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Pyongyang a procédé à un nouvel essai nucléaire mardi.
Pyongyang a procédé à un nouvel essai nucléaire mardi.
©Reuters

Et boum

Pyongyang a procédé à un nouvel essai nucléaire mardi. En faisant cela, la dictature va à contre-courant de la politique prônée par Pékin, son seul allié.

Corentin  Brustlein

Corentin Brustlein

Corentin Brustlein est responsable du Centre des études de sécurité à l'Ifri et travaille sur la politique de défense des Etats-Unis, les processus d'adaptation et de transformation des armées, les opérations militaires contemporaines, les postures nucléaires et les défenses antimissiles.

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Atlantico : Le ministre chinois des Affaires étrangères Yang Jiechi a convoqué mardi l'ambassadeur de Corée du Nord en Chine et lui a fait part de sa réprobation après le troisième essai nucléaire nord-coréen organisé le même jour, selon Reuters. Pourquoi l'essai nucléaire nord-coréen pose-t-il un vrai problème à la Chine ?

Corentin Brustlein : Les intérêts chinois sur la péninsule coréenne sont traditionnellement résumés par une formule: “pas de guerre, pas d’instabilité, pas d’arme nucléaire”. Pékin veut en priorité éviter une nouvelle guerre, la précédente (1950-53) ayant été coûteuse tout en se soldant par le déploiement permanent de dizaines de milliers de combattants américains et la constitution d’une alliance extrêmement solide.

La Chine se trouve donc vis-à-vis de la Corée du Nord dans un dilemme qui n’est pas nouveau: comment avoir une influence sur le sort de la péninsule et assurer le maintien du régime de Pyongyang sans que ce dernier ne provoque une crise régionale majeure et une implication américaine accrue ? Face à la poursuite des provocations nord-coréennes, une seconde question s’est posée à Pékin, pendant de la première : comment faire pression sur le régime sans le faire chuter ? Ce troisième essai nucléaire n’est qu’un nouveau témoignage de l’impasse dans laquelle se trouve la politique chinoise à l’égard de Pyongyang.

La dépendance nord-coréenne à l’égard de la Chine est incontestable, notamment en termes d’approvisionnement en hydrocarbures ou pour l’afflux de cash en échange de matières premières nord-coréennes. Pourtant, cette dépendance avérée ne se traduit aucunement par une influence forte de Pékin sur les décisions de Pyongyang : en raison de sa crainte de voir un effondrement du régime, qui provoquerait un afflux massif de réfugiés et précèderait probablement une unification et la disparition d’un État tampon géopolitiquement fort utile, Pékin n’a jamais tenté de peser de tout son poids et de sanctionner Pyongyang lourdement.

Il a parfois fallu que la Chine soit placée par Pyongyang devant le fait accompli pour qu’elle accepte de voter en faveur de sanctions multilatérales (par exemple suite à l’essai de 2009). La Chine en a, par ailleurs, fortement limité l’impact en refusant de les compléter par des sanctions unilatérales, qui seraient de loin les plus efficaces.

En acceptant de fait d’accroître encore la dépendance nord-coréenne au cours des derniers mois, alors même que Pyongyang multiplie les provocations - y compris vis-à-vis de la Chine, dont elle a retenu prisonniers une vingtaine de pêcheurs en mai 2012, Pékin pourrait ainsi se voir enferré dans ses propres contradictions.

Les démonstrations de force du régime nord-coréen sont-elles de plus en en plus inquiétantes ? Le pays est-il en train de se doter d'un véritable arsenal  ? 

La Corée du Nord présente le paradoxe d’un État étant à la fois extrêmement dépendant d’un autre tout en apparaissant extrêmement difficile à influencer. Pyongyang s’est depuis longtemps placé dans une logique de chantage et de provocation, et l’incapacité chinoise à atténuer cette tendance, particulièrement visible depuis l’essai nucléaire de 2009, inquiète à juste titre. En termes militaires, la réussite du tir de missile balistique de décembre a témoigné des progrès accomplis par le pays dans ce domaine, et notamment de la maîtrise de la technologie de séparation des étages, qui permet de franchir un pas supplémentaire vers la possession de missiles de portée intercontinentale, étant par exemple capables d’atteindre le continent américain.

De nombreuses inconnues demeurent néanmoins: pour tenir le territoire américain sous la menace d’une arme nucléaire, il faut non seulement posséder un missile capable de parcourir une dizaine de milliers de kilomètres, mais également disposer d’une arme de volume et de poids suffisamment réduits pour qu’elle puisse être propulsée à de telles distances et qu’elle soit suffisamment protégée pour résister aux fortes chaleurs occasionnées par le retour dans l’atmosphère.

Sur ce plan, si Pyongyang a annoncé que le test d’aujourd’hui avait impliqué une arme “miniaturisée”, il est impossible à ce stade d’évaluer la véracité d’une telle déclaration. Le relevé de particules dégagées par l’explosion et s’échappant de la cavité de test pourrait permettre, au cours des prochains jours, d’affiner les hypothèses quant au type d’arme utilisée (notamment les matières fissiles - uranium hautement enrichi ou plutonium) et d’évaluer les progrès accomplis par la Corée du Nord.

Sur le fond, ce nouvel essai n’introduit par de rupture brutale dans la menace posée par Pyongyang, mais réaffirme celle-ci. Au-delà des provocations directes de la Corée du Nord, le tir pose également à plus long terme la question du fort risque de prolifération balistique et nucléaire posé par le régime.

Quels intérêts la Chine a-t-elle à ce que la région reste pacifiée ?

Il est clair que le maintien d’un statu quo sur la péninsule est, de loin, l’option privilégiée par Pékin. Or, plus Pyongyang provoque ses voisins, moins ce statu quo n’est tenable, et plus le risque d’escalade s’accroît. Il en va de même à l’échelle de la région, où Pékin souhaite avant toute autre chose limiter l’implication américaine.

Toute augmentation des tensions sur la péninsule est ainsi défavorable à la Chine, en ce qu’elle justifie dans la région des développements que la RPC estime menaçants : une intégration militaire toujours plus poussée entre les États-Unis et leurs alliés sud-coréens et japonais, des efforts militaires croissants des mêmes pays se traduisant notamment par le renforcement des capacités de défense antimissile balistique, et une présence militaire accrue des États-Unis dans la région. A ce titre, si le “pivot” américain vers l’Asie n’a pour le moment que des traductions militaires modestes, la détérioration radicale de la situation en Corée constitue l’un des facteurs pouvant pousser Washington vers des mesures plus significatives dont Pékin se garderait bien.

Y a-t-il une course à l'armement dans cette région ?

Le terme de course à l’armement doit être employé avec prudence, notamment parce qu’il donne l’impression que les choix militaires des différents pays de la région sont guidés par la seule compétition entre deux camps. Or les dynamiques stratégiques à l’oeuvre dans cette zone sont multiples, on est loin d’une stricte logique de “blocs” puisque des différends, voire des tensions, existent entre de nombreux acteurs autres que la République Populaire de Chine ou que la Corée du Nord : Japon-Corée du Sud; Japon-Taïwan; contentieux de mer de Chine méridionale, etc. Néanmoins, les appareils militaires de la région figurent parmi les plus “dynamiques” au monde : ils bénéficient ainsi de budgets croissants et de capacités de plus en plus modernes. Les revendications territoriales multiples, les provocations, et les accrochages navals de plus en plus nombreux devraient ainsi continuer de fournir un terreau favorable à la poursuite voire à l’intensification des efforts militaires des pays de la région.

Propos recueillis par Ann-Laure Bourgeois

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