Le mal trouve-t-il sa source dans un dysfonctionnement de notre cerveau ? <!-- --> | Atlantico.fr
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"Plus personne ne croit aujourd’hui à des simplifications du type « bosse des maths »."
"Plus personne ne croit aujourd’hui à des simplifications du type « bosse des maths »."
©Reuters

Côté obscur

Le mal est-il une maladie dont on peut guérir ? C’est ce que suggère l’étude du neurologue allemand Gerhard Roth qui dit avoir découvert un côté sombre détectable dans les cerveaux des individus prompts à la violence.

Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet est psychiatre, ancien Chef de Clinique à l’Hôpital Sainte-Anne et Directeur d’enseignement à l’Université Paris V.

Ses recherches portent essentiellement sur l'attention, la douleur, et dernièrement, la différence des sexes.

Ses travaux l'ont mené à écrire deux livres (L'attention, PUF; Sex aequo, le quiproquo des sexes, Albin Michel) et de nombreux articles dans des revues scientifiques. En 2018, il a publié le livre L'amour à l'épreuve du temps (Albin-Michel).

 

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Le neurologue allemand Gerhard Roth dit avoir découvert un « dark patch », une sorte de côté sombre, dont la présence serait détectable dans les cerveaux de tous les individus prompts à la violence, le viol et même le vol. Si l’on adhère à la théorie d’une zone cérébrale responsable de la violence, on peut imaginer une autre zone cérébrale responsable de la sociabilité. Depuis que l’on a découvert, au XIX° siècle, combien certaines zones cérébrales étaient spécialisées dans des aspects complexes du langage ou de la perception, beaucoup ont tenté de localiser d’autres fonctions sur le cerveau. Les techniques modernes de l’imagerie cérébrale sont venues encore renouveler ces enquêtes en permettant des explorations plus poussées. Plus personne ne croit néanmoins aujourd’hui à des simplifications du type « bosse des maths ». Et je doute qu’il puisse y avoir des zones responsables de comportements violents et d’autres responsables de comportements de sociabilité.

Les comportements complexes résultent en fait de la coopération de nombreuses aires du cerveau, et tout au plus, on peut constater dans certains cas que l’une d’elle est prioritaire. Le fonctionnement cérébral s’appuie non pas sur des zones délimitées, mais sur des réseaux qui impliquent préférentiellement certaines structures que l’on connaît de mieux en mieux. Dans le cerveau, le lobe frontal exerce une fonction à part : il est le « chef d’orchestre » qui coordonne harmonieusement toutes les fonctions. On le voit donc intervenir dans presque toutes les conduites.

Le Docteur Roth lui-même ignore probablement ce qu'est le "dark patch" dont il parle. Il a simplement constaté que les criminels ont, au scanner, une zone plus sombre à l’avant du cerveau. Constatation propice à l’emballement de l’imaginaire : zone sombre, criminelle… Mais revenons sur terre. Une zone sombre au scanner, c’est une zone dans laquelle il  y a moins de matière. Et en l’occurrence, cette diminution de matière, si elle se trouve confirmée, semblerait concerner, par sa localisation, une zone d’intégration située à la base du lobe frontal, riche en données multiples, affectives et sensorielles, et intervenant dans la programmation des conduites complexes.

Des analyses de scanner de déprimés montrent également que certaines structures cérébrales impliquées dans la mémoire pourraient diminuer de volume au fil des rechutes. On peut concevoir que le mésusage de certains circuits lors de l’atteinte dépressive puisse avoir des conséquences structurelles sur le cerveau. Car le cerveau est comme un muscle. L’utilisation de certains circuits les développe, leur non-usage les atrophie : c’est ce qu’on appelle la neuroplasticité.

En admettant que l’on repère des structures cérébrales impliquées dans l’affectivité atrophiées chez certains criminels (ce qui encore une fois, reste à prouver), cela n’indiquerait pas grand-chose. En tout cas, cela ne dégagerait pas les criminels de leur responsabilité. Autrement dit, ce n’est pas nécessairement parce que l’on a le cerveau d’un criminel qu’on commet un crime, mais parce qu’on utilise son cerveau comme un criminel (en négligeant ou ignorant peut-être certaines informations émotionnelles) que l’on risque de commettre un crime.

Gerhard Roth constate d’ailleurs qu’aucun criminel n’est identique. Selon lui, on peut les classer en trois groupes : les « sains » qui sont le produit d’un environnement incitant à se battre et à voler ; les « troublés » qui perçoivent le monde comme hostile ; et les purs psychopathes. Une telle diversité n’est pas en faveur d’une relation causale entre comportement et structure cérébrale.

L’intérêt de l’observation du Dr Roth est avant tout, selon moi, d’illustrer un mythe moderne. Du temps des Classiques, la bile était responsable de tout. Il en est resté l’expression de tempérament « bilieux ». Aujourd’hui c’est le cerveau. Les progrès techniques permettent d’en révéler le fonctionnement intime à travers de fascinantes images. Mais le cerveau est un organe de relation : il réagit au contexte. Un contexte que l’individu a le pouvoir d’aménager, au moins partiellement, en créant son histoire et en modifiant en retour son cerveau… Certes, certains aspects de sensibilité, de réactivité, peuvent être considérées comme des dispositions génétiques qui donneront à l’organe cérébral un « son » propre, une résonance spécifique ; mais tant qu’il n’y a pas d’altération grossière de son fonctionnement, les décisions qui règlent la conduite appartiennent au sujet dans sa complexité et non à son cerveau. Et ce, même si l’exécution de la conduite passe par le cerveau. Il n’y a probablement pas plus de cerveau de criminel que de bras du crime…  Et puisque l’on parle de bras du crime, qu’on me permette une anecdote. Si l’on faisait une enquête statistique, peut-être découvrirait-on que les bras des criminels sont plus fréquemment tatoués que ceux des individus qui n’ont pas commis de crimes. Faut-il en déduire que les tatouages poussent au crime ?

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