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Les pharmaciens font-ils encore leur travail ?
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Monopole

Michel-Edouard Leclerc relance la bataille de la vente de médicaments dans les supermarchés. Les pharmaciens résistent. Le monopole de vente dans les officines est-il à jeter ou à sauver ?

Mathieu  Escot

Mathieu Escot

Mathieu Escot est économiste. Il est Chargé de mission santé pour la fédération d'associations de consommateurs UFC-Que Choisir.

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Atlantico : Le groupe Leclerc relance son offensive contre le monopole des pharmaciens dans la vente de médicaments. Qu'est-ce qui justifie la défense acharnée de ce monopole par les officines ? Pourquoi une enseigne de grande distribution, ne pourrait pas vendre des médicaments, en employant même des pharmaciens ?

Mathieu Escot : Pour le dire clairement, les pharmaciens veulent protéger une rente, celle du médicament en automédication, celui que l'on peut acheter sans ordonnance. Sur ce type de produit, ceux que Leclerc veut pouvoir vendre, la marge représente le double de celle des médicaments remboursables. Or, les consommateurs français n'ont pas naturellement le réflexe de faire jouer la concurrence entre les pharmacies. D'ailleurs depuis 2003 les pharmaciens doivent obligatoirement afficher dans leurs officines que le prix de ces médicaments est libre. Nous avons fait une étude en 2012 qui portait sur 650 pharmacies, et seules 11 % mentionnaient explicitement cette information. 

Il est fréquent aujourd'hui pour un client d'acheter un médicament sans ordonnance dans une pharmacie sans que le pharmacien ne lui pose de questions particulières. Pensez-vous vraiment que les justifications couramment utilisées pour conserver le monopole (un meilleur encadrement par un professionnel de santé de la vente d'un médicament) sont conformes à la réalité du terrain ?

Non, le conseil en pharmacie n'est vraiment pas fameux. Durant l'étude que nous avons menée en 2012 auprès de 650 pharmacies, nous avons fait une expérience. En nous faisant passer pour un client classique, nous avons demandé pour le même achat deux médicaments, l'aspirine et l'ibuprofène, dont tous les pharmaciens savent qu'il ne faut jamais les prendre ensemble. Nous voulions vérifier si le professionnels nous mettraient bien en garde. Et bien seul un pharmacien sur deux, sur les 650 de l'échantillon, nous prévient de l'incompatibilité de ces deux médicaments. L'autre moitié nous a vendu ces deux produits sans aucun conseil, aussi simplement que si vous alliez acheter le journal.

L'argument de l'encadrement par un professionnel de l'achat d'un médicament n'est donc pas pertinent. Rien n'empêche en outre de permettre la vente des médicaments sans ordonnance dans les grandes surfaces en obligeant cependant que cela soit dans un espace dédié, avec des vendeurs qui soient des pharmaciens. C'est d'ailleurs ce que nous souhaitons. Côté encadrement, ce ne sera pas forcément mieux que la situation actuelle dans les pharmacies, mais ça ne pourra pas être pire non plus.

Même si le monopole des pharmaciens est injustifié, est-ce forcément une bonne idée de multiplier les points de vente dans un pays qui est déjà l'un des plus gros consommateurs mondial de médicaments ?

La surconsommation française de médicaments ne vient pas de l'automédication, la France est même plutôt en retrait dans ce domaine. L'explication est plutôt à chercher dans le bon niveau de remboursement des frais médicaux en France, qui pousse à l'achat de médicaments. La consommation excessive reste cependant un problème, je pense donc qu'il ne faut pas empêcher les grandes surfaces de vendre des médicaments, mais plutôt en interdire la publicité et mettre en place un système d'étiquetage un peu comme sur les paquets de cigarettes, pour bien rappeler que les médicaments sont des substances actives et ne sont pas des produits anodins. Aujourd'hui on sanctuarise la vente dans les seules pharmacies alors que l'information y est légère, il faudrait mieux libéraliser l'accès aux médicaments en insistant sur l'information justement.

Entre cette nouvelle offensive pour vendre des médicaments dans la grande distribution, et la vente déjà existante de médicaments en ligne, le modèle classique du monopole des pharmacies n'est-il pas obsolète ? Correspond-il toujours aux attentes des patients, notamment de ceux qui sont habitués à l'automédication ? 

Des attentes pour d'autres formes de médication existent maintenant. Et quand on voit l'essor que prend la vente de médicaments sur Internet, ne pas vouloir en vendre dans la grande distribution n'a plus de sens. Libéraliser la vente apporterait aussi un vrai gain économique en faisant baisser le prix des médicaments : une étude a montré que l'ensemble des économies pour les consommateurs représenterait 270 millions d'euros, et que le budget alloué par chaque Français à son automédication baisserait de 16 % par an. Il ne s'agit pas de dénigrer la totalité du modèle, les officines restent encore utiles. Nous voulons la fin du monopole des pharmacies, mais pas la fin des pharmaciens.

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