Négociations avec l'Iran : pourquoi il ne se passera rien avant la présidentielle de juin<!-- --> | Atlantico.fr
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L'ayatollah Ali Khamenei.
L'ayatollah Ali Khamenei.
©Reuters

Temps mort

Alors que les médias ne cessent de commenter la problématique soulevée par le nucléaire iranien, on semble ignorer les luttes internes entre pouvoir religieux et pouvoir politique à Téhéran alors que cette question est centrale pour expliquer la politique étrangère du pays. Atlantico a demandé son avis à Thierry Coville, chercheur à l'IRIS.

Thierry Coville

Thierry Coville

Thierry Coville est chercheur à l’IRIS, spécialiste de l’Iran. Il est professeur à Novancia où il enseigne la macroéconomie, l’économie internationale et le risque-pays.
 
Docteur en sciences économiques, il effectue depuis près de 20 ans des recherches sur l’Iran contemporain et a publié de nombreux articles et plusieurs ouvrages sur ce sujet.
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Atlantico : Alors que les médias ne cessent de commenter la problématique soulevée par le nucléaire iranien, on semble ignorer les luttes internes entre pouvoir religieux et pouvoir politique à Téhéran. Cette question n'est-elle pourtant pas centrale dans la politique étrangère du pays ? Pourquoi ?

Thierry Coville : Je pense que trop souvent les médias, notamment occidentaux, présentent l'Iran de la manière dont cela les arrange. Mahmoud Ahmadinejad est en position de faiblesse depuis au moins deux ans au sein du pouvoir iranien. Pourtant, trop souvent, on a présenté l'Iran comme uniquement dirigé par ce dernier. Il était plus simple et plus parlant de présenter d’un Iran "nucléaire" et dangereux car dirigé par Ahmadinejad.

En fait, depuis la révolution islamique, il y a des luttes internes féroces entre les différents courants internes, à tel point que l'Ayatollah Khomeini pensait que ces tensions menaçaient l'existence du régime. Pourtant, en dépit de ces luttes, la République islamique n'a pas disparu. Je pense que l'explication tient au nationalisme qui est un des ressorts du régime. Il existe aussi des dimensions culturelles. La critique en interne est possible si l'on fait partie du régime. Par ailleurs, le mode de prise de décision en Iran est collectif mais résulte de discussions très dures où chacun dépend fermement son point de vue. Enfin, le guide a le dernier mot sur les grandes questions mais il doit aussi tenir compte de l'équilibre des forces en présence.

Cette question des tensions internes est importante car chaque courant a une "version" différente du type de politique étrangère. Ainsi, la montée en puissance de Hashemi Rafsandjani à la fin des années 1980 a permis à l'Iran d'infléchir sa politique étrangère en reprenant ses relations avec les pays européens. Cependant, les grandes questions en matière de politique étrangère sont généralement tranchées par le Guide, Ali Khameini. Donc, il est difficile à un courant de mener une politique avec laquelle le Guide n'est pas d'accord. Ainsi, on sait que Khameini s'est opposé à une reprise des relations avec les Etats-Unis à la fin des années 1990 quand Khatami était président. Par contre, il est clair que si un courant commence à dominer de nombreux rouages dans les institutions, Khameini devra aussi en tenir compte dans ses décisions en matière de politique étrangère. Tout en Iran se décide après un savant dosage mêlant consensus et rapports de force.


Les tensions entre Khamenei et Ahmadinejad sont-elles nouvelles ? Quelles sont leurs origines ?

Depuis l'élection de Mahmoud Ahmadinejad en 2005, un certain nombre de religieux ont soupçonné ce dernier de vouloir les écarter du pouvoir. Mahmoud Ahmadinejad a d'ailleurs montré plusieurs fois qu'il était surtout un populiste plutôt opposé au clergé, par exemple, en se prononçant pour l'accès des femmes au stade pour regarder les matchs de football, ce qui est inacceptable pour les défenseurs de la morale islamique. Les attaques d'Ahmadinejad contre la corruption visaient aussi tous les dignitaires, religieux inclus. Puis, progressivement, au fur et à mesure que les tensions montaient entre Ahmadinejad et le parlement, plutôt proche du Guide, ce dernier a commencé à s'opposer au président. Le Guide a sans doute commencé à percevoir que le clan du président voulait vraiment se débarrasser des religieux. Khameini considère notamment que Esfandiar Rahim Mashai, le bras droit du président, a des ambitions présidentielles et a un véritable agenda pour affaiblir considérablement le rôle politique du clergé chiite. Le guide et ses partisans veulent donc écarter Mashai des présidentielles de juillet 2013. Khameini a aussi jugé que Ahmadinejad avait créé trop de tensions en interne. Enfin, s'attaquer au président, permettait d'en faire le bouc émissaire des difficultés économiques actuelles en Iran.


Quelle faction est la plus avantagée à l'heure actuelle ?

Le fait que Ahmadinejad ait été écarté de la gestion du dossier du nucléaire (géré maintenant directement par le Guide) depuis quelques mois, les attaques répétées du Parlement contre le président et sa politique économique "calamiteuse" montrent un avantage relatif pour les conservateurs soutenant Khameini. En matière de popularité, c'est une autre histoire. Les dernières élections législatives ont montré une montée en puissance des conservateurs "indépendants" qui n'étaient pas liés directement à un courant. Par ailleurs, des sondages montraient récemment qu’une candidature "réformatrice" avait le meilleur score. En fait, la population, compte tenu de la crise économique actuelle, est indifférente et même fatiguée de ces luttes de pouvoir. Cette indifférence populaire face à ces luttes internes est d'ailleurs un souci pour le régime qui cherche un candidat pour les prochaines présidentielles qui pourrait "calmer" les tensions politiques intérieures.


Les puissances occidentales peuvent-elles concrètement exploiter ces divisions ?

Non, il est déjà difficile pour les Iraniens eux-mêmes de comprendre quoi que ce soit à ce qui se passe en interne. Alors, prétendre que d'occident, on va jouer telle faction contre une autre me paraît insensé.

Par ailleurs, il n'existe pas des "gentils" qui vont accepter toutes les demandes des occidentaux. Par contre, la meilleure manière pour les puissances occidentales d'obtenir des résultats dans les dossiers importants (nucléaire, Afghanistan, Syrie, etc.) est d'arrêter la politique d'isolement et de sanctions contre l'Iran. Elle ne mène à rien  (comme le prouve la poursuite du programme nucléaire iranien).

L'Iran est un pays avec lequel il faut parler parce qu'il est incontournable dans la région et parce que pour des raisons culturelles et historiques, c'est un pays qui se "radicalise" quand il est menacé. Il faut revenir à une vision politique et stratégique de l'Iran et arrêter de tout voir à travers la question du nucléaire.

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