milieu compte bien acquérir son autarcie technologique d'ici quelques années. Vous évoquez le TGV, secteur dans lequel les Chinois ont beaucoup progressé grâce aux transferts de technologiques, mais cette concurrence se fait désormais sur plusieurs marchés, dont l'aéronautique, et il ne faudra pas s'étonner de voir bientôt, par exemple, des avions (militaires comme civils) faire concurrence aux bijoux technologiques occidentaux. La Chine ne veut laisser aucun secteur économique en friche et souhaite par ailleurs contrôler l'ensemble de ses chaînes de production, de l'usine au pôle R&D. On peut ajouter que ce pays est déjà le deuxième producteur de brevets au monde, juste derrière les Etats-Unis. En conséquence il n'y a aucune raison de penser que Pékin ne pourra pas afficher d'ici peu, au moins sur certains secteurs, une véritable indépendance technologique.

Propos recueillis par Théophile Sourdille

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