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La bataille du nom de famille : l’autre enjeu du débat sur le mariage homosexuel
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Au nom du père

Avec le projet de loi sur le mariage homosexuel, la question du patronyme se pose. L'article 2 du projet concerne la dévolution du nom de famille : en cas de désaccord ou d'absence de choix des parents, les noms de chacun d'eux, accolés dans l'ordre alphabétique, seront donnés à l'enfant, alors qu'actuellement c'est le nom du père qui est attribué.

Agnès  Fine

Agnès Fine

Agnès Fine est historienne et anthropologue, spécialiste de la parenté et du genre dans les sociétés européennes, directrice d’études au Centre d’anthropologie (LISST) de l’EHESS, à Toulouse.

Elle a co-écrit avec Françoise-Roumaine Ouellette Le nom dans les sociétés occidentales, en 2005 aux éditions Presses Universitaires du Mirail.

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Atlantico : Historiquement, pourquoi est-ce le nom du père qui est donné à l'enfant ?

Agnès Fine : Le nom dans les sociétés traditionnelles, où l’Etat n’est pas très puissant, est souvent unique. L’enfant était désigné par un prénom et le nom de son père dans un cadre d’interconnaissance (villageoise par exemple). On reconnaît le « fils de». Les gens avaient besoin de se situer les uns les autres géographiquement. Le patronyme fixe et héréditaire, lui, tel qu’on le connaît actuellement, est apparu entre le Xè et le XVè siècle. Pour donner un exemple clair de la différence entre « patronyme » et « patronyme fixe et héréditaire » tel que nous le pratiquons en France, nous pouvons nous intéresser à Mayotte. Dans cette île française, en ce moment, le système de dénomination consiste à donner au fils le nom de son père (le patronyme) mais pour la deuxième génération, le petit-fils devra prendre une partie du nom de son père et abandonner le nom de son grand-père. Pour mieux comprendre : le fils de Madi s’appellera Assani Madi, et le fils de celui-ci s’appellera Bachari Assani. Bref, on constate qu’en trois générations, on ne peut plus suivre une lignée. Il n’y a plus de trace d’hérédité.

En Occident, on ne s’est plus satisfait depuis longtemps de ce système fondé sur l’interconnaissance et le nom du père. On a voulu rendre plus lisibles les générations et fixer le nom par rapport au terroir. C’est en Italie que le phénomène a commencé, plus tard il s’est propagé en Europe et en France. Les autorités locales qui se satisfaisaient jusque-là d’une dénomination par interconnaissance s’engagea contre l’Etat moderne. On a ensuite procédé à l’uniformisation des cadastres, des unités de mesure. La situation de Mayotte est étonnante aujourd’hui, étant donné que l’île est française. On constate d’ailleurs qu’il y a énormément de problèmes de définition des ayants droits, compte tenu de la politique sociale de la France. Enormément de problèmes également pour lutter contre l’immigration clandestine. C’est pourquoi la France est en train d’accélérer le changement du système de dénomination à Mayotte. On y fait en quelques mois ce qui s’est passé en des centaines d’années en Occident. Mais Mayotte n’est pas seule dans ce cas. Le système a cours dans d’autres sociétés, à l’écart de la mondialisation. Dans ces Etats, il y a soit deux systèmes qui cohabitent, soit un système qui prend le pas sur l’autre. Partout où est la démocratie, est le système du patronyme fixe. En effet, la nécessité de ce dernier est liée au développement de cette démocratie, car il faut pouvoir déterminer avec soin qui vote.

Comment la situation a-t-elle évolué dans le temps ? Pour quelles raisons ?

Tout le monde adopte le système du prénom et du nom (contrairement à Mayotte). La gestion des populations avec les passeports par exemple a obligé les habitants à s’adapter et n’utiliser, au moins de façon officielle, qu’un seul nom.

Les lois ont changé dans quelques pays d’Europe, non pas sous la pression de mouvements féministes mais d’après les recommandations du Parlement Européen. En 1978, les Etats membres de l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe ont été priés de faire disparaître « toute discrimination entre l’homme et la femme dans le régime juridique des noms ». Un an plus tard, les Nations Unies demandaient à leurs membres de « faire disparaître toute disposition sexiste dans le droit du nom ». En 1995 puis en 1998, de nouveau, l’Assemblée européenne a insisté sur le fait que « le nom est un élément qui caractérise l’identité des personnes dont le choix revêt à ce titre une importance considérable, la perpétuation des discriminations entre les hommes et les femmes dans ce domaine est donc inacceptable. La recommandation 1362 recommandait alors une égalité stricte entre le père et la mère dans la transmission du nom aux enfants, une égalité stricte en cas de mariage pour choix éventuel d’un nom de famille commun aux deux époux et supprimer toute discrimination entre le régime juridique et l’attribution des noms entre enfants légitimes et enfants naturels. Ainsi, des réformes législatives sont votées : en Allemagne en 1976, en Suède en 1983 et en Espagne en 1999, etc. En France, la loi date de 2003, et le décret d’application de 2005. Au fond, c’était la dernière inégalité dans le droit entre hommes et femmes en Europe.

La liberté de choix donnée aux parents (le nom du père, celui de la mère ou les deux séparés par un tiret) est une rupture énorme avec huit siècles d’obligation de transmission du nom du père.

Quelles sont les conséquences symboliques et pratiques de cette évolution ? 

En Espagne, chaque enfant reçoit toujours le nom de son père et de sa mère. Et utilise ces deux noms. C’est un système onomastique. Contrairement aux espagnols, en France et au Québec, dans la mesure où l’on a l’habitude d’un nom simple depuis tant d’années, les gens ne sont pas attirés par le double nom. Au Québec, la loi autorise à donner à l’enfant soit le nom du père, soit celui de la mère. Cependant, l’énorme différence avec la France, réside dans la loi adoptée en 1981 qui oblige les québécoises mariées à garder leur nom de naissance dans l’exercice de leur droit civil. Chez nous, la coutume est tellement forte que les femmes prennent le nom de leur mari de manière très majoritaire, elles sont persuadées que c’est une obligation légale, alors que non. En effet, avant, la jeune fille quittait la maison de son père (et son nom) pour celle de son mari. Elle changeait alors de prénom une fois le nouveau foyer investit.

Aussi, au Québec, un enfant peut choisir de prendre en premier le nom de sa mère puis le nom de son père. En France, la loi interdit de faire une telle différence entre les frères et sœurs. Nous voulons conserver une forme d’unification entre les membres d’une même famille. Le problème qui avait été soulevé à l’époque est : que faire de la deuxième génération ? Il y avait un consensus sur le fait qu’il est plus juste pour un enfant que son nom symbolise sa double filiation. Mais comment faire dans ce cas pour ses futurs enfants ? La loi prévoit que ces derniers choisiront eux-mêmes. On trouvait cependant que ce pouvoir pouvait se révéler très culpabilisant pour l’enfant, qui doit d’une certaine façon choisir entre son père et sa mère. Sur cette question, aucune conclusion ne peut être apportée car la loi ayant été votée récemment, on ne voit pas encore l’impact sur la deuxième génération même s’il est évident que cela risque de poser quelques problèmes. Pour se faire un avis, on peut comparer, une fois de plus, avec la situation au Québec où l’on a vingt ans de recul, et où le double-nom reste encore très minoritaire. 

Propos recueillis par Mathilde Cambour

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