Et la croissance ne vint pas... toutes ces promesses que le gouvernement va être contraint d'enterrer (et comment ?)<!-- --> | Atlantico.fr
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La France a connu une croissance nulle en 2012.
La France a connu une croissance nulle en 2012.
©Reuters

Faire avaler la pilule

La France a connu une croissance nulle en 2012. Le dernier trimestre a été particulièrement mauvais, avec un recul de 0,3 % du PIB, a annoncé l'Insee ce jeudi matin.

Mathieu Mucherie Thomas Guénolé Eric Verhaeghe

Mathieu Mucherie Thomas Guénolé Eric Verhaeghe

Mathieu Mucherie est économiste de marché sur Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

 


Thomas Guénolé est politologue à à Sciences Po, maître de conférence à Sciences Po et professeur chargé de cours à l'Université Panthéon-Assas.

 


Éric Verhaeghe est l'ancien Président de l'APEC (l'Association pour l'emploi des cadres) et auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr
Diplômé de l'ENA (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un DEA d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.


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Atlantico : Après les hésitations de Laurent Fabius et Jérôme Cahuzac, le ministre de l'Economie et des Finances, Pierre Moscovici s'est déclaré ouvert à une éventuelle révision de son objectif de 0,8% de croissance en 2013, et de 3% de déficit en 2013. "Nous savons qu'ils sont difficiles, c'est l'évidence" a t-il déclaré. Alors que les économistes et les institutions internationales telles que le FMI ou l'OCDE considéraient ces objectifs comme trop ambitieux, le gouvernement a t-il présenté aux Français un programme qu'il savait intenable ?

Mathieu Mucherie : Ce vendredi tombent les chiffres de la croissance au 4e trimestre 2012, ils vont être (aucun scoop là dedans) calamiteux, or la croissance 2013 est jouée d’avance (statistiquement parlant) une fois connus les chiffres du quatrième trimestre de l’année précédente et le premier de cette année (qui n’a pas commencé sur les chapeaux de roue, c’est le moins que l’on puisse dire : chute des enquêtes, mauvaises ventes, industrie en panne…). Une question dite d’acquis de croissance, en quelque sorte un effet de base (si vous ne comprenez pas mais que vous aimez le tennis, pensez à la méthode de calcul du classement ATP).

Donc, nous sommes foutus : -0,5% sur 2013 probablement, à 0% il faut signer tout de suite, et à +0,8% il faut remercier l’Esprit Saint. Tout cela est un jeu de rôles, Chirac et Sarkozy ont fait la même chose pendant des années. Ce n’est pas très grave, la sincérité des comptes publics est de toute façon compromise de 25 façons différentes et souvent plus graves que le trafic des prévisions. Ce qui est gênant tout de même, outre le comique de répétition un peu lassant, c’est que la parole de la France ne vaut vraiment plus rien auprès de nos partenaires : ces derniers pratiquent souvent eux aussi ce genre de manipulations, mais ils n’en sont pas fiers et cherchent à se réformer.

Eric Verhaeghe Il faudrait poser la question au gouvernement lui-même ! En revanche, chacun savait (et tous les Français étaient supposés le savoir) que réduire le déficit de 4,5% à 3% du PIB en un an, cela se traduisait par une économie de 30 milliards d'euros en un an. Souvenons-nous qu'en 2011, Sarkozy avait imposé une cure d'austérité à hauteur de 11 milliards, et ce qui sont devenus la majorité avaient à l'époque considéré l'effort comme très lourd. Pouvait-on raisonnablement imaginer qu'une économie trois fois supérieure à ce que Nicolas Sarkozy avait péniblement obtenu passerait comme une lettre à la poste ? Sur ces entrefaites, le gouvernement a annoncé 20 milliards d'euros de réduction d'impôt pour les entreprises. Soit un effort total à fournir pour 2013 à hauteur de... 50 milliards. Seul un plan drastique d'économies permettrait de parvenir à cet objectif... Plan dont personne n'a vu la moindre couleur jusqu'ici.

Thomas Guénolé Il faut prendre en compte l’extrême instabilité et l’extrême fragilité du système financier mondial, auxquelles s’ajoutent les multiples incertitudes sur les politiques économiques et monétaires des grandes puissances mondiales, ainsi que leurs multiples revirements. Dans un contexte à ce point incertain, tout exercice de prédiction de l’évolution de la croissance du produit intérieur brut français sur un an relève de l’estimation au doigt mouillé. Au reste, aussi bien le gouvernement français que le FMI, l’OCDE ou la Commission européenne sont des récidivistes du pronostic erroné. Cela posé, on ne peut donc pas reprocher au gouvernement français que ses prévisions de croissance soient incertaines. C’était d’ailleurs également arrivé aux gouvernements précédents ces dix dernières années, aussi bien dans le sens de résultats moins bons que dans le sens de résultats meilleurs que prévu.

Par incidence, la réalisation des objectifs de réduction du déficit dépendant des moyens financiers de l’Etat, qui dépendent de la croissance, on ne peut pas reprocher au gouvernement de corriger le tir au fil de l’eau, plus précisément au fil des collectifs budgétaires. En outre, François Hollande et Pierre Moscovici ayant pris soin de répéter en boucle pendant la campagne électorale que des efforts supplémentaires seraient requis si des économies supplémentaires s’avéraient nécessaires, on ne peut pas non plus reprocher au gouvernement de ne pas avoir prévenu les Français.

Par conséquent, quelles mesures du programme et des promesses de François Hollande devraient être rognées ? Lesquelles le seront réellement sur le plan politique ?

Mathieu Mucherie : Les promesses du candidat-Président doivent être appliquées à 100%, bien entendu : d’une parce que ce serait plus démocratique (les fonctionnaires ont voté pour une société de fonctionnaires, ils ont gagné, il faut donc livrer le produit), d’autre part au point où nous en sommes il vaudrait mieux voir un échec monumental (idéalement assorti d’un dégonflement de la bulle immobilière et d’une mise sous tutelle par la BCE, ah ça pardon c’est déjà fait) qu’un scénario type 1983 vaguement réformiste mais sans le dire. Que nos élus assument, on verra bien comment discuter après, avec les rares entrepreneurs qui auront survécu.

Thomas Guénolé : Tout dépend. Si le gouvernement français obtient des autorités européennes un délai supplémentaire pour réaliser son objectif de réduction du déficit pour l’année 2013, ou s’il obtient un assouplissement de cet objectif, alors il n’y aura pas d’économies supplémentaires requises. En revanche, à objectif constant de réduction du déficit, une croissance moindre implique des recettes moindres et donc des économies supplémentaires requises. Selon la Cour des comptes, soit une croissance du produit intérieur brut de seulement 0.3%, le déficit public serait de 3.25% du PIB. Cela supposerait donc, pour rester dans les clous, des mesures supplémentaires d’économies portant sur 0.25% du PIB : en arrondissant ce PIB à 2000 milliards d’euros, cela fait 5 milliards d’euros.

En résumant, le gouvernement aurait alors un choix politique à faire entre trois grandes possibilités habituelles. La première serait de rogner une flopée d’avantages fiscaux et/ou sociaux bénéficiant à telle ou telle catégorie, l’archétype étant le rabot uniforme sur l’ensemble des niches fiscales. La deuxième serait d’augmenter des impôts à assiette large, l’archétype étant la TVA dont, d’ailleurs, une augmentation d’un point du taux normal rapporterait à elle seule plus de 5 milliards d’euros mais serait très impopulaire. La troisième, et la plus courante, serait un mélange des deux premières, mâtiné le cas échéant d’augmentations sur des populations « captives » : fumeurs, consommateurs d’alcool, véhicules consommant du carburant, amendes pour excès de vitesse. Au demeurant, dans un de ses entretiens filmés accordés à Jean-Pierre Elkabbach, François Mitterrand, en fin de présidence, remarquait déjà que quand le budget est difficile à boucler, "on finit toujours par augmenter le tabac et l'essence."

Eric Verhaeghe : J'imagine que la promesse de retour à la compétitivité par une baisse de 20 milliards d'impôts sera très difficile à tenir. Dans la mesure où elle profite aux entreprises, il est tentant de la rogner très fortement, car c'est politiquement et techniquement beaucoup plus facile à réaliser qu'une diminution des dépenses. Pour diminuer les dépenses, il faut en effet affronter son administration, et surtout son administration centrale et les grands corps de l'Etat. Or le budget 2013 a touché à tout, sauf aux crédits de ces grandes machines bureaucratiques totalement improductives.

Le gouvernement est dans une situation comparable à celle de Louis XVI dans les années 1780 : pour retrouver l'équilibre des finances publiques, il faut se fâcher avec la Cour qui fait le pouvoir au jour le jour. C'est très impopulaire, et très inconfortable. Mais c'est incontournable.

Comment vont-ils faire accepter ce "virage" aux Français ?

Mathieu Mucherie : Il n’y a aucun virage : le gouvernement depuis le début ne s’est pas donné les moyens de respecter cet objectif idiot, ce qui n’est pas plus mal, et tout le monde le sait depuis des mois (à commencer par les marchés obligataires, qui de toute façon s’en moquent totalement), et il n’y a aucune conséquence ni sur les taux ni sur l’opinion. Les Français avalent tout, c’est d’ailleurs à ça qu’on les reconnait. Et plus c’est gros, plus ça passe. Par exemple, ce peuple a accepté au cours des années 90 une dépossession monétaire unique dans l’Histoire à la suite d’un unique référendum passé à 51% des voix : et tout le monde a trouvé très démocratique qu’un changement aussi profond de l’ordre social (et « irréversible », à ce qu’il parait) puisse passer avec 51% d’approbation (toute ressemblance avec des débats de société récents, etc…). Aucun risque de vraie remise en cause, l’esprit critique a disparu et la culture économique n’est pas même apparue.

Lorsque vous expliquez que la réduction des déficits n’est peut-être pas une priorité vue la crise et vu l’OAT (les Obligations assimilables au Trésor, les emprunts de l'Etat français, ndlr) 5 ans à 0,7%, les gens (les mêmes qui découvrent une orthodoxie de bazar depuis quelques mois après avoir fauté pendant 30 ans) vous regardent comme si vous étiez un marxiste-léniniste. Lorsque vous prônez une détente monétaire massive, en clair une dévaluation de 40% (comme Friedman, comme Fisher, comme Rueff, dans de pareilles circonstances), les gens pensent que vous allez chercher vos idées chez Mélenchon, le monétariste bien connu.

Lorsque vous montrez le graphique des déficits et de la dette publiques depuis 30 ans (je vous résume le truc : ça monte, ça monte) avec sur la même période le profil des taux d’intérêt (ça baisse, ça baisse), les gens ne comprennent pas et il n’y a pas 5 députés dans tout l’hémicycle qui sauraient vaguement expliquer le phénomène. Mais j’arrête là car on va encore me parler de la vanité et de la prétention des économistes, « toutes les opinions se valent », hein, il y a 65 millions de spécialistes des questions budgétaires, et puis tout est dans tout et réciproquement.

Thomas Guénolé : Il n’y aurait pas virage, simplement une intensification. La Cour des comptes estimant l’effort déjà prévu à 38 milliards d’euros, baisse des dépenses et hausse des recettes confondues, alors, 5 milliards d’euros représenteraient un effort supplémentaire de 13%. La justification en termes de message politique est toute trouvée : réduire la dette publique, tenir les engagements européens, éviter le sort de la Grèce, etc... Cela étant, il n’est pas interdit de s’interroger quant à l’impact aggravant d’une politique pro-cyclique sur l’évolution de la croissance. De fait, augmenter encore les impôts et/ou réduire encore les dépenses ressemble plus à la saignée des médecins de Molière qu’à une politique de retour à la croissance.

Eric Verhaeghe : Je crois que beaucoup de Français verraient d'un bon œil une réforme du pays en profondeur, dans la mesure où elle est porteuse de sens, d'espoir et de justice. Le blocage ne me semble pas venir des Français "ordinaires". La preuve: les plans sociaux s'accumulent, et personne ne descend dans la rue.

Le blocage vient d'ailleurs, en particulier de ce qu'on pourrait appeler la gouvernance de la société. La France est frappée par une réaction nobiliaire: les privilégiés du système s'organisent pour reporter l'effort vers les autres et ne pas remettre en cause un fonctionnement qui leur profite mais qui est à bout de souffle. Le seul avenir de la France est de se jeter à corps perdu dans l'innovation, qui est conforme à note génie national. Il faut dépasser les peurs, les angoisses et les conservatismes. Il faut concentrer l'effort sur ce qui rénove, et laisser mourir ce qui agonise. 

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