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"On ne peut pas réduire les mutins à des enfants gâtés et mal éduqués"
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Equipe de France

Patrice Evra et Franck Ribéry de retour chez les Bleus pour le match France-Luxembourg de ce vendredi 25 mars. Ils n’avaient plus portés le maillot tricolore depuis l’épisode de la grève des joueurs lors de la dernière Coupe du Monde.

Stéphane Beaud

Stéphane Beaud

Diplômé de Sciences Po, Stéphane Beaud est agrégé de sciences sociales. Il intervient en tant que professeur à l'ENS. Son dernier ouvrage revient sur les évènements  malheureux  de la Coupe du Monde 2010 : Traîtres à la nation ?

 

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Atlantico : Qu'est-ce qui vous a intéressé, en tant que sociologue, dans l’épisode des mutins de l'équipe de France ?

Stéphane Beaud : J’ai été frappé par la façon de dramatiser une question sportive à propos d’une équipe qui ne valait pas tripette. Je trouvais qu’il y avait un décalage entre une grève de joueurs et son hyper médiatisation. Avec cette façon d’en faire une affaire de banlieue, de « caïds immatures » selon l’expression de Roselyne Bachelot.

Cet épisode, selon moi, est un révélateur des contradictions de la société française. Ces joueurs de foot sont autre chose que l'image qu'on a bien voulu donner d'eux : ce ne sont pas de simples méchants enfants de banlieue mal élevés qui contestent le drapeau et ne chantent pas La Marseillaise.

Comment expliquer que cette grève soit devenue une affaire politique ?

Depuis la victoire à la Coupe du monde en 1998, une fonction sociale est assignée à l’équipe nationale. Une petite musique aussi : « il y a trop de noirs en équipe de France ». C’est l’argument politique qui marche et qui alerte les médias tout de suite : Le Pen, Finkielkraut, Frêche… c’est devenu une sorte de marronnier politico-sportif capable de faire oublier tout le reste. Comme le dit Platini – qui durant sa carrière ne chantait pas La Marseillaise – avant, les gens ne s’intéressaient pas aux origines des joueurs, ou s’ils chantaient ou non l’hymne national.

Il y a donc bien un contexte lié à la crise dans lequel la France vit et s’enfonce depuis des années. Le foot est un sport populaire auquel on demande beaucoup trop.

Dans les années 2000. Il y a eu le 11 septembre 2001, le 21 avril 2002 et les émeutes de 2005. Cette grève médiatisée est la réplique de la grande secousse fondatrice des émeutes de 2005 où l’on avait mis l’accent sur ces jeunes laissés pour compte. Cinq ans plus tard, le regard est braqué sur une autre catégorie : l’élite des cités qui s’en sort bien, trop bien, suspectée de ne pas respecter le drapeau.

Ribery, Evra et Abidal ont été présentés comme les meneurs de la révolte. Un simple hasard ?

Beaucoup d’entre eux viennent de milieux sociaux défavorisés. Mais ce sont des sportifs de haut niveau qui ont conscience de leur valeur. Ils ont du caractère, un caractère lié à leur passé social. Evra, Abidal et Ribéry ont été refusés plusieurs fois dans des centres de formation. Ils ont un parcours atypique pour des joueurs de foot. Evra a quand même commencé en troisième division italienne, puis il a remonté la pente. Ils ont tous les trois dû cravacher pour être acceptés.

Le fait que ce soient eux les « meneurs » n’a rien à voir avec des caractéristiques raciales. On les a étiquetés noirs de banlieue, de cités, donc « jeunes à casquette », rappeurs. On a construit un mythe du footballeur, cousin du rap, grand frère des émeutes, alors qu’ils sont très différents de cela.

Bien sûr, ils sont marqués par leur éducation et ils ont une fidélité au quartier : par exemple, Abidal, quand il débute en tant que professionnel à Lille, ses copains de quartier viennent le voir, il prête sa voiture à l’un d’entre eux et se retrouve en garde à vue parce que celui-ci est allé faire du trafic de shit en Belgique !  

Mais c’est un peu rapide de les réduire uniquement à des enfants gâtés et mal éduqués. Et quand on racialise l’analyse, on se trompe. Il y a le groupe des Antillais (Abidal, Gallas ou Henry) et celui des enfants d’origine africaine (Sagna, Mandanda, Diaby ou Diara). Ces derniers sont majoritaires dans l’équipe. Ils correspondent à une nouvelle génération de footballeurs, sages comme des images, comme Zidane. Ils jouent bien et respectent l’entraineur alors que les Antillais sont en fin de carrière et en conflit avec Domenech. C’est leur dernier tour de manège, ils arrivent dans une équipe qui ne se tient pas, ils vont mener la révolte, ils vont alimenter les menaces.

Et si l’on compare les mutins à Thuram, qui passe pour un footballeur politiquement engagé, le footballeur qu’aujourd’hui tout le monde aime…

Thuram, c’est peut-être celui qui a le plus condamné les mutins, il a été très violent. Disons que Thuram est construit par une histoire différente : il a grandi dans une cité et s’en est sorti seul. Mais, il le reconnait lui-même, il a été structuré par une société moins violente.

Les « mutins » ont un compte à régler, ils ont vu une partie des émeutes, ils ont des copains en prison, des copains rappeurs. Ils se rebellent contre l’ordre social. Simplement, ce ne sont pas des enfants de la classe ouvrière blanche des années 1970, ce sont des enfants d’immigration postcoloniale.

Ce sont des millionnaires aussi…

Millionnaires, certes, mais on peut être millionnaire et avoir des valeurs de solidarité, comme Léon Blum ! Et ce ne sont pas eux qui ont réclamé l’argent : on le leur a donné.

Mais cela parait indécent dans un contexte de crise que des joueurs de foot millionnaires, voire milliardaires, puissent se rebeller et dire « non, je ne joue pas ». C’est perçu comme une attitude d’enfants gâtés.

Ils n’ont pourtant fait que suivre les conseils de Stéphane Hessel : ils se sont indignés…

La différence c’est que Stéphane Hessel est normalien, résistant, ambassadeur et a une belle et grande histoire derrière lui. Eux non. Ce ne sont pas de grands causeurs. La grande question finalement c’est l’hybridité sociale de ces joueurs qui sont à la fois très riches économiquement et perçus comme très pauvres culturellement. Alors c’est sûr, ce sont des proies faciles pour les journalistes, les humoristes et les intellectuels. Moi, en bon sociologue, je considère qu’on doit prendre tous les gens au sérieux, quelque soit leur étiquette.

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