Ecole, vacances et rythmes scolaires : ce que la neurologie et les sciences comportementales nous disent sur la meilleure manière d'apprendre pour les enfants<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
France
"L’apprentissage et le choix de ce que l’on enseigne n’est pas une question de temps mais une question de rythmique" explique François Pinabel
"L’apprentissage et le choix de ce que l’on enseigne n’est pas une question de temps mais une question de rythmique" explique François Pinabel
©Reuters

La pédagogie expliquée aux nuls

Au-delà du débat idéologique, la refondation de l'école de Vincent Peillon implique de se poser la véritable question de la capacité d'apprentissage des enfants trop peu souvent évoquée par la classe politique.

François Pinabel et Monique de Kermadec

François Pinabel et Monique de Kermadec

François Pinabel est pédo-psychiatre à l'Hôpital Necker-Enfants Malades et consultant au service Psychopathologie de l'enfant et de l'adolescent à la Pitié Salpêtrière. 

Monique de Kermadec est psychologue clinicienne et psychanalyste spécialiste de l'apprentissage, de la précocité et du succès chez l'enfant. Elle est notamment l'auteur de Pour que mon enfant réussisse aux éditions Albin Michel.

Voir la bio »

Le débat sur la refondation de l’école fait rage et dans les deux camps fusent les affirmations sur les nécessités de telle quantité d’heures ou telle méthode d’enseignement. Les capacités d’apprentissage d’un enfant sont-elles neurologiquement limitées ? Existe-t-il une sorte de palier temporel ou quantitatif au-delà duquel un cerveau n’absorbe plus ?

François Pinabel : Plutôt que de paliers d’acquisition, il faudrait parler d’étapes d’acquisition car le processus de développement de l’enfant ne fonctionne pas comme une grande masse de connaissances et de concepts qu’il faudrait assimiler ensemble mais plutôt d’un système de franchissement d’étapes sans lesquelles il n’est pas possible de passer à la suite. Ces différentes notions découlent les unes des autres, la première de ces étapes étant le développement psychomoteur. Vient ensuite l’intellectuel pur c’est à dire la cognition, les compétences sociales, le psychoaffectif et enfin le langage d’abord oral puis écrit. Ces dimensions multiples du développement cérébral évoluent de manière parallèle et sont interdépendantes mais pas au même rythme. L’apprentissage n’est donc pas fonction de quantité mais de rythmes au fil desquels le cerveau peut assimiler certaines choses. Cela correspond à peu près aux grandes étapes de la scolarité. Avant un certain âge, les enfants ne peuvent pas intégrer certaines notions à cause de l'absence de prérequis. Apprendre le français implique d'être en mesure d’associer certains éléments logiques comme la différenciation des éléments d'un groupe social par exemple. Il est donc essentiel de ne pas rater certaines étapes comme la grande section de maternelle car sans celles-ci il est impossible de continuer.

Enfin, plutôt que de penser en nombre d’heures ou en quantité de connaissances intégrable sur une période donner, il faut se baser sur une autre série de rythme qui ceux-là sont totalement physiologiques. Le plus évident de ces rythmes est l’équilibre jour/nuit qui, s’il est mal respecté, peut lourdement altérer la faculté d’apprentissage. Nous sommes également sensibles à la saisonnalité ou au poids du travail de notre estomac après un repas. Apprendre veut dire être capable de mobiliser ses capacités cognitives et son attention pour assimiler de nouvelles connaissances. Or nous savons par exemple qu’il existe deux pics d’attention dans l’architecture cognitive d’un enfant, en milieu de matinée et en milieu d’après midi. L’apprentissage et le choix de ce que l’on enseigne n’est pas une question de temps mais une question de rythmique. C’est comme une chanson, l’important n’est pas forcément sa durée.

Dans quelle mesure l’influence extérieure a-t-elle un impact sur le développement du cerveau et l’apprentissage ?

François Pinabel : Le bon sens nous conditionne à penser que l’influence extérieure a forcément une très grande influence sur la capacité à apprendre. Si l’on en revient aux rythmes biologiques qui permettent l’attention et donc l’apprentissage, il est bien évident qu’un enfant dont le sommeil est mal encadré par les parents sera forcément moins apte à apprendre qu’un autre. De la même manière que la biologie impose son rythme, elle se plie également en partie à ce qu’on lui impose. Ainsi, il semblerait qu’une semaine de quatre ou cinq jours est préférable pour l’apprentissage à une semaine de deux fois deux jours. De la même manière que l’obésité, la question de la réussite scolaire et donc de la capacité à apprendre est une problématique très sociale. Certains spécialistes avaient l’habitude de dire que l’obésité est une maladie de pauvre, or on retrouve des liens très clairs entre l’obésité et l’échec scolaire. Et l’obésité est également la conséquence du dérèglement d’un rythme biologique.

La capacité d’intégration des informations est-elle fonction de la forme de ces informations et leur contenu ?

Monique de Kermadec : L’intégration de l’information est fonction de plusieurs éléments, sa forme et son contenu doivent donc être différents en fonction de l’âge et de l’objectif de l’enseignement. Pour les très jeunes enfants, il est préférable, comme c’est le cas à la maternelle, d’utiliser des supports concrets afin de créer des structures claires dans leurs esprits. Plus tard, ce sont les concepts plus abstraits qui sont privilégiés. Même si cela est cohérent sur le fond, notre système est basé sur le fait qu’on nous dicte une règle et que nous apprenons ensuite à l’appliquer. Il existe pourtant tout un courant de pensée, qui dérive essentiellement des méthodes Montessori qui consiste à laisser l’enfant comprendre la règle par l’observation et l’expérience. Il n’est évidemment pas question de demander aux enfants de réinventer un théorème, mais dans certains cas la réflexion qui mène à la compréhension d’un concept l’ancre plus profondément dans la mémoire que sa simple présentation comme fait établi.

La question de la forme de l’information et de son contenu sont donc liées dans le sens où la forme doit correspondre au contenu et à la destination de celui-ci. Tout en laissant la place à l’apprentissage classique d’un certain nombre de connaissance, l’école devrait s’ouvrir à la création de nouveaux modes de pensée. La connaissance ne s’acquiert pas uniquement par la mémorisation, elle se créé aussi par la pratique, l’observation et l’erreur et cela quel que soit notre âge. La réalité de notre monde est que nous sommes sans cesse confrontés à des supports d’information complexes et nouveaux, l’école devrait donc être le premier lieu qui nous enseigne comment s’y adapter. Enfin, on sous-estime souvent l’intérêt de l’influence extérieure dans la réussite scolaire. Le simple fait d’être en contact avec un métier qui intéresse l’enfant peut devenir une véritable source de motivation scolaire que l’école elle-même a du mal à être pour tous les enfants.

Les méthodes d’enseignement utilisées concordent-elles avec ce que la science nous apprend des capacités d’apprentissage des enfants ?

François Pinabel : Il est clair que si toutes les écoles enseignent le même programme scolaire, celui-ci n’est pas délivré de la même façon partout. Cependant, je crois que globalement cela respecte assez bien les rythmes biologiques des enfants dans les écoles maternelles et primaires. Le matin, après une latence qui leur permet de se mettre en jambes, on demande aux enfants de mobiliser leur attention pour les matières de fond comme les mathématiques et le français. C’est en général aussi le moment auquel on leur propose de fournir une réelle production. Les après-midi sont le plus souvent consacrés aux arts plastiques ou à la découverte du monde, des cultures et autres qui aboutissent souvent sur un exercice un peu plus complexe. Dans l’ensemble cela correspond assez bien à la capacité d’attention des enfants en primaire.

C’est au collègue puis au lycée que la situation devient plus paradoxale. On sait par exemple que les adolescents sont biologiquement décalés dans leur rythme de sommeil et se couchent naturellement plus tard. Il est donc peu cohérent de leur demander de commencer les cours très tôt car ils perdent naturellement en attention. Cela est d’ailleurs accentué par notre système de matières séparées dans lequel le panache qui existe à l’école n’est plus possible. On organise indifféremment les matières dans la journée sans se préoccuper des possibilités d’attention des élèves. Il n’est pas rare que des collégiens ou des lycées suivent plus de sept heures de cours par jour plus les heures de travail personnel exigé par la suite. Nous sommes là face à une incohérence réelle qui n’est absolument pas optimale pour l’apprentissage. Cette réflexion nous amène logiquement à évoquer les systèmes anglais ou allemands dans lesquels les collégiens finissent à treize heures après quoi ils vont faire du sport. Cependant, il n’y a pas de secret car il me semble que les jeunes allemands finissent fin juillet afin de couvrir leurs programmes.

Monique de Kermadec :La science actuelle nous montre effectivement qu’il existe un immense nombre de possibilités non exploitée puisque nous savons désormais que dès notre petite enfance notre mémoire est très fonctionnelle. De nombreuses publications scientifiques ont défendu l’idée que les grands apprentissages se font avant l’âge de six ans, c’est-à-dire avant la grande école. Si cela peut paraitre un peu caricatural, il est clair qu’une grande partie des fondamentaux de notre capacité à apprendre ne sont pas nécessairement le fait de l’école mais bien souvent d’une influence extérieure avant que nous y entrions.

Une baisse du nombre d’heures est-elle compensable par une méthode d’apprentissage différente ?

Monique de Kermadec : Il est très difficile de raisonner sur la pertinence de l’enseignement en tablant sur un nombre d’heures car tout repose essentiellement sur l’exploitation de ces heures. La véritable question est donc de savoir ce que nous attendons de cet enseignement par rapport à ce qu’est notre monde. La « connaissance » est aujourd’hui à la portée de tous via internet et bien souvent le véritable défi intellectuel de notre société consiste à trier l’information et à tirer des conclusions des informations à notre disposition dans un monde inondé d’informations. Le nombre d’heures relève donc essentiellement d’un débat politique et organisationnel mais le fond de la refondation de l’école passe surtout par la définition claire de ses objectifs. Il faut décider clairement si nous apprenons à nos enfants une somme de connaissances, comme c’était traditionnellement le cas, ou si nous décidons de leur apprendre à trier l’information à leur disposition, à l’identifier, l’authentifier et la traiter. Cela dit, ces deux choses ne sont pas incompatibles et relèvent même d’une sorte de de complémentarité.

Dans quelle mesure la latence entre deux périodes d’apprentissage est-elle problématique ? Ce qui est acquis l’est-il définitivement ou existe-t-il une dégénérescence de la connaissance ?

Monique de Kermadec : Il est tout à fait clair que si on reste longtemps sans être en contact avec de nouvelles acquisitions, un pourcentage de nos connaissances finit par se désagréger et cela en particulier pour les enfants en difficulté n’ayant intégré certaines informations que de manière superficielle. Cette perte est cependant impossible à chiffrer car elle relève d’un nombre extrêmement élevé de facteurs qui sont aussi bien propres à l’enfant, qu’à l’enseignant, la méthode ou les parents. Dans l’état actuel des choses, il est donc essentiel de mettre l’accent sur les devoirs de vacances bien que cela ne soit souvent le fait que des parents déjà très informés et qui investissent beaucoup sur les études futures de leurs enfants. Ce sont les enfants qui sont élevés dans les familles les moins capables de les soutenir qui sont les plus grandes victimes d’une période de latence trop longue. Pour ces familles-là, il serait bon qu’il y a un relai dans la stimulation intellectuelle des enfants mais cela devient alors une question politique et plus uniquement des méthodes éducatives. 

Propos recueillis par Jean-Baptiste Bonaventure

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !