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Dans quel état se trouve la Libye deux ans après sa révolution ?
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Le pouvoir des milices

Deux ans après la révolution libyenne, le bilan est lourd et difficile. La Libye s’enlise dans la violence. Hormis le secteur du pétrole, les grands travaux ne redémarrent toujours pas.

Hélène Bravin

Hélène Bravin

Hélène Bravin est journaliste, spécialiste des questions politiques et économiques liées au Maghreb.

Elle collabore actuellement avec Cahiers de l'Orient et la Revue de Défense Nationale (RDN) sur les questions de la Libye et du Mali. Elle fait également de la veille économique et politique pour des multinationales. Elle intervient aussi très régulièrement dans les médias.

Elle a publié récemment Kadhafi, vie et mort d'un dictateur (Bourin Editeur / Janvier 2012).

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Atlantico : Deux ans après la révolution, dans quelle situation se trouve la Libye ?

Hélène Bravin : La Libye s’enlise. Deux ans après la révolution, la Libye est aujourd’hui coupée en 5 zones (Misrata, Barqa, Djebel Nefusa et Zouwara, Zentan, la Zone du Sud avec les Toubous) ! Les milices constituées par des éléments tribaux ont constitués leur propre armée dans les quatre premières zones. A cela il faut ajouter de nombreux conflits tribaux. Ainsi que des populations en déshérence. Ces milices veulent rester maîtres des villes, des quartiers, et des édifices publics conquis par la force des armes par chacune des milices ou gangs. Cette mainmise, notamment sur les bâtiments ministériels ou lieux stratégiques (les aéroports, les bases militaires, les casernes militaires ou bien les commissariats de polices…) ont amené ces milices à avoir une emprise directe sur les politiques libyens. En outre, certaines milices ont tenté l’aventure politique. C’est le cas des milices de Abdulhakim Bel Haj qui a constitué son propre parti, « El Watan », lors des élections de juillet 2012. Il n’a obtenu aucun siège. Via les purges orchestrées notamment par la Haute Commission pour l’Intégrité et le Patriotisme (HCIP) –bientôt remplacée par un comité d’ « isolation »-, principalement constituée d’islamistes, les milices notamment islamistes ont par ailleurs réussi à pénétrer les administrations et les entreprises nationales.

Cette mainmise risque à long terme, si rien n’est fait pour freiner les velléités du Qatar et de l’Arabie Saoudite qui financent les mouvements islamistes, d’entraîner une forme d’exclusion nouvelle en Libye : l’attribution des postes sur une base tribalo-religieuse. Ces  milices veulent aussi rendre justice. Lourdement armées, elles ont crié vengeance pour les exactions commises durant la révolte faisant ainsi fuir entre 1 à 1,5 millions de pro-Kadhafistes et leurs familles en dehors des frontières du pays. Des vengeances aveugles ont de leur côté entraîné des milliers d’arrestations de personnes soupçonnées d’avoir appartenu à l’ancien régime. Ou tout simplement parce qu’elle possède quelque richesse. Il ne faut pas se faire d’illusion, ces milices ou gangs sont uniquement avides d’argent et de 4x4. Leur intégration dans l’armée régulière fait d’ailleurs l’objet d’incessant chantage. Elles veulent avant tout percevoir leur solde tout en gardant leur structure hiérarchique. Enfin, certaines milices d’obédience salafistes veulent instaurer exclusivement la charia et n’hésitent pas à s’en prendre aux tombes des marabouts ou à la communauté chrétienne, du jamais vu en Libye ! Enfin, ces milices veulent diriger les trafics. En cela, il est à prévoir qu’elles entreront directement en conflit avec les cellules des salafistes djihadistes, al Qaïda dont les cellules se restructurent. Avant l’intervention française, il a été fait l’écho d’instructeurs venus du Mali pour former ces cellules aux techniques de kidnapping, de camouflage des armes….Depuis l’intervention au Mali, certains djihadistes sont passés en Libye.

Ces éléments existaient déjà en Libye bien avant la révolte ?

Tout à fait. Et à mon sens ils ont été largement sous-estimés lors de l’intervention en Libye. Ces éléments de la Nouvelle Libye tirent leur origine de bien avant la révolte. Ce explique la grande difficulté à les déraciner. Et ne sont en aucune façon des éléments post-« révolutionnaires », nés spontanément lors de la révolte. Les gangs sont ainsi apparus au début des années 1990 –période de l’embargo – au cours desquelles la Libye est en pleine déliquescence et où Kadhafi décide de la quasi-disparition des comités révolutionnaires (1995), sorte de milices de l’ordre et gardiennes de l’idéologie Kadhafienne. Dans ce vide, ces gangs se sont engouffrés. Kadhafi réussira à les atomiser sans les faire pour autant disparaître. Même chose pour les islamistes. Au début des années 1990, les mouvements islamistes explosent prenant ainsi le relais des comités révolutionnaires en désuétude. Malgré la répression menée par Kadhafi et qui à cette époque –faut-il le rappeler- touche essentiellement les islamistes, ils prennent pied. De nombreuses cellules se forment notamment sous l’égide de Mohamed Hamed Abou e-Nasser, le « guide » des Frères musulmans en Libye. Des mouvements islamistes armés ont également surgit dans la société de Kadhafi. Issus de la guerre en Afghanistan -1979, début des années 1980-, ces vétérans soudainement sans mission sont revenus en Libye formés des groupuscules. Tout comme les Frères musulmans, leur nombre explose aussi durant les années 1990 au cours desquelles ils mènent une guerre de maquis contre Kadhafi. Celui-ci est alors le premier à lancer en 1995 un mandat d’arrêt international contre Ben Laden ! Le combat de ces islamistes va se prolonger jusqu’au milieu des années 2000. Dans celui-ci, les Frères musulmans leur prêtent main forte.

Kadhafi a tenté une conciliation avec les islamistes ?

Oui et cela n’a rien donné. En 2003, Seif El Islam, le deuxième fils de Kadhafi, actuellement aux mains de la milice de Zentan, au nom d’une réconciliation –pratiquée par d’autres pays- libère des islamistes emprisonnés en Libye, aux USA, mais aussi dans d’autres pays notamment africains en lutte contre le terrorisme. Il souhaitait en faire des alliés. De son côté, son père Kadhafi d’accord sur leur libération, le fera pour d’autres raisons. En autres, afin de les utiliser contre les Occidentaux, lesquels, à son sens, traînaient les pieds pour une véritable intégration de la Libye sur la scène internationale. Tout en les surveillant de très près et en menaçant de les réprimer au moindre faux pas, son chantage était de signifier : c’est mon régime ou eux. En dépit de cette réconciliation, certains d’entre eux portent allégeance en 2006 à Al Qaïda. C’est le cas de certains chefs, tels que Abdulhakim Belhaj, d'Abou Yahya el-Libie (numéro deux d’Al Qaïda, de son vrai nom, Mohamed Hassan Qaïd, tué au Pakistan par un drone américain en juin 2011), Sufian al-Quma, le chauffeur personnel d’Oussama Ben Laden et Abdul Hakim el-Hasadi qui a combattu en Afghanistan avant de rejoindre l'insurrection libyenne. Durant la révolte de février 2011, les islamistes djihadistes étrangers ont indéniablement encadré les manifestants. Des éléments d’Al Qaïda et particulièrement d’AQMI (Al Qaïda au Maghreb Islamique) sont venus prêter main-forte à leurs frères Libyens.

Quelle est la stratégie du gouvernement pour contrer ces milices ? 

Le gouvernement utilise apparemment plusieurs stratégies. La première est l’intégration des milices dans l’armée nationale. Pour l’instant, celle-ci a eu un impact très limité. Une seule milice a intégré l’armée et encore en gardant ses propres structures, autrement dit son chef ! Par ailleurs, le gouvernement a employé une autre stratégie dangereuse. A la fin de la révolte, il n’a cessé de « déléguer » les milices pour le règlement de conflits tribaux. L’exemple type étant celui de Sabha (Sud), l’ancien fief des Kadhadfa et des Maghraha, la tribu de Abdesselam Jalloud, l’ex numéro deux du régime. Les Toubous se sont battus contre la puissante tribu des Oulad Slimane. Hormis le fait de déclencher une dynamique lucrative pour les milices, des éléments tribaux ont fini par se liguer à leur tour contre les milices. Enfin, au mois de novembre dernier, le gouvernement a choisit l’alliance. Il s’est allié aux milices de Misrata contre Beni Walid, considéré comme un fief de la résistance Kadhafiste ! En cela, il n’a pas joué son rôle pacificateur –le problème principal entre Beni-Walid et Misrata étant celui des prisonniers détenus de part et d’autre-. L’opération a certes été dévastatrice mais du coup, l’"unité" de Misrata en est ressortie renforcée. La stratégie qui viserait par ailleurs à utiliser une « unité » non intégrée contre d’autres "unités" risque aussi de faire de sérieux ravages. Comment pourrait in fine se régler un conflit par exemple entre la milice de Zentan et la milice de Misrata ? En outre, si tenté il se réglait par la victoire d’une unité sur l’autre, le pouvoir central devra surfer sur le bon vouloir de l’unité victorieuse. En cela il sera fragilisé. Autre stratégie : certains politiques misent sur les laissés pour compte de la révolution ou encore sur la carte tribale afin de renforcer leur légitimité pour parvenir à pacifier la Libye. Si cette stratégie n’a pas encore donnée ses fruits, une chose est sûre : plus le temps passera plus il sera difficile de désarmer les milices. Il ne faut pas en effet perdre de vue que le chômage existait sous Kadhafi et qu’il existe encore. Comment convaincre un jeune sans diplôme de rejoindre une administration, une usine ou de monter sa propre entreprise alors qu’il peut vivre des trafics d’armes ou autres ? Difficile.

Une loi vient de passer qui autorise la polygamie sans le consentement de l’épouse. Est-ce un retour en arrière ?  

Complètement. Il faut savoir que la Libye est un pays très traditionnel surtout vis-à-vis des femmes. Kadhafi a tenté de poursuivre l’œuvre du Roi Idriss 1er concernant leur statut. Il les a fait travailler, aménager des crèches dans les entreprises, améliorer la loi sur le divorce et surtout il avait encadré la polygamie, qui était son cheval de bataille face au très fort conservatisme de la société. Elle était difficilement autorisée. Il fallait le consentement de la femme et d’un juge. Aujourd’hui, il a été décidé d’abroger le consentement de la femme. Ceci est très dommageable pour les femmes, lesquelles sont souvent prises en otages par certains hommes en mal de pouvoir et qui veulent asseoir leur autorité en les dépouillant de leurs droits d’exister librement et harmonieusement.

Kadhafi a utilisé le viol des filles de hauts gradés comme arme politique, comme on le prétend ?

C’est mal connaître le rôle de l’armée sous Kadhafi. Cette armée s’est révoltée pour moins que cela et elle a été réprimée. Les hauts gradés appartenaient à des tribus, des clans. Les toucher en leur cœur c’était se mettre à dos ces derniers et briser les équilibres très fragiles mis en place par Kadhafi et qui lui ont permis de rester au pouvoir pendant 42 ans.

Sur le plan économique. Où en est-on ?

Hors le secteur du pétrole, les grands chantiers commencés avant 2011 sont bloqués. Le gouvernement n’arrive pas à prendre la bonne position vis-à-vis des entreprises étrangères. Au début, il voulait réviser leurs contrats parce qu’ils avaient été, selon lui, passés sur la base de commissions occultes. Or il y a eu un retour de bâton suite à cette initiative. Certaines entreprises ont voulu renégocier en augmentant leur prix et en demandant une compensation financière pour les dommages subis pendant et après la révolte. Du coup, le gouvernement a fait machine arrière. Il ne serait plus question de revisiter les contrats, mais de les poursuivre tel qu’ils avaient été conclus sous l’ancien régime et qui étaient très avantageux pour la Libye. La deuxième raison du blocage est la suspicion mutuelle qui règne en haut lieu. Les hauts responsables s’accusent mutuellement de corruption. Tout ceci est à suivre.

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