Coups bas et remontrances : dans les coulisses de la politique avec Jeannette Bougrab<!-- --> | Atlantico.fr
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Jeannette Bougrab livre dans son livre "Ma République se meurt" les coulisses de la politique.
Jeannette Bougrab livre dans son livre "Ma République se meurt" les coulisses de la politique.
©Reuters

Tape sur les mains

Ancienne secrétaire d'État à la Jeunesse dans le gouvernement Fillon, Jeannette Bougrab raconte les problèmes rencontrés en politique et notamment les réactions en chaîne du gouvernement après sa prise de position concernant Hosni Moubarak en 2011. Extrait de "Ma République se meurt" (2/2).

Jeannette  Bougrab

Jeannette Bougrab

Jeannette Bougrab, docteur en droit de la Sorbonne, ex-présidente de la Halde et ancienne ministre, est aujourd'hui membre du Conseil d'État. Elle est l'auteur de Ma République se meurt, Maudites et Lettre d'exil qui ont rencontré un grand succès en librairie.

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Pour moi il n’existe pas de « charia light » ou d’islamisme modéré. C’est pourquoi j’avais émis des réserves et des critiques sévères à propos des nouveaux gouvernements issus de la révolution du printemps arabe dans une interview au Parisien en décembre 2011.

[…]

Pour moi, les choses sont simples et claires. Ce n’est pas négociable. Un État de droit se mesure essentiellement en fonction du respect qu’il porte aux droits des femmes. Une Constitution fondée sur la charia, système religieux fondamentalement inégalitaire, ne peut donc être acceptable.

[…]

Avoir tenu ces propos dans un quotidien populaire du groupe Amaury m’a valu un coup de semonce de Matignon, plus précisément du directeur de cabinet du Premier ministre, Jean-Paul Faugère, qui m’accusait du pire : avoir trahi la politique étrangère de la France tendant à soutenir les nouveaux gouvernements arabes issus des urnes.

Moi qui, le 30 janvier 2011, au forum de Davos, avais osé dire tout haut ce que tout le monde pensait tout bas sur le régime d’Hosni Moubarak. Moi qui avais été convoquée de toute urgence à Matignon parce que le gouvernement français soutenait encore le Raïs, c’était le comble !

[…]

J’ai dû quitter Davos en pleine nuit car j’étais convoquée à Matignon à la première heure. Tout avait commencé la veille.

Dans l’après-midi, vers 16 heures, le directeur de cabinet de Michèle Alliot-Marie, Hervé Ladsous, commence à harceler au téléphone certains membres de mon cabinet afin de me faire revenir sur mes positions demandant le départ de Hosni Moubarak. Il devait me connaître un peu. Sachant que je refuserais, il était passé par ma jeune, mais néanmoins très compétente, chargée de presse, Anaïs, pour exiger ce démenti. La tradition veut que l’interlocuteur d’un autre directeur de cabinet soit son homologue. Je refusai. Il contacta alors mon directeur de cabinet, que Luc Chatel avait su m’imposer, qui m’appela à son tour en me suppliant de renier mes propos. Je m’obstinai. Je suis une écorchée. Quand on est issu de l’immigration, on s’identifie naturellement à cette jeunesse égyptienne. Rester indifférente et ne pas prendre position m’était impossible.

20 heures, les choses se gâtent. Coup de fil de François Fillon, le Premier ministre en personne, plutôt gentil, me demandant de faire attention à mes propos.

[…]

Le pire restait à venir.

22 heures, je suis dans la salle de bains. Claude Guéant appelle, me hurle dessus, s’énerve et lâche : « Il n’y a rien à faire avec les gens comme vous. C’est la dernière fois, la prochaine fois c’est fini » et il me raccroche au nez. Je suis restée sans voix. J’avais évidemment compris ce qu’il voulait dire. Les Rama, Rachida et Jeannette, toutes les mêmes… Je vais me coucher sans pouvoir partager ce qu’il venait de me dire. J’ai eu du mal à trouver le sommeil.

Minuit, mon officier de sécurité cogne à ma porte. Il m’annonce que je suis convoquée à Matignon à la première heure et que nous devons quitter l’hôtel à 3 heures du matin pour prendre l’avion à Zurich à 7 heures. Imaginez ce que je pouvais ressentir. Cela faisait quelques mois seulement que j’étais ministre et je venais de foutre en l’air la communication savamment orchestrée des trois gouvernements, français, britannique et allemand, soutenant Moubarak. Dans l’avion qui me ramenait à Paris, au dos d’un papier Air France récapitulant le nombre de plateaux-repas, je rédige ma démission. Une colère sourde m’animait. Cette feuille témoignait du mépris qu’ils m’inspiraient en passant ainsi à côté du sens de l’histoire. Arrivée à Paris, la tension est telle que je pleure dans la voiture qui m’amène de l’aéroport au ministère. Évidemment, Matignon décalait d’heure en heure le rendez-vous. J’en profite pour appeler Luc Ferry, un ami fidèle, et lui demander conseil. Il me réconforte et me soutient. Il a même appelé François Fillon. Il fut la seule personnalité intellectuelle et politique à me défendre. J’étais harcelée par la presse qui m’accusait d’avoir fait une bourde. Je restai silencieuse.

12 heures, j’arrive à Matignon et, dans l’antichambre, je me rends compte que mon ministre de tutelle, Luc Chatel, est présent. Cet ancien de L’Oréal, homme sans relief mais néanmoins retors, n’a eu de cesse de m’empêcher de faire mon travail en tant que ministre de la Jeunesse, n’hésitant pas, pour cela, à me faire les coups les plus bas, alors même qu’il avait fort à faire avec son ministère de l’Éducation nationale. Il me passe un savon. Je l’arrête tout de suite en lui disant que je compte démissionner. La seule ministre arabe virée du gouvernement pour avoir soutenu le printemps arabe, cela aurait fait tache.

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Extrait de "Ma République se meurt", Editions Grasset (janvier 2013)

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