Après Montebourg, Mittal sous la pression de l'Europe : y a-t-il quelque chose de pourri au royaume de Lakshmi ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Existe-t-il des failles dans le pays du groupe Mittal ?
Existe-t-il des failles dans le pays du groupe Mittal ?
©Reuters

Bête noire

Bruxelles a demandé à au PDG d'ArcelorMittal de geler la fermeture des sites en attendant un plan destiné à relancer la sidérurgie. Mauvaise évaluation de la demande, erreurs de stratégie... Existe-t-il des failles dans le pays du groupe Mittal ?

Frédéric  Le Roy

Frédéric Le Roy

Frédéric Le Roy est professeur à l’Université Montpellier I (ISEM) et au Groupe Sup de Co Montpellier. Ses recherches portent sur le management des relations de concurrence et sur l’entrepreneuriat de haute technologie.

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Atlantico : Arnaud Montebourg et le ministre de l'Économie de la région francophone de Belgique, Jean-Claude Marcourt, ont fait front commun face au géant de l'acier ArcelorMittal suite à la demande du commissaire européen à l'industrie Antonio Tajani de surseoir à la restructuration de ses aciéries mercredi. Mauvaise évaluation de la demande, erreurs de stratégie... Existe-t-il des failles dans le pays du groupe Mittal?

La logique à l'œuvre est celle d'un grand groupe qui raisonne sur une base mondiale. Les implantations industrielles en France et en Europe ne sont qu'une partie de l'organisation industrielle du groupe. De même, les marchés en France et en Europe ne sont qu'une partie de l'ensemble des marchés du Groupe.

Les groupes comme ArcelorMittal ajustent l'implantation de leurs capacités de production aux évolutions des différents marchés. Ils ont une faible sensibilité à l'impact sur les territoires de cette stratégie d'ajustement. Le Groupe Mittal est à peine plus sensible aux effets de sa stratégie dans son propre pays d'origine.

Comme la plupart des grands groupes, ArcelorMittal a une base nationale faible. Comme la plupart de ces grands groupes, il réduit ses capacités de production dans les pays où la demande est faible ou en récession, pour les reporter dans les pays où elle est en forte croissance. Or, l'industrie en général se redéploie dans les pays émergents. ArcelorMitall, en quelque sorte, ne fait que suivre l'évolution de la demande. Au delà de phénomènes conjoncturels, la stratégie de ce groupe est une adaptation de ses moyens de production au déplacement de l'industrie consommatrice d'acier des pays développés vers les pays émergents.

Seule une relocalisation des industries consommatrices d'acier dans les pays développés pourrait inverser cette tendance. Il n'y a donc pas à proprement parler d'erreur de stratégie. Au contraire, du point de vue purement stratégique, ArcelorMittal a bien intérêt à réduire ses capacités de production en Europe. Un plan de relance de la sidérurgie n'a de sens que si les capacités industrielles de l'Europe, consommatrices d'acier, sont également relancées. Ce n'est pas la tendance et ArcelorMittal, dans sa logique de grand groupe sans véritable attachement territorial fait, de son point de vue égoïste, les bons choix.

Les investissements faits par Lakshmi Mittal en France servent-ils de variable d'ajustement lorsque le marché est défavorable ?

Oui c'est certain. Mais en l'occurrence il faudrait plutôt parler de désinvestissements. Pour suivre la croissance de la demande mondiale, ArcelorMitall est plus dans une logique de désinvestissement progressif que d'investissement massif. Quand on se réjouit que le Rafale soit vendu en Inde, sous condition que la production se fasse en Inde, cela induit, et on le dit moins, que la localisation de la production d'acier pour les Rafales va également se faire en Inde plutôt qu'en France !

Le patron indien est largement critiqué pour ses décisions tranchante. Ne prend-il pas assez de risques ?

Le risque que prendrait le patron indien serait de laisser trop longtemps des capacités de production inemployées en France. Le redéploiement de l'industrie vers les pays émergents est une tendance de fond et ne pas s'y conformer pourrait s'avérer risquée pour l'entreprise. Les décisions du patron d'ArcelorMittal sont les mêmes que celle que prend le patron d'Airbus quand il localise en Chine ses usines de production des Airbus pour le marché Chinois. Il installe ses capacités de production dans les pays qui ont le plus fort potentiel de marché.

Il ne faut pas s'y tromper, les grands groupes sont dans des logiques de marchés globaux alors que les politiques sont des logiques nationales. Ils constatent les dégâts sur leurs territoires mais n'ont pas vraiment de pouvoir politique pour s'opposer aux tendances de fond. Ou alors il faudrait prendre des mesures vraiment radicales pour arrêter le mouvement de désindustrialisation de l'Europe.

Avons-nous une responsabilité dans la politique du groupe Mittal en matière de contrôle des aides à l'investissement et à l'emploi par exemple ?

Les stratégies des grands groupes mondiaux échappent en grande partie aux pouvoirs des politiques nationaux. De même, l'espace continental semble également trop petit pour peser sur leurs choix. Les aides à l'investissement et à l'emploi jouent un rôle assez marginal dans leurs décisions, qui suivent des tendances de fond du capitalisme. Le problème vient donc du fait qu'il n'existe pas de coordination politique suffisante au niveau inter-continental.

Ce n'est que si les différentes autorités politiques nationales et intra-continentales travaillent ensemble qu'elles pourraient reprendre un ascendant sur les grands groupes et vraiment peser sur leurs choix stratégiques. De deux choses l'une. Soit le monde rentre dans une mouvement de "démondisalisation économique" qui redonne du pouvoir à l'échelle nationale et intra-continentale, ce qui est tout de même peu probable et sans doute pas souhaitable, soit le monde politique se donne les moyens de contrôler le monde économique globalisé en se dotant des institutions pour le faire.

Il est à craindre que des mouvements sporadiques au niveau national comme la menace d'une nationalisation pèse peu dans les choix stratégiques de grand groupe qui raisonnent sur une base mondiale. Un mouvement concerté au niveau européen peut sans doute avoir un meilleur impact. Un mouvement concerté au niveau d'institutions de coordination politique au niveau mondial, qui restent encore à inventer, aurait un impact encore plus grand. Bref, si le politique national veut peser sur les choix des grands groupes comme ArcelorMitall, il doit se soucier de créer avec les autres autorités nationales des instances politiques qui englobent l'ensemble de l'espace dans lequel évolue les grands groupes.

A la mondialisation économique doit répondre la mondialisation politique. Sans cet effort, il est à craindre que les politiques soient relativement impuissants par rapport aux décisions d'un ArcelorMittal et à leurs impacts sur les territoires. Les obliger à rembourser des aides est certes légitime mais risque d'avoir un impact faible sur leurs choix.

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