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Quelle efficacité pour l’argent investi dans la politique de la ville et de l’intégration ?
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Explications

Jean-Marc Ayrault a promis que "l'Etat [était] de retour dans les quartiers" mardi 19 février à l'occasion d'un comité interministériel des villes.

Yves-Marie Cann et Guylain Chevrier

Yves-Marie Cann et Guylain Chevrier

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Yves-Marie Cann est Directeur d'études au département Opinion de l'institut de sondage CSA.


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Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant , formateur et consultant. Il est membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration.

 

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Atlantico : Les études sur l'intégration des populations d'origine étrangère en France s'enchaînent et se contredisent, laissant l'impression qu'il est souvent difficile de tirer un bilan de 40 années d'immigration. Est-il aujourd'hui possible de dresser un constat objectif qui échappe à l'idéologie des "anti" et des "pro" ? Quel est-il ?

Yves-Marie Cann :Dans un premier temps, il est intéressant selon moi de se pencher sur les perceptions des Français en matière d'intégration des personnes d'origine étrangère. Plusieurs études apportent des enseignements utiles pour le débat public sur ce sujet. En regardant les diverses enquêtes d’opinion réalisées ces dernières années on voit que ce qui ressort le plus fréquemment chez les Français est la perception d'une situation de "blocage".

Une étude réalisée par l'institut CSA pour la CNCDH (Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme) fin 2011 démontrait ainsi que la majorité des sondés (57%) estimait que l’intégration des personnes d’origine étrangère fonctionnait mal. A cela venait s’ajouter le fait que 62% des interrogés jugeaient que ces dysfonctionnements étaient à imputer avant tout aux immigrés "qui ne se donnent pas les moyens de s’intégrer". Plus récemment d’autres indicateurs, comme par exemple le refus d’accorder le droit de vote aux étrangers non-communautaires aux élections locales (63% des sondés, enquête CSA pour RTL), sont révélateurs des tensions existant à ce sujet au sein de la société française. En dépit d’un certain discours dominant, on voit ici que l’opinion a une position relativement négative quant à une éventuelle réussite des processus d’intégration en France.

Il est néanmoins compliqué d’établir des statistiques permettant d'évaluer avec précision le niveau d’intégration des populations immigrées, premièrement parce qu’il est interdit de produire des statistiques ethniques en France et deuxièmement parce que la définition même du concept d’intégration fait débat, y compris dans les pays anglo-saxons. La meilleure solution est ici d’utiliser la combinaison de plusieurs données ou indicateurs (maîtrise de la langue française, niveau de participation à la vie publique, insertion sur le marché de l'emploi, ascension sociale, mariages mixtes, attachement territorial…) pour arriver à un résultat probant.

Guylain Chevrier : Effectivement, les études se succèdent et régulièrement se contredisent selon l’angle ou l’intention de leurs auteurs, pour difficilement nous éclairer. Prenant pour thème "Les discriminations : une question des minorités visibles", une enquête nommée "Trajectoire et Origines (TeO)", menée en 2008 par l’Ined et l’Insee, faisait un constat alarmant sur la base "des déclarations de discriminations subies par les personnes interrogées", sans qu’à aucun moment on y évoque le caractère de subjectivité d’une telle démarche, bien au contraire, on la montrait comme plus vraie que toute autre !

Ainsi, ce sont un quart des immigrés et fils d’immigrés qui s’y déclaraient avoir été victimes de discriminations. On ne peut ici que se questionner sur une enquête aussi volontairement inscrite dans le témoignage qui a sa valeur mais est souvent sous l’influence de l’émotion et mérite donc un angle de modération. Était-ce bien ainsi la meilleure façon de faire qu’une étude puisse être susceptible de porter ses fruits, s‘il s’agissait de créer une prise de conscience en donnant ce sentiment de gravité, mais sous une lecture à ce point volontaire qu’elle en apparait partisane ? N’est-ce pas plutôt l’effet contraire qu’elle risquait de provoquer ? 

"L’intégration des populations migrantes recouvre des réalités complexes, difficiles à modéliser" nous explique Michel Aubouin, le Directeur de l’accueil, de l’intégration et de la citoyenneté en introduction d’une étude menée par le Département des statistiques, des études et de la documentation du Ministère de l’intérieur, portant sur un "Tableau de bord de l’intégration" publié en 2010. Si on se réfère à cette étude par exemple, on trouve, en lisant le tableau du taux d’activité par origine, sexe et âge, que ce taux est pour les immigrés des pays tiers (essentiellement Maghreb et Afrique) de 6 points inférieur entre 2006-2009, au regard de celui des Français de parents nés français. Si on s’en arrêtait là, on crierait à la discrimination.

S’il y a donc une lecture à avoir, elle ne saurait se cantonner aux réflexions simplistes des "pour" qui souhaitent la fin des frontières alors que la nation reste la référence géopolitique des migrations et de leurs motivations, la frontière signalant la différence entre un pays d’origine où l’on vit mal et un pays d’élection où on pense mieux vivre, la fin des frontières se traduisant inévitablement par un nivellement par le bas qui ne bénéficierait à personne. Ni à celles des "contre", qui voient la nation comme un espace refuge, un entre-nous qui, face à la concurrence entre les peuples que crée la mondialisation, nourrit  des relents de nationalisme où la recherche du bouc-émissaire est la seule préoccupation et un mur de brume aux véritables causes des maux.

L’intégration est un processus à plusieurs niveaux de lecture nous dit encore Michel Aubouin, qui concerne à la fois le migrant et son parcours individuel, le pays d’accueil avec ses exigences mais aussi le pays d’origine et ce qui a été apporté avec soi. Autant de choses qui méritent une prise de distance nécessaire autant que sérieuse sur un thème aussi brûlant.

La discrimination positive, souvent décrite comme une solution viable, a-t-elle porté ses fruits ?

Yves-Marie Cann : Il n’y a pas, officiellement, de "discrimination positive" dans l’Hexagone bien que plusieurs mesures aillent dans ce sens dans les faits. L’instauration par les pouvoirs publics de politiques spécifiquement destinées aux quartiers sensibles (ZUS) en est une illustration. Les moyens accordés à certaines agglomérations (pour des rénovations urbaines par exemple), ont pu, d’une certaine manière porter leurs fruits, bien que les résultats actuels paraissent souvent en dessous de ce qu’on aurait pu attendre. Il en va de même en matière d’éducation avec les Zones d’Education Prioritaires (ZEP).

Une étude très intéressante de l’INED publiée en 2006 démontrait ainsi que les Zones Urbaines Sensibles comptaient parmi les territoires où la "mobilité résidentielle" des individus est la plus forte, ce qui signifie qu’un nombre non négligeable des personnes qui y vivent en sortent à un moment donné pour aller vivre ailleurs. Il est intéressant de noter, lorsque l’on regarde le détail de l'étude, qu’une part non négligeable des habitants vivant dans ces espaces sont sujet à une "mobilité résidentielle ascendante", car bénéficiant d'une amélioration de leur niveau de vie leur permettant de quitter ces quartiers. On peut dire en conséquence que les populations vivant dans ces zones défavorisées n’y sont pas toutes figées (voire "piégées"), contrairement aux apparences, et qu’il existe bel et bien des mécanismes d’ascension sociale au sein des banlieues.

Il s’agit donc d’une réussite relative pour ces politiques de discrimination positive qui ne disent pas leur nom, dans le sens où les personnes à "mobilité résidentielle ascendante" ont pu, eux ou leurs parents, bénéficier des aides destinées aux quartiers où ils ont vécu. On peut parler ici d’un cercle vertueux qui certes n’a pas fonctionné et ne fonctionne pas pour tout le monde, mais dont on pu bénéficier de nombreux individus.

Guylain Chevrier : Des efforts considérables sont faits en matière de politique de la ville avec des investissements et des modes de participation de la population qui pourraient bien modifier en profondeur les banlieues, à condition d’aller au bout de la démarche et que ce qui se dégrade ne rattrape pas ce qui se construit là. La dernière mesure proposée par le gouvernement, d’une prime de 5000 euros par jeune embauché dans des quartiers sensibles considérés comme subissant une "discrimination à l’adresse", voire à l’origine pour certains d’entre eux dans des contextes de ghettoïsation ethnique et/ou religieuse, pousse un cran plus loin la notion de discrimination positive.

N’est-ce pas mettre ainsi en concurrence du coup ceux qui ne sont pas de ces quartiers avec les jeunes élus par cette mesure, en cristallisant sur eux le ressentiment dû à une situation générale qui est un handicap pour tous, donnant le sentiment que l’on ne s’intéresse qu’à ceux qui cumulent ce que l’on désigne pour expliquer leur situation, des discriminations ? La logique issue de cette démarche permettra-elle de relever le défi de l’intégration, par exemple au regard d‘un ascenseur social qui a des ratés avant tout liés à une situation économique et sociale déplorable ?

