A multiplier les sous-traitants, les grands groupes ont-ils perdu le contrôle sur la qualité ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
En matière de tromperie sur la marchandise, l’agroalimentaire n’est pas le seul secteur à scandale.
En matière de tromperie sur la marchandise, l’agroalimentaire n’est pas le seul secteur à scandale.
©Reuters

La mondialisation et ses problèmes

Affaire Findus, déboires du Boieng 787, rappel de bons nombres de produits dans le marché automobile... autant d'exemple qui montrent que la sous-traitance n'est pas sans risque. Au point de ne plus pouvoir contrôler la qualité du produit fini ? Éléments de réponse...

Vincent Touzé

Vincent Touzé

Vincent Touzé est économiste senior au département des études de l'OFCE (Observatoire Français des Conjonctures Economiques).

Voir la bio »

L’alchimiste des temps anciens prétendait changer le plomb en or. Le boucher des temps modernes réalise l’incroyable transmutation du cheval en bœuf… Il n’en fallait pas plus pour que l’Europe soit frappée d’un nouveau scandale alimentaire. Plusieurs marques propres et de distributeurs seraient concernées[1]. Les autorités publiques lancent des enquêtes sanitaires et judiciaires. Une potentielle crise du secteur agroalimentaire grand pourvoyeur d’emplois dans de nombreuses régions françaises inquiète les élus locaux. Le discours est confus et la classe politique hésite entre punir sévèrement les entreprises impliquées et protéger leur activité.

Encore un manque de traçabilité à l’origine d’un trafic qui consiste à acheter un produit bon marché pour le maquiller et le revendre sous une autre appellation avec un prix nettement plus élevé. La technique est apparemment simple : il suffit de changer l’étiquette. Le gain est « juteux ».

Pourquoi ne pas y avoir pensé plus tôt ? Pour réussir son "coup", il est nécessaire de tromper la vigilance des autorités de contrôle et surtout celle de l’entreprise finale qui en estampillant le produit de sa marque donnera le signal et le prestige nécessaire pour obtenir la confiance du consommateur et donc conforter l’achat. Il sera d’autant plus facile de duper son monde que l’itinéraire emprunté par la marchandise sera complexe et que son destin passera entre les mains de plusieurs protagonistes peu regardants. Cette complexité confortera d’autant plus chacun dans son sentiment d’impunité ou d’innocence que si le scandale éclate, il pourra toujours s’appuyer sur une dilution des responsabilités et s’écrier : "ce n’est pas moi, c’est l’autre" ; "on m’a trompé, je suis aussi une victime". Les autorités publiques rétorqueront qu’ils auraient dû s’étonner d’avoir payé un prix inférieur au prix de marché et que pour un professionnel, il ne pouvait y avoir méprise sur l’origine chevaline du produit. Mais, la preuve est à la charge de l’accusation. La justice devra se forger une intime conviction.

On notera qu’en matière de tromperie sur la marchandise, l’agroalimentaire n’est pas le seul secteur à scandale. Le monde de la finance a récemment dévoilé sa capacité à vendre des produits financiers notés de plusieurs  « A »  amplement immérités.  Là aussi, la mise en place de produits structurés financiers sophistiqués et la présence de nombreux intermédiaires payés à la commission permettaient de tromper beaucoup de monde. Un peu comme un charcutier vendant de l’andouillette certifiée 5A sans qu’elle n’ait les qualités reconnues par l’Association Amicale des Amateurs d’Andouillette Authentique…

L’alimentation contemporaine repose sur une production de plus en plus industrielle qui s’échange sur des marchés mondialisés. La mondialisation permet à chacun de diversifier sa consommation et d’accéder à des aliments qu’on ne produit pas sur son territoire, et, surtout pour la France, elle permet de jouer pleinement sur un avantage comparatif, à savoir une importante capacité agricole et agroalimentaire. Mais l’ouverture des marchés a le principal défaut de complexifier les réseaux d’échange puisque pour un même produit, intermédiaires de vente, acheteurs et producteurs vont être plus nombreux et s’éparpiller entre plusieurs pays. Pour résumer, consommer mondial permet de gagner en diversité mais fait perdre en traçabilité.

Plusieurs multinationales connues du grand public se partagent le marché de l’agroalimentaire. D’un point de vue stratégique, elles ont le choix entre fabriquer elles-mêmes les produits ou déléguer la production à d’autres entreprises. Fabriquer soi-même présente des avantages. L’entreprise conserve le savoir-faire et l’information sur l’élaboration du produit. Son contrôle du processus de production est d’autant plus fort qu’elle a un degré élevé de concentration verticale. Mais le défaut majeur en est une moindre maîtrise des coûts, puisque chaque succursale du groupe jouit d’une situation de quasi-monopole en interne, ce qui nécessite d’importants coûts d’organisation. De plus, en cas d’incident sur un produit, la marque souffrira bien plus que d’une simple perte de réputation, puisque sa responsabilité sera aussi engagée devant la justice.

Déléguer le processus de production a un mérite : mettre en concurrence les sous-traitants. En général, le mieux-disant en prix obtient le marché. Une fois le marché conclu, libre à lui d’optimiser son coût de production, quitte à faire appel à d’autres sous-traitants, tout en respectant un cahier des charges. La marque se met alors dans une relation d’asymétrie d’information car la guerre des prix et la recherche d’une meilleure profitabilité peut aussi inciter le sous-traitant à abaisser le niveau de qualité, et cela d’autant plus que celle-ci sera difficilement contrôlable pour la marque sans un coût élevé. Si le sous-traitant triche et se fait prendre, il perdra le marché. Il pourra aussi être poursuivi en justice pour tromperie. Sauf que la multinationale sera peut-être soucieuse de ne pas voir la vérité éclater et préférera proposer un arrangement à l’amiable. Pour inciter le sous-traitant à la vertu, il serait probablement judicieux de lui proposer un meilleur prix ou de dépenser plus en contrôle, mais cela réduirait aussi de facto l’intérêt de sous-traiter.

Pour une marque, une tromperie sur un seul produit peut avoir des effets collatéraux considérables, le doute contaminant toutes ses gammes de produit. Dans l’affaire Findus, il est fort à craindre que les ventes de poissons surgelés soient aussi affectées par le doute existant sur les plats à base de bœuf. Même si d’un point de vue judiciaire, la faute est imputée à un ou plusieurs sous-traitants, la marque perdra en crédibilité car la tromperie révèle aussi au consommateur que la marque ne fabrique pas elle-même certains de ses produits et qu’elle n’a pas tout mis en œuvre pour contrôler ce qu’elle vend. En ce sens, les clients peuvent se sentir floués et être gagnés par la suspicion. Or, un consommateur déçu et dubitatif ne consomme pas. Par effet de contamination sectorielle, le discrédit pourrait ainsi frapper l’ensemble de la filière des plats surgelés à base de bœuf. En définitive,  même si la tromperie a profité jusqu’ici à quelques-uns, le coût global pour l’ensemble des acteurs pourrait s’avérer très élevé. Par chance pour les industriels, il semblerait que le consommateur ait la mémoire courte.

On peut toutefois se demander si l’obsession de profitabilité de court terme ne conduit pas les industriels à oublier l’essentiel, à savoir un devoir moral de garantie sur l’origine et la qualité des ingrédients utilisés qui irait au-delà des simples règles légales. Après tout, si la notion de marque est synonyme de qualité et permet de vendre plus cher, c’est aussi le prix à payer à long terme.

Les scandales récents et les bruits qui devaient circuler dans le milieu de la "viande" mettent aujourd’hui tout le monde en alerte. Désormais, tant les décideurs privés que publics procèdent à des tests ADN. C’est l’instant de vérité et l’on devrait prochainement disposer d’une estimation de l’étendue de la combine.

Cette crise aura néanmoins un mérite : le réveil du consommateur. Finie la léthargie collective sous le diktat des marques et de leurs slogans anesthésiants. Désormais, notre souveraineté de consommateur va reprendre ses droits. Il va falloir réfléchir au contenu de notre assiette. Peut-être même serons-nous encouragés à acheter plus d’aliments non transformés et à rouvrir nos livres de cuisine. Indéniablement, nous nous sentirons plus proches du seul et véritable producteur originel, à savoir la nature.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !