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Le PC était-il le seul à pouvoir intégrer les catégories sociales les plus fragiles ?
©REUTERS/Eric Gaillard

Mort lente

Le PCF tient à partir de jeudi son 36e congrès. A un an des élections municipales de 2014, le communisme municipal semble en plein déclin. Pourtant, n’a-t-il pas joué un rôle important dans les banlieues difficiles en matière de lien social ?

Sylvain Boulouque

Sylvain Boulouque

Sylvain Boulouque est historien, spécialiste du communisme, de l'anarchisme, du syndicalisme et de l'extrême gauche. Il est l'auteur de Mensonges en gilet jaune : Quand les réseaux sociaux et les bobards d'État font l'histoire (Serge Safran éditeur) ou bien encore de La gauche radicale : liens, lieux et luttes (2012-2017), à la Fondapol (Fondation pour l'innovation politique). 

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Atlantico : Le PCF tient à partir de jeudi son 36e congrès. A un an des élections municipales de 2014, le communisme municipal semble en plein déclin. Le conseil général de Seine-Saint-Denis historiquement tenu par le PCF a été conquis par le PS lors des cantonales de 2011. Les municipales de 2014 peuvent-elles marquer la disparition totale de la banlieue rouge ?

Sylvain Boulouque : Il faut regarder le PCF dans une perspective plus large, l’ensemble de la gauche radicale est aujourd’hui en recul. Les élections de 2012 ont été en trompe l’œil, si l’on tient compte de l’ensemble des résultats électoraux des différentes listes, on constate qu'elle est en déclin à la présidentielle (à l’exception des résultats de 2007) et en chute libre aux législatives, cantonales, municipales. Par ailleurs, les derniers congrès des autres organisations de la gauche radicale marquent un recul en terme d’effectifs, d’audience et d’implantation : le NPA est traversé par une crise, le Parti de gauche a vu plusieurs départs et le PCF n’est pas plus en en forme. Si le PCF déclare posséder encore 130 000 adhérents, il semble être remis en cause par les chiffres effectifs des votes dans les scrutins préparatoires au congrès : moins de 35000 votes et le nombre d’adhérents à jour de cotisation est inférieur à 60000.

De plus, le communisme municipal a disparu depuis plusieurs années. Si l’on le définit comme le PCF le définissait des années 1930 aux années 1960 : "on peut marcher pendant des kilomètres sur des terres communistes", un appareil pléthorique, des relais associatifs etc… la banlieue rouge est morte depuis longtemps. Les conseils généraux de Seine-Saint-Denis et du Val de Marne représentent des buttes témoins, comme les appellent les géographes, d’un temps révolu. Depuis 1991, le PCF a pu survivre recroquevillé sur cet espace, comme il a encore pu végéter sur la CGT mais ce sont des signes du passé : il vit ses derniers moments.

Il est à l’heure actuelle impossible de dire si c’est la fin définitive ou s’il restera en 2014 des traces du communisme municipal. Cela dépend de l’alliance avec les socialistes et donc de la stratégie du PCF par rapport au Front de gauche et plus globalement par rapport ou non à une stratégie "d’union de la gauche" ou à une ligne "gauchiste".  On peut se contenter de ces quelques hypothèses, en outre les municipalités bien gérées peuvent obtenir un mandat supplémentaire, l’étiquette communiste n’étant plus mise réellement en avant, l’équipe municipale présentant des succès comme cela peut être le cas dans certains villes de l’ancienne banlieue rouge : Nanterre, Gennevilliers…

Faut-il s’en réjouir ? Grâce notamment à son impressionnante organisation militante, le communisme municipal  n’a-t-il pas finalement joué un rôle important dans les banlieues difficiles en matière de lien social ?

Pour un historien, le problème n’est pas de s’en réjouir, pas plus de le déplorer. Oui, le PCF a joué un rôle de socialisation mais ni plus ni moins que les autres organisations implantées dans les banlieues difficiles. La différence tient dans le fait que les autres organisations politiques ou sociales  (SFIO, Église, MJC etc) n’en faisaient pas une arme de propagande politique. Donc il ne faut pas tomber dans les travers de la propagande politique et accepter un discours tout fait qui tend à considérer vrai un énoncé d’où qu’il vienne. De plus, lorsque l’on regarde les résultats des votes ouvriers, le PCF dans les villes spécifiquement ouvrières n’est pas majoritaire, loin s’en faut, souvent la place est occupée par la SFIO, voire par les gaullistes. Il ne faut pas se méprendre : le délitement des liens sociaux n’est pas dû à la fin du PCF mais aux transformations de la société et le recul du lien social est partout analogue. Il peut prendre des formes plus exacerbées dans les zones de pauvreté extrême, éloignées des centres villes où les populations sont laissées à elle-mêmes.

Le Parti communiste est souvent décrit comme un parti vieillissant. Mais dans certaine commune, on assiste également à son retour en grâce chez les jeunes. Le salut du PCF peut-il venir des jeunes ?

Au niveau général le PCF est vieillissant, les rangs se clairsèment et les tempes grisonnent, les édiles ont du mal à trouver des successeurs, le parti ne fait plus parti des maisons politiques porteuses. Pour rester une entreprise politique, sans liens réels avec le communisme historique, l’équipe dirigeante abandonne progressivement tous les symboles historiques du PCF : L’Humanité est devenue le journal de Jaurès et n’est plus celui de Cachin, la faucille et le marteau sur les cartes de membres.

Il reste du communisme l’entretien d’une mémoire glorieuse (la résistance pour l’essentiel) et la posture victimaire qui atteint parfois un paradoxe : les communistes se présentent comme les premiers victimes du communisme sous Staline. Le communisme est défini comme un modèle avec comme exemple la Sécurité sociale, créée par un communiste, Ambroise Croizat (ce qui historiquement est en grande partie erroné puisque les projets de Sécurité sociale datent de la mise en place des assurances sociales nées de l’initiative de la CGT, alors indépendante des partis politiques).

Le PCF décline, vieillit et les effectifs diminuent progressivement et régulièrement. Dès lors, il se peut que des jeunes activistes émergent au PCF, ce qui est d’autant plus facile que le nombre de militants se réduit et que par ce phénomène se crée un appel d’air. De plus, à l’échelle locale et nationale, la volonté de mettre en avant les jeunes et les minorités existe. Il peuvent servir de produit marketing, mais ils ne représentent pas l’armature militante. Les Jeunesses communistes ont perdu toute forme d’influence et ne fournissent que marginalement l’appareil du PCF, comme cela a été le cas par le passé ( avec Léo Figuières, Raymond Guyot, Guy Ducoloné). De même, les responsables syndicalistes ne passent plus par le PCF pour faire une carrière politique comme leurs grands anciens (Benoît Frachon, Georges Marchais).

N’a-t-on pas aujourd’hui encore désespérément besoin du communisme municipal pour maintenir la cohésion social de certains quartiers populaires ?

Il faudrait que le PCF soit encore le principal acteur dans les quartiers populaires, or les résultats électoraux montrent que là aussi le PCF n’est plus en capacité de maintenir quoi que ce soit, sauf dans des cas extrêmement limités et en règle générale dans des banlieues en reconversion industrielle. Mais il suffit de voir la désindustrialisation de ces villes pour comprendre qu’il s’agit d’une équation impossible.

De plus, les études sociologiques soulignent surtout que le PCF dans ses municipalités est d’abord un parti de travailleurs du secteur public, qui sont souvent les seuls participants aux scrutins électoraux, car ils ont un fort héritage de politisation. Par ailleurs, le délitement des tissus sociaux est lié à l’abandon des populations par les pouvoirs publics, à l’isolement, à l’enclavement de ces populations des grands centres urbains. Il se conjugue à la non adaptation du système scolaire qui maintient un élitisme de type troisième république qui ne correspond absolument plus à la réalité du monde. Or, sur ces points le PCF n’est pas responsable, sa participation au pouvoir n’étant que marginale.

Dans les communes communistes, notamment dans l’ancienne banlieue rouge en Seine-Saint-Denis, les immigrés et les populations d’origine étrangère sont surreprésentés. Le PCF joue-t-il un rôle important dans leur intégration ? Peut-on parler de machine à intégrer ?

Il faut d’abord comprendre les logiques d’implantation des populations immigrées. Elles répondaient à l’appel et à la demande des pays industriels. En France, les zones industrielles accueillaient naturellement les populations immigrées. Retenons, par exemple, le symbolique et représentatif bidonville de Nanterre par lequel sont passés tant de migrants portugais et algériens. Comme le PCF a cherché à diriger et à contrôler en priorité ses régions, il est logique qu’il y ait eu une intégration dans ces villes. Cependant, le PCF n’a ni plus ni moins que les autres partis politiques et certainement moins que l’école républicaine, intégré les anciennes générations d’immigrés comme l’école continue de le faire aujourd’hui. Cependant le PCF a cherché à recruter dans les catégories populaires en priorité. En conséquence, il a intégré des populations immigrées puisque celles-ci appartenaient aux catégories populaires.

N’est-on pas passé du bastion au ghetto ?  Le PCF n’a-t-il pas également contribué à instaurer un système clientéliste fondé sur le communautarisme ?

Où et quand ? Il faudrait commencer par savoir s’il existe un réel système fondé sur le communautarisme et sur quelles communautés, il repose. Dans l’état actuel des connaissances, on peut ce contenter d’énoncer des généralités. Il existe des clientélismes en fonction des confessions, des origines sociales et des compositions professionnelles et surtout des villes aussi bien à Neuilly, Paris, Tulle, Sarcelles ou à Saint-Denis. La seule chose propre au PCF c’est qu’il a des années 1920 aux années 1960 organisé des groupes de langue, qui étaient principalement le yiddish, l’italien, l’espagnol. Mais cela ne fait pas de lui un parti communautariste.

Le FN connaît également une certaine percée dans les quartiers populaires. Comment expliquez-vous son échec dans sa tentative de créer des bastions municipaux en utilisant les mêmes méthodes que le PCF ?

Si l'on peut comparer les partis à potentialités totalitaires, ceux-ci n’ont pas la même histoire, ils ne recrutent pas forcément dans les mêmes catégories socio professionnelles. Pour le moment le FN n’est pas un parti de masses comme le PCF l’a été et ses relais sociaux ne sont pas les mêmes. La clientèle politique du FN est plus disparate et plus dispersée sur le territoire alors que dès les origines le PCF avait des bastions ce ‘a jamais été le cas pour le FN, même si le PCF a été un modèle pour certains de ces fondateurs souvent passé par le PPF de Jacques Doriot [un ancien communiste devenu le chantre de la collaboration].

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