Parcours de soins, fin de la liberté d'installation : allons-nous vers un système de soins à la soviétique ? <!-- --> | Atlantico.fr
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La liberté d'installation des médecins est remise en cause par un rapport du Sénat.
La liberté d'installation des médecins est remise en cause par un rapport du Sénat.
©Flick/Alex E. Proimos

La médecine malade

Le rapport du Sénat qui vient d'être publié remet en cause la liberté d'installation des médecins, en proposant de ne plus conventionner ceux qui s'installeraient en zones excédentaires.

Hector  Simon

Hector Simon

Hector Simon est interne en médecine générale, membre du bureau de l' UNILR ( UNion des Internes du Languedoc-Roussillon), Vice-Président de l'ISNI, en charge de la démographie médicale. 

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Atlantico : 9 ans après la mise en place du parcours de soin coordonné, les sénateurs envisagent de toucher à la liberté d'installation des médecins en proposant de ne plus conventionner ceux qui s’installeraient dans des zones excédentaires. Le système de soin français est-il sur le point de virer au dirigisme ?

Hector Simon : J’ai été stupéfait par la méconnaissance du dossier par les membres de la Commission : les 4 premières propositions étaient soient déjà appliquées, soit obsolètes. Certains ont qualifié ces mesures de soviétiques, mais c’est encore pire que ça : on ne nous oblige pas à aller travailler à un poste précis, non, là, on nous force à créer une entreprise. Ce n’est pas la même chose qu' un travail salarié : on nous impose de créer seul et de financer une entreprise privée dans des secteurs imposés et d'en soutenir la charge pour répondre à une mission d'interêt général, pour assurer le service public médical.

Comment une telle mesure risque-t-elle d'être accueillie par les médecins ? S'agirait-il d'un réel bénéfice pour les patients ?

Ces mesures vont être très mal accueillies par les médecins, mais pas que par les médecins. La médecine est un métier qu'on choisi, qu’on apprécie. On devrait se demander pourquoi les jeunes ne veulent plus s’installer en cabinet, ou du moins tardent à le faire. La solution n’est pas dans la contrainte. Il faut donner envie aux jeunes d’aller s’installer dans les zones sous-dotées. Je suis persuadé que cette réforme sera contre-productive, en écartant les jeunes de l'exercice libéral en les dissuadant définitivement de s'installer, et en choisissant plutôt de rester remplaçant ou de trouver des postes salariés. Donc il n’y aura pas de bénéfices pour les patients. Au contraire, je pense qu'une telle mesure ne fera qu'agrandir les déserts médicaux. 

Une telle mesure est-elle justifiée au regard de son efficacité potentielle ? 

Absolument pas. Si on prend l’exemple de l’Autriche où ils ont refusé de conventionner les médecins qui s'installent dans les régions dites surdotées (donc de rembourser leurs patients), on observe aujourd'hui des difficultés d'accès aux soins dans les villes pour des raisons financières, et leurs déserts médicaux existent toujours... L' Allemagne, qui a empêché les médecins de s'installer dans les zones surdotées, on se rend compte que les résultats ne sont pas concluants : dans les régions sous-dotées, malgré les aides, une amélioration minime été observée pendant que les zones mieux dotées se vidaient...

Le salariat est le mode d'exercice le plus souvent choisi par les jeunes diplômés ces dernières années. Seulement 8% des internes sortis en 2009 ont choisi l'installation en libéral. Le problème de désertification médical n’est-il pas aussi dû à une perte d’attractivité de l’exercice libéral de la médecine ?

En tant que médecin, on peut être libéral ou salarié. De plus en plus, les jeunes se tournent vers le salariat car ils bénéficient d’avantages sociaux importants, des congés payés...Ce qu’on ne trouve pas dans l’exercice libéral. Rajouter des contraintes ne ferait qu’empirer le problème. Cette réforme va aggraver les déserts médicaux. La médecine libérale est un très beau métier, mais il est très difficile : il faut être extrêmement disponible en terme d’horaires, participer à la permanence de soin et donc travailler les soirs et les week-ends, il faut répondre aux exigences de l’Assurance Maladie, mais également aux  objectifs de santé publique. En plus, sans liberté tarifaire, pour augmenter ses revenus on doit augmenter sa disponibilité : c’est ce qu’a fait l’ancienne génération, mais les jeunes veuillent travailler différemment. Nous ne sommes pas payés à la qualité, mais à la tâche. Plus on prend de temps avec le patient, moins on gagne d’argent : c’est paradoxal. Je crois qu’il y a une chose parlante qui résume la situation : le nombre de «burn-out» chez les médecins, qui est un des symptômes de la crise de notre profession. 

Quelles solutions permettraient de concilier accès aux soins et respect des libertés d'installation et de consultation ?

Développer les maisons de santé pluri-professionnelles, avec d’autres professionnels de santé. Elles permettent de nouveaux modes d'exercice en équipe qui permettrait de varier l'activité en abordant des sujets importants : la prévention, le dépistage, l'éducation thérapeutique. Cela permettrait également de s’organiser entre médecins, notamment pour l’organisation des heures de présence et des congés. On pourrait également envisager de développer le salariat en cabinet : pas de gestion, de comptabilité, de fiscalité à la charge du médecin, qui peut se consacrer à son activité médicale. Si médicaliser les zones désertifiées est une question d'intérêt général ou de service public l'Etat et les collectivités doivent proposer des postes salariés aux médecins dans des centres de santé communaux. Des exemples récents ont prouvé la grande attractivité de ce type de contrat, même dans des secteurs défavorisés, ainsi que leur moindre coût pour les collectivités (qui encaissent directement les honoraires des consultations).  

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