Vis ma vie d'agriculteur : le salon de l'agriculture, machine à défouler LE fantasme français <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Consommation
La tradition paysanne française est toujours au coeur de notre culture.
La tradition paysanne française est toujours au coeur de notre culture.
©Antoine Jeandey - WikiAgri

Le surmoi est dans le pré

Rendez-vous annuel incontournable, le Salon International de l'Agriculture attire chaque année des centaines de milliers de visiteurs. XXIème siècle ou pas, la tradition paysanne française est toujours au coeur de notre culture.

Michel   Lacroix

Michel Lacroix

Michel Lacroix est philosophe et écrivain, il a publié de très nombreux livres notamment le dernier Eloge du patriotisme, 2011, Robert Laffont.

Voir la bio »

Atlantico : Le Salon International de l’Agriculture connait chaque année des records d’affluence. Que vont y chercher les Français ? L’agriculture, la paysannerie même, est-elle profondément inscrite dans l’inconscient collectif français ?

Michel Lacroix : Il suffit d’y aller pour comprendre le phénomène et voir à quel point la fréquentation du salon est impressionnante par son volume et par la fascination dont font preuve les visiteurs. Il ne s’agit pas uniquement d’un phénomène de mode mais de quelque chose de profondément enraciné dans notre histoire. Cela découle d’une logique historico-démographique car jusqu’en 1914 la France était encore en grande partie rurale. Plus tôt encore dans notre histoire, quand 98% des Français étaient des paysans, ce sont d’eux que sont issus les cahiers de doléances. Aujourd’hui encore beaucoup d’entre nous ont un parent proche, souvent un grand parent qui était paysan et cela bien que le monde rural se soit réduit comme peau de chagrin. Tout le monde travaille aujourd’hui dans le secondaire voire le tertiaire ou le quaternaire. C’est notre mémoire, nos racines, que nous allons chercher au Salon de l’Agriculture, une fidélité à une tradition et un enracinement dans une particularité française. Cela appartient même plus qu’à l’inconscient collectif mais au conscient collectif. Nous savons que nous venons de la Terre. Nos qualités et nos défauts de Français s’en ressentent.

Comment expliquer la schizophrénie des citadins quant à cette paysannerie qu’ils défendent et méprisent à la fois ?

Il est vrai que toute notre culture française repose sur cette dualité entre le monde rural et le monde urbain et plutôt que du mépris, je crois que l’on peut trouver une légère condescendance de l’homme de la ville. Le tout mêlé d’une forme de nostalgie de la vie simple. D’un côté, il y a la campagne enracinée avec son horizon limité du village, et de l’autre l’universalisme de la ville. C’est donc une opposition entre le particularisme et l’universalisme sauf qu’au fond de lui l’homme de la ville sait qu’en dernière instance son universalisme est planté dans un particularisme car les deux sont inséparables. Il sait que son universalisme ne peut pas être hors-sol et qu’il doit garder les pieds sur terre. De cette culture paysanne découle par exemple l’obsession de la propriété. Les urbains ne rêvent que d’être propriétaires et bien souvent d’un petit pavillon de banlieue avec un petit jardin. L’homme de la ville n’est donc pas bien loin de son homologue de la campagne.

Pourrait-on parler de complexe œdipien, une Alma mater dont on est amoureux et un père paysan que l’on voudrait tuer ?

S’il a pu exister, à l’époque à laquelle Gambetta parlait des nouvelles couches sociales et de l’ascension de la petite bourgeoisie, je ne crois plus que ce soit la cas actuellement. L’époque où cette bourgeoisie avait honte de ses origines paysannes parce qu’elle travaillait dans le tertiaire me semble assez lointaine. Je pense qu’en cent ans ou cent cinquante ans, cette honte un peu œdipienne est devenue une fierté. Nous avons tourné la page notamment parce que la modernité et la société de consommation nous ont fait prendre conscience des illusions et des artifices de vie citadine. Le monde rural quant à lui nous ramène à de vraies valeurs et ce n’est pas un hasard si nos compatriotes vont aussi souvent en vacances à la campagne dans des "gîtes ruraux", ni si la littérature régionaliste connait un tel succès. De la même manière, le succès de la nourriture bio est également un bon révélateur de ce retour à l’authenticité rurale et de la disparition de cette tendance IIIème République de vouloir répudier nos origines paysannes.

De quelle façon retrouvons-nous cette tradition agraire, rurale, dans l’identité culturelle française ?

Nous en avons gardé bien plus de choses que nous le pensons. Premièrement, cela nous a procuré un certain bon sens qui se développe naturellement au contact du travail de la terre car celui-ci ne permet pas de vivre dans l’utopie ni dans l’artificialité. Dans la même lignée nous connaissons la valeur du travail car le monde rural est celui de la nature domestiquée par un travail laborieux et régulier. Nous sommes bien loin du fantasme de la forêt romantique qui fascine l’âme allemande.

Notre culture paysanne nous a aussi donné la culture de la petite propriété et l’individualisme. Traditionnellement, les paysans français sont de petits propriétaires qui n’exploitent que quelques hectares. Nous sommes bien loin des latifundia qui ne nous ressemblent pas. En bon paysans qui gardent de quoi semer et tenir l’hiver, nous sommes aujourd’hui l'un des plus grands peuples d’épargnants au monde.

La paysannerie nous a aussi enseigné la rébellion et la défiance envers le pouvoir. Nous sommes un peuple indépendant et difficile à gouverner. Cela nous vient sans aucun doute de la méfiance fondamentale des paysans à l’égard du fisc et du pouvoir. Je le redis, les cahiers de doléances étaient issus des paysans. Enfin, nous avons inventé il y a bien longtemps une école économique, la physiocratie qui consiste à dire que la seule valeur ajoutée est celle de la nature et non pas du travailleur comme l’a dit Marx bien après. Même si cela est récusé aujourd’hui par la modernité, je crois qu’il n’y avait que dans l’esprit des Français qu’un tel courant de pensée pouvait germer. Ce sont tous ces éléments présents partout autour de nous qui nous poussent massivement et de manière si puissante au Salon de l’Agriculture.  

Propos recueillis par Jean-Baptiste Bonaventure

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !