L'Europe est-elle en train de se mettre dans le corner qui a plombé le Japon pendant 25 ans au moment même où celui-ci comprend enfin que sa politique n'était pas la bonne ?<!-- --> | Atlantico.fr
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L'Europe est dans une mauvaise passe.
L'Europe est dans une mauvaise passe.
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Le désenchantement ?

Pierre Moscovici a reconnu jeudi 4 avril que la croissance française pourrait être de 0,1% seulement en 2013. Une situation économique qui pourrait s'approcher de la "décennie perdue" au Japon dans les années 1990.

Benoît Heitz

Benoît Heitz

Benoît Heitz est 
responsable des prévisions économiques mondiales à la Société Générale.

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Atlantico : Alors que la zone euro devrait connaitre une récession au quatrième trimestre 2012 selon les prévisions de l'Insee, le Japon a décidé d’accélérer sa politique d'assouplissement monétaire depuis quelques jours pour redresser son économie. Le financier Georges Sorros a estimé qu'il s'agissait d'une politique "dangereuse". Dans les années 1990, le pays avait connu une "décennie perdue" caractérisée par une stagnation de sa croissance. L'Europe peut-elle connaitre la même situation ?

Benoit Heitz : Suite à l’éclatement de bulles financières et immobilières dans les années 1990, le Japon a dû assainir le bilan de ses banques mais il a choisi de procéder dans la durée. Cela a conduit les banques à restreindre fortement et durablement le crédit.

Cette situation diffère de celle des pays de la zone euro qui ont engagé des politiques de redressement de leurs finances publiques, avec pour contrepartie un coût initial plus élevé en termes de croissance. En revanche, le Japon a fait le choix de laisser dériver sa dette, qui atteint maintenant plus de 230 % de son PIB, ce qui ne manquera pas, à terme, de poser un problème majeur au Japon.

Autre différence avec le Japon, l’ajustement des bilans bancaires est déjà bien avancé en France par exemple, le crédit aux entreprises reste globalement stable et son manque de dynamisme tient notamment à la faiblesse de la demande des entreprises qui sont prudentes dans un environnement incertain.

Quelle est la part de responsabilité de la Banque centrale européenne dans cette possible stagnation ? Doit-elle assouplir sa position ?

Les banques centrales des grandes économies développées sont confrontées à un véritable défi : elles doivent en faire toujours plus pour soutenir une activité qui peine à se redresser mais elles ne doivent pas en faire trop, au risque de mettre en péril la crédibilité de leur monnaie ou de conduire à la formation de nouvelles bulles, qui porteraient en germe la prochaine crise.

Par exemple, dans le cas de la politique de la Banque du Japon, on peut craindre qu’une augmentation extrêmement rapide de la masse monétaire se traduise surtout par une hausse des prix des actifs sur les marchés financiers (créant ainsi un risque de bulle, ndlr)plutôt que par un regain d’investissement des entreprises. Ces dernières bénéficiant déjà de taux d’intérêt extrêmement bas.

La BCE fait de plus face à un problème qui lui est propre, et que ses dirigeants ont déjà souligné : les économies de chacun des pays sont différentes les unes des autres. Ainsi, les taux d’intérêt auxquels font face les entreprises de la zone euro dépendent crucialement de leur nationalité.

Et ces taux sont d’autant plus élevés que le pays fait face à des difficultés, renforçant ainsi la crise. D’où la nécessité de trouver, au-delà de l’outil habituel des taux d’intérêt de la BCE, des outils permettant que ces taux directeurs faibles se répercutent sur le coût d’emprunt des entreprises italiennes et espagnoles notamment. À noter toutefois que le coût du crédit en France a quant à lui bénéficié de la baisse des taux de la BCE.

Quelles seraient les conséquences pour les citoyens d'une telle stagnation économique " à la japonaise" ?

Les conséquences sur le marché du travail sont malheureusement claires : qui dit peu de croissance, dit faibles créations, voire destructions, d’emplois et donc montée du chômage. Et côté finances publiques, cela conduit mécaniquement à des surcroits de dépenses, notamment dans le champ social, et à une faiblesse des recettes. Cela rend donc encore plus difficile le rétablissement des finances publiques.

Côté réformes, l’impact est a priori ambigu. D’un côté, cette faiblesse de l’activité et la hausse du chômage soulignent l’urgence d’entreprendre des réformes ambitieuses. Mais de l’autre, en réduisant les marges budgétaires du gouvernement, elles limitent les mesures d’accompagnement qui pourraient être prises pour mieux faire accepter les réformes.

Dans le cadre de l'économie française, Pierre Moscovici a reconnu jeudi 4 avril que la croissance pourrait être de 0,1% seulement en 2013. Outre la zone euro, combien de temps pourrait durer cette stagnation dans l'hexagone ?

L’économie française est à l’arrêt depuis maintenant près de deux ans, avec une croissance en moyenne nulle sur les sept derniers trimestres. Et, au vu des derniers indicateurs disponibles (consommation des ménages, production industrielle, enquêtes de conjoncture), l’année 2013 serait une année blanche comme 2012. Cette faiblesse de l’activité s’explique non seulement par l’ajustement des finances publiques, en France comme chez ses principaux partenaires, mais aussi par un handicap de compétitivité.

La correction des excès d’endettement passés, comme on s’en rend bien compte aujourd’hui, prend du temps. Ces facteurs vont donc durablement peser sur l’activité. Ils maintiendraient ainsi la croissance française sous le rythme de 2 % par an qui semblait la norme avant crise, la ramenant probablement autour de 1,5 % à l’horizon 2015-2020 après un redémarrage, timide et progressif, à partir du second semestre 2013.

Mais dire combien d’années, la croissance française sera affaiblie est difficile car cela dépend de plusieurs facteurs difficilement prévisibles :

  • à quelle vitesse les pays assainiront-ils leurs finances publiques ?

  • à quel rythme les réformes structurelles seront-elles mises en œuvre et dans combien de temps produiront-elles leurs effets sur le potentiel de croissance ?

  • quand reviendra la confiance qui permettra au redémarrage économique de s’amorcer, rendant l’ajustement plus aisé ?

Néanmoins, cette situation diffère sensiblement de la situation japonaise des 20 dernières années, caractérisée par un taux de croissance moyen inférieur à 1 % par an et une inflation en moyenne nulle.

Les entreprises françaises seront-elles de plus en plus contraintes d'aller chercher de la croissance hors de France au cours de cette décennie ? Sur quels relais de croissance pourront-elles compter ?

Il faut bien garder à l’esprit que les entreprises françaises n’ont pas attendu la crise pour saisir des opportunités à l’international. Ainsi, les exportations représentent plus du quart du PIB français, la France est le 6ème exportateur mondial et les grands groupes du CAC40 réalisent la majeure partie de leurs chiffres d’affaires à l’étranger.

Mais se tourner directement vers l’international n’est pas forcément une possibilité pour toutes les entreprises, soit de par la nature de leur activité, soit parce qu’elles n’ont pas les reins assez solides pour le faire seules ; elles ne peuvent donc l’envisager qu’en accompagnement des groupes. Et il ne faut pas oublier qu’une plus grande ouverture sur l’extérieur peut certes apporter un surcroit de croissance, notamment dans le contexte actuel, mais peut également être source d’une plus grande volatilité de l’activité, comme l’ont illustré le Japon et l’Allemagne en 2008-2009.

Propos recueillis par Olivier Harmant

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