La France, cette éternelle adolescente<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
France
La France peut être comparée à une adolescente, pleine de potentialités mais en crise et mal dans sa peau.
La France peut être comparée à une adolescente, pleine de potentialités mais en crise et mal dans sa peau.
©Reuters

Bonnes feuilles

Mathieu Laine et Patrice Huerre comparent la France à une adolescente, pleine de potentialités mais en crise et mal dans sa peau et mettent notamment en avant les changements démographiques. Extrait de "La France adolescente" (1/2).

Mathieu Laine et Patrice Huerre

Mathieu Laine et Patrice Huerre

Mathieu Laine dirige le cabinet de conseil Altermind. Essayiste, il a publié entre autres le Dictionnaire du Libéralisme (Larousse, Avril 2012). Il est aussi l'un des actionnaires d'Atlantico.

Patrice Huerre est psychiatre des hôpitaux et psychanalyste. Il est spécialisé depuis près de 30 ans dans les actions de prévention et de soins pour les enfants, les adolescents et les jeunes adultes. Il préside l’Institut du virtuel Seine Ouest et dirige le centre de formation du Collège International de l’Adolescence.

Voir la bio »

Adolescere… Le verbe latin nous paraît familier, tant sa postérité fait partie de notre paysage intellectuel et social. Et pourtant, sa signification est double. Il désigne bien sûr avant tout le fait de croître, de pousser, de se développer. Mais il renvoie aussi, notamment dans un contexte religieux, au fait de devenir vapeur, de brûler, de se consumer. Être adolescent, c’est donc d’abord changer, s’étendre, sortir de l’idéal immobile d’une éternelle enfance. C’est vivre ce moment si particulier où le temps s’incarne à l’intérieur de soi sans qu’on l’ait souhaité, ni même anticipé. L’éprouver est une aventure vécue comme unique et première.

Mais c’est plus que cela encore. L’adolescence, c’est aussi une transformation profonde, un changement d’état, une transsubstantiation magique qui du petit humain fait un humain adulte. Cette force nouvelle prend possession de l’individu et la nature s’impose. Une nature qui s’empare du confort dans lequel l’enfant vivait, pour en brouiller les lois, en redéfinir les règles, et produire finalement le terrain d’une liberté nouvelle. Mais au prix de nombre d’hésitations, de doutes et parfois même de conflits.

Car ces turbulences internes à l’adolescent l’affectent et lui font porter sur le monde environnant un regard inquiet. Il ne le voit plus, comme avant, plein d’espoirs et de rêves. Il se surprend à regretter un passé plus sûr, plus prévisible d’après ses souvenirs, tout en le rejetant. Et l’on sait comme ceux-ci peuvent être trompeurs, refaçonnés et embellis par une mémoire sélective.

[…]

L’adolescence est donc avant tout perçue par celui qui la vit comme un temps d’instabilité, de fragilité, parfois même de déclin. Faut-il s’en étonner, dans ce monde saturé de conservatismes et avide de sécurité ?

Comme une adolescente, la France est aujourd’hui au cœur de mutations profondes qui affectent avant tout son corps, sa structure objective, mais aussi sa manière d’être au monde et de se percevoir elle-même. Ce pays qui se croyait naguère abrité des ressacs est devenu la proie de forces forcément perçues comme hostiles.

La vérité impose de regarder en face, comme l’adolescent le fait dans son miroir, les changements qui nous assaillent. Ils sont d’abord tout simplement démographiques. En quelques décennies, la composition, la répartition et la structure de la société française – sa morphologie – ont changé plus profondément et plus rapidement que jamais au cours de notre histoire. Ces bouleversements, comme ceux qu’entraîne la puberté dans le corps de l’adolescent, ont apporté avec eux des désirs et des espoirs, certes, mais surtout des angoisses et des peurs. En quelques décennies, la France a bel et bien « grandi ».

Le fait est connu : l’allongement de la durée de vie, cumulé à une baisse de la fécondité, entraîne de manière mécanique un vieillissement de la société. Quels que soient les indicateurs retenus, tous témoignent de ce phénomène : l’âge moyen de la population augmente (de moins de 35 ans dans les années 1960 à plus de 40 aujourd’hui), la part des personnes âgées aussi (les plus de 60 ans représentent désormais près du quart de la population), l’espérance de vie s’allonge (depuis 1950, elle a augmenté de 15 ans pour les femmes et de 14 ans pour les hommes, soit près de trois mois gagnés chaque année) et le nombre d’enfants par femme diminue (de 2,6 en moyenne pour une femme en âge de procréer née en 1930 à 2,1 aujourd’hui).

À ces évolutions mécaniques s’ajoutent des effets d’optique, au premier rang desquels l’arrivée dans le troisième âge d’une génération éminemment symbolique, celle des baby-boomers. Loin de passer le relais, cette génération à bien des égards dorée continue d’occuper les places et d’exercer des fonctions importantes, empêchant, au moins en apparence, le passage de témoin aux suivantes. Au-delà de la réalité statistique, le fonctionnement même de la société, sa structure de représentation et de pouvoir, est ainsi touché de plein fouet, comme l’adolescent, par un processus de maturation accéléré. Et ce sans compter l’immense révolution génomique à venir qui pourrait bien annoncer, comme l’analyse Laurent Alexandre, « La mort de la mort. »

___________________________________________

Extrait deLa France adolescente, aux éditions JC Lattès

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !