Voit-on assez venir l'aggravation économique que nous réserve l'angoisse qui s'est emparée des décideurs de terrain ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Le ressenti de l’activité de ce premier trimestre 2013 est bien pire que celui du trimestre précédent.
Le ressenti de l’activité de ce premier trimestre 2013 est bien pire que celui du trimestre précédent.
©Flickr/hoyasmeg

De l'action !

Alors que la croissance peine à repartir, les dirigeants n'amorcent pas de ligne claire. La situation est pourtant critique et nécessite, plus que de vains débats sur des questions sociétales, des réponses volontaristes aux problèmes des entreprises. Une seule chose est sûre : le temps presse.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Comme d’habitude, l’effet retard des statistiques minore l’importance des difficultés que nous traversons. Ainsi, alors qu’il était évident fin 2012, pour tous ceux qui sont en contact avec le marché, que les entreprises françaises souffraient fortement, il a fallu attendre... début février 2013 pour que ce ressenti apparaisse clairement dans les chiffres, avec une annonce de contraction de l’activité de 0,3%.

Sans vouloir jouer les Cassandre, le ressenti de l’activité de ce premier trimestre 2013 est bien pire que celui du trimestre précédent. Partout, les petites et moyennes entreprises sont entrées dans une mécanique de domino dont personne ne connaît l’issue : les fournisseurs tardent à se faire payer, car les délais de règlement inter-entreprises s’allongent. Chaque fournisseur reporte le retard de ses clients sur ses propres fournisseurs et, peu à peu, la machine économique se grippe. Les trésoreries souffrent, et chacun sent le gouffre approcher.

Selon toute vraisemblance, cette spirale infernale est particulièrement dévastatrice dans les régions les plus dynamiques, alors que des régions moins attractives y échappent. Il semblerait par exemple que l’Auvergne parvienne à tirer son épingle du jeu quand les commerçants parisiens sentent le vent mauvais de l’austérité qui frappe leurs enseignes.

Des annonces comme celles d’Harmonia Mundi ou de Virgin confirment cette tendance : les biens culturels sont douloureusement frappés par une contraction des achats qui ajoute à la crise des supports traditionnels. Entre concurrence du Net et frilosité des consommateurs due à la crise, la culture est un secteur sinistré, parmi d’autres certes, mais qui illustre la violence inouïe du marasme qui s’installe dans les affaires.

Partout en France, les entreprises souffrent non seulement de la contraction objective des affaires, mais peut-être plus que tout de l’attentisme qui s’est emparé des décideurs. Les investissements prévus sont suspendus, ralentis, réduits, faute d’une lisibilité suffisante sur ce qui se passera demain, après-demain, ou parfois dans la journée même. Les rumeurs courent partout sur la faillite imminente d’un tel, les difficultés d’un autre, et chacun se regarde en chiens de faïence sans savoir quelle conduite tenir.

Dans ce climat étouffant, les forces vives du pays s’étiolent. Quel jeune ne cherche pas à quitter la France pour tenter sa chance sous des cieux plus cléments ? Quel salarié ose encore prendre une initiative dans l’intérêt de son entreprise ? Quel employeur ne passe pas le plus clair de ses journées à négocier des délais de trésorerie avec ses banquiers ? À réclamer le paiement de ses factures ? À expliquer ses propres retards de paiement ?

Le moment de la fermeté vient pour rétablir la situation française, sinon nul ne sait ce que ce mélange d’angoisse et d’immunodépression émotionnelle peut produire dans les mois, voire dans les semaines qui viennent.

Face à la perte de repères collectifs, face à l’incertitude désormais inscrite dans la gouvernance quotidienne des entreprises - je ne parle pas des mastodontes du CAC 40 auxquels les médias réduisent le secteur privé, mais des entreprises qui font la croissance et la prospérité ordinaire de ce pays - il est urgent de redonner un cap et d’éclairer la voie à suivre dès maintenant. Les entreprises françaises ont aujourd’hui besoin de voir la confiance revenir, ce qui passe par deux piliers essentiels.

Le premier pilier est celui de la décision économique claire. Il faut que nous sachions où nous allons, non seulement en termes fiscal, mais aussi en termes de politique économique.

Après avoir plaidé pour une sorte de relance par la consommation, le gouvernement a, cet hiver, entamé un pas de deux vers une politique de l’offre. Il s’est claquemuré dans un discours utopiste sur une sorte de stabilisation de la croissance qui devait atténuer l’effort à fournir par la nation cette année. Il est évident que la situation est bien pire et que nous devons savoir clairement quelles sont les options prises pour répondre à cette contraction de l’activité qui s’appellera sans doute une récession.

Je sais que l’idéologie dominante disqualifie la relance par la consommation au profit d’une relance par l’offre. Je ne suis pas forcément convaincu du bien-fondé de cette option, mais je suis en revanche particulièrement convaincu que l’incertitude, le louvoiement et le doute sont les fléaux les plus dangereux que nous connaissions pour notre économie. Les acteurs du pays ont besoin de savoir vers où va le pays.

Cette demande ne se limite pas à un discours lénifiant rempli de promesses et de bonnes intentions, dont la crédibilité n’excédera pas le prononcé du texte. Il faut, pour que nous y croyions, comprendre comment le cap sera atteint. Il est question de réduire le déficit budgétaire de la France, conformément à notre engagement européen. Il est question d’un crédit d’impôt de 20 milliards pour les entreprises. Quelles sont les mesures d’économie envisagées dans les administrations, correspondant à cet effort ?

Il ne s’agit pas de 2 milliards par-ci, 3 milliards par-là, dont la somme n’atteint pas la moitié de la note que nous devons payer. Il s’agit d’un plan fondateur et réaliste, qui restructure les dépenses de l’État dans la proportion qui est attendue : environ 20 % des dépenses publiques actuelles. Comment croire qu’une réduction des dépenses de 20% soit possible en un laps de temps très court, quand le gouvernement n’annonce aucune réduction d’emplois dans la fonction publique ? Quand aucune réflexion de fond n’est engagée sur une restructuration à court terme de la protection sociale ?

De ce point de vue, l’énergie dépensée par l’Assemblée Nationale pour lutter contre le mariage gay apparaît aujourd’hui comme un superbe gâchis au moment où beaucoup de chefs d’entreprise imaginent le pire pour leur activité. L’INSEE nous indique que la France compterait 100 000 couples homosexuels. C’est donc pour satisfaire les aspirations de moins de 5% des Français que l’on a paralysé la vie parlementaire du pays pendant plusieurs semaines, à un moment critique pour notre activité économique.

Lancer un écran de fumée de cette nature à ce moment-là ne peut qu’ajouter au désarroi et à la désorientation des décideurs. Il est temps que la politique française redevienne l’espace où se déterminent les vraies options du destin français. Il est temps que cette stratégie d’occupation et de divertissement démocratique cesse.

Deuxième pilier: la question des banques et de la trésorerie des entreprises. Partout, les chefs d’entreprise sont sous la tutelle d’un banquier qui se nourrit de frais imposés unilatéralement à chaque problème de trésorerie. Cette pression est insupportable. Si chacun comprend que, après la crise de 2007, des règles soient imposées pour éviter que les errances bancaires se reproduisent, si chacun comprend que ces règles contraignent les banques à réserver le crédit aux clients les moins risqués, à durcir l’escompte, l’effet de cette mesure est cataclysmique en phase de contraction.

Nous avons tous bien entendu que la Banque Publique d’Investissement n’a pas vocation à maintenir artificiellement des activités obsolètes en vie. Le problème est qu’une multitude d’entreprises ont besoin d’un grand bol d’air pour se relancer.

Entre l’investissement long à terme et l’inaction, il y a la facilité de trésorerie, qui devient indispensable pour éviter les faillites en cascade et la "Grande Peur" du chômage, dont personne ne sait où elle conduira. Il est urgent que le cadre réglementaire soit adapté à ce besoin structurel autant que temporaire des TPE, des PME et des ETI françaises. Faute d’une action dans ce registre dès ce trimestre, les dégâts causés par la crise risquent d’être colossaux.

Le moment vient où l’autorité publique doit agir clairement, fermement, pour montrer le cap au pays et le remettre droit sur ses jambes.

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