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L'Occident a-t-il encore une longueur d'avance technologique ?
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Le lièvre et la tortue

Le chinois Huawei vient d'annoncer qu'il était prêt à commercialiser ses premiers smartphones haut de gamme afin de concurrencer le géant américain Windows.

Pierre Papon

Pierre Papon

Pierre Papon est ingénieur, Professeur émérite à l’ESPCI et membre du conseil scientifique de la Fondation Res Publica. Son blog www.pierrepapon.fr traite de questions d'énergie.

Il a récemment publié "Brefs recit du futur : prospectives 2050 sciences et sociétés" aux éditions Albin Michel.

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Atlantico : Le potentiel scientifique des pays émergents va croissant alors que la Chine a récemment annoncé qu'elle était prête à exporter son réacteur nucléaire, domaine qui était jusque-là la chasse gardée des compagnies françaises et américaines. Peut-on dire que l'hégémonie technologique des pays occidentaux touche à sa fin ou va-t-on vers un rééquilibrage logique avec les pays émergents ?

Pierre Papon : Je retiendrais davantage le scénario du rééquilibrage scientifique et technique plutôt que celui d’un déclin inéluctable des pays anciennement développés. Par ailleurs je dirais que seulement certains des pays émergents arriveront bientôt à un niveau leur permettant de nous concurrencer. La Chine est ainsi en bonne position et peut espérer arriver bientôt à un niveau équivalent de celui des pays européens ou des États-Unis. Les autres pays des BRIC, (Brésil, Russie et Inde…) ne totalisent de leurs côtés  pas encore suffisamment d’atouts pour rattraper leur retard. L’Inde développe des projets d’informatique légère et le Brésil possède quelques domaines d’excellence, notamment dans les bio-carburants, mais leurs niveaux globaux restent relativement faibles en comparaison des leaders technologiques que sont l’Europe, les États-Unis et le Japon.

L’Empire du Milieu est le mieux placé dans cette nouvelle compétition parce qu’il réalise depuis 25 ans des investissements massifs dans la Recherche et Développement (budget qui s’accroît de 20% chaque année, ndlr) pour atteindre aujourd’hui 1.8% du PIB national. Deng Xiaoping, premier réformateur du pays déclarait déjà en son temps que « la science et la technologie sont des facteurs de modernisation du pays » et l’on voit bien que ce principe s’applique toujours aujourd’hui. On peut affirmer par ailleurs que l’implantation de grandes multinationales américaines et européennes dans le pays a largement profité aux Chinois, ces derniers ayant su s’inspirer des innovations occidentales. Ils sont aujourd’hui capables de développer leurs propres technologies dans le domaine du nucléaire que vous citez, mais aussi dans l’aéronautique, le ferroviaire, l’automobile (projets d’hybrides), et la biologie (le séquençage rapide des génomes). Il y a toujours un retard clair dans tous ces domaines comparés aux équivalents occidentaux ou japonais mais l’ambition de les dépasser à terme existe bien, a fortiori lorsque l’on sait que les Chinois disposent aujourd’hui d’un vivier de chercheurs et d’ingénieurs bien formés.  

Mon hypothèse serait donc de dire que si l’Histoire suit un cours linéaire, la Chine sera, avec les États-Unis et éventuellement le Japon, le leader technologique de demain. Cette analyse exclut la possibilité d’une crise financière ou politique dans l’Empire du Milieu, phénomène qui n’est après tout pas inenvisageable.

Quelle place pour l'Europe dans ce contexte ?

L’Europe, prise dans son ensemble, a des atouts technologiques qui restent considérables. L’Union Européenne représente ainsi la plus grosse part de publications scientifiques dans le monde, juste devant les États-Unis. On peut néanmoins affirmer que dans plusieurs domaines (nucléaire et aéronautique non compris), le Vieux Continent accuse un certain retard, en particulier dans l’énergie, l’alimentation, la santé et le climat. Le principal handicap vient de l’incapacité à mettre en place une politique commune en particulier sur la question des nouvelles énergies. Le Japon, la Chine et les Etats-Unis ont pris tous trois des engagements chacun à leurs manières et il est en effet regrettable de voir l’Europe ne pas avancer sur cette affaire.

Une harmonisation des politiques de recherches n’est pas pour demain et l’on peut s’en désoler, le risque d’une relégation technologique étant tout à fait envisageable.

L'avancée technologique est l'un des principaux atouts des économies occidentales qui sont pénalisées par de forts coûts de production. Pourront-elles survivre à une compétition accrue des BRICs ?

Les pays occidentaux pourront survivre s’ils sont capables de maintenir dans des secteurs particuliers les atouts industriels qui sont les leurs. Prenons par exemple le domaine du solaire : les Chinois ont réussi à s’imposer sur ce marché grâce à des coûts de production extrêmement compétitifs en dépit d’une qualité moindre et la seule alternative pour les concurrents occidentaux est de penser au coup d’après en préparant la nouvelle génération de panneaux solaires (ce que font déjà les Japonais et les Coréens).

De manière plus générale, quelle stratégie l'Occident peut-elle adopter pour s'adapter à cette nouvelle donne ?

Il y a à tout le moins une nécessité de stratégie européenne, la question d’une stratégie « occidentale » étant difficilement envisageable, les Américains étant déterminés à jouer leur propre jeu. On peut imaginer des coopérations ponctuelles sur certains domaines, comme c’est déjà le cas, mais pas une sorte d’alliance technologique.

Pour revenir à l’Europe, la question de l’harmonisation des pays qui la composent pose problème, comme nous l’avons déjà dit. On le voit par exemple dans le domaine de l’alimentation avec le démantèlement souhaité par plusieurs de nos partenaires de la Politique Agricole Commune alors que la France la considère comme un sanctuaire. Le Vieux Continent n’arrivera selon moi à conserver ses avantages qu’à cette seule condition, sans quoi le risque de « passer sous le train » deviendra bien concret. Nous sommes encore capables, sur le plan de la main-d’œuvre comme du savoir, d’avoir une stratégie d’excellence globale qui nous permettrait de rester compétitifs sur l’ensemble des secteurs-clés. On pourrait penser en interne à une spécialisation de chaque nation sur un secteur particulier, mais dans l’ensemble, il n’y a aucune raison que nous revoyons nos ambitions à la baisse pour se maintenir dans la course technologique mondiale.

Propos recueillis par Théophile Sourdille 

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