La voie de l’intégration passe par un changement de perception de ces quartiers et donc une politique de la ville, une politique globale qui tienne ses promesses.  On y investit beaucoup et on fait des efforts continus, comme le Plan Borloo a su le faire avec de vraies avancées en matière d’égalité des chances et de rénovation urbaine, mais des efforts sont aussi à faire du côté de certains de ces jeunes, parfois les plus revendicatifs, où le modèle de la règle et de la norme est trop souvent contesté avec une attitude antisociale comme fondement identitaire qui peut conduire à l’auto-exclusion, au rejet de l’intégration. Il faut faire autre chose que de la discrimination positive  si l’on entend convaincre que les personnes issues de l’immigration ont toute leur place en France et pour beaucoup la trouve en se mélangeant comme notre principe d’égalité y encourage dans l’esprit et le geste.

Au-delà de ce phénomène, quels sont aujourd'hui les exemples démontrant que l'intégration fonctionne malgré tout ?

Yves-Marie Cann :L'émergence de personnalités issues de l’immigration parmi les chefs d’entreprises, les journalistes ou encore de nombreux artistes est un révélateur de cette intégration. Bien que ce ne soit que la partie émergée de l’iceberg ce phénomène est l’incarnation d'une réussite à la française qui témoigne de l'ascension sociale dont ont bénéficié de nombreuses personnes issues des vagues successives d'immigration. Le bilan n’est sans doute pas à la hauteur des espérances, mais il existe de nombreux parcours individuels témoignant de réussites qu’il convient de souligner ici.

Guylain Chevrier :Il ne faut pas tout interpréter en recourant au thème des discriminations, l’instabilité de l’emploi reste la première cause d’inégalité par exemple. On sait aussi que le diplôme fait sa sélection parmi les prétendants à l’emploi, principal facteur d’intégration sociale. Chez les 16-25 ans, selon les dernières enquêtes menées dans ce domaine, on sait qu’avoir un diplôme permet à 9 jeunes sur dix de trouver un emploi toutes catégories confondues, alors que seulement un sur deux qui n’en a pas à une chance d’y aboutir. 

Quels sont encore les principaux obstacles à l’intégration des personnes immigrées en France ?

Yves-Marie Cann : En premier lieu le fait que les mobilités sociales descendantes restent une réalité des quartiers à forte composante immigrée. Le fait que les personnes qui réussissent quittent leur quartier d’origine favorise la faible mixité sociale des quartiers et continue d’en faire des zones marginales dont l’image reste dégradée. 

Guylain Chevrier : On ne peut déduire ce ces quelques réflexions des conclusions définitives mais si l’intégration marche pour l’essentiel malgré des difficultés  certaines, mais qui ne la remettent pas en cause, c’est peut être la société elle-même qui ne marche pas et le manque idéal commun qui lui fait défaut qui encourage un courant de plus en plus prégnant qui traverse l’immigration issue des régions des anciennes colonies françaises, à un repli identitaire ou à un rejet de la République voire de la France. Comme l’expression d’un profond mal être commun, mais qui là s’exprime à travers les particularismes amenés d’ailleurs qui laissent moins facilement la place aux convergences vers un bien commun, un intérêt général malmené de toutes parts. Comme le Haut Conseil à l’Intégration le relevait dans ses intentions, lors de la présentation de ses 50 propositions pour faciliter l’intégration des élèves issus de l’immigration à l’école, qui vaut pour cette question de façon plus large, il en va de trois défis : un défi migratoire qui est lié à l’accès à la langue et à l’éducation, un défi social, qui embrasse la problématique de l’insertion socio-économique et territoriale, et un défi culturel, l’adhésion aux valeurs de la République malheureusement de plus en plus contestées dans ces populations. Sans une vision d’ensemble saisissant l’intégration dans sa complexité, qui évite les pièges du victimage et du rejet de l’autre, il ne peut il y avoir de véritable politique en la matière et d’ambition à laquelle l’idéal républicain ne soit étroitement lié qui est le meilleur des remèdes aux difficultés des migrants à trouver plus qu’une terre d’asile ou d’accueil, une terre commune.

Propos recueillis par Théophile Sourdille

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