Match Parlement-Comité national d’éthique sur la PMA : qui doit l'emporter dans une démocratie ?<!-- --> | Atlantico.fr
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"Il est moralement plus acceptable et politiquement plus habile de consulter ce type d’institution avant de faire voter une réforme."
"Il est moralement plus acceptable et politiquement plus habile de consulter ce type d’institution avant de faire voter une réforme."
©Reuters

Apprentis sorciers

Le Premier ministre a assuré lundi qu’un projet de loi sur la famille incluant la PMA sera bien examiné "avant la fin de l’année", mais après l’avis du Comité consultatif national d'éthique, à l’automne. Il a exhorté à une approche "raisonnée, sérieuse" de cette question qui divise sa majorité.

Jean-René Binet et Philippe Braud

Jean-René Binet et Philippe Braud

Jean-René Binet est professeur de droit privé à l’université de Franche-Comté. Spécialiste réputé des questions de bioéthique, il est auteur de plusieurs ouvrages et de nombreux articles relatifs au droit des personnes et de la famille, à la bioéthique et au droit médical, il a dernièrement publié, aux éditions Lextenso Montchrestien un cours de Droit médical en octobre 2010 et La réforme de la loi bioéthique, aux éditions LexisNexis en mars 2012

Philippe Braud est politologue français, spécialiste de sociologie politique. Il est professeur des Universités à l'Institut d'Études Politiques de Paris et enseignant-chercheur associé au CEVIPOF (Centre d'Études Politiques de Sciences-Po). Il est notamment l'auteur de Petit traité des émotions, sentiments et passions politiques, (Armand Colin, 2007) et du Dictionnaire de de Gaulle ( Le grand livre du mois, 2006)

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Atlantico : Question complexe, la procréation médicalement assistée (PMA), actuellement réservée aux couples de sexes différents qui ne peuvent pas avoir d'enfant pour des raisons médicales, fait l'objet de flottements depuis des semaines au gouvernement et dans la majorité. Le Premier ministre a souligné l'importance d'attendre l'avis du Comité consultatif national d'éthique (CCNE) et laissé entendre que cela prendrait du temps. Le gouvernement a-t-il raison ?

Philippe Braud : C’est exactement pour donner un avis sur ce genre de question que le Comité consultatif national d’éthique a été créé. Quelle que soit l’opinion que l’on puisse avoir sur le fond du problème, il est clair que, aux yeux d’une fraction importante de l’opinion publique, la PMA engage fortement l’adhésion à des valeurs fondamentales. Sur de tels sujets, plutôt que de passer en force, il est moralement plus acceptable et politiquement plus habile de consulter ce type d’institution avant de faire voter une réforme. Mais la tardive évocation de la saisine du CCNE donne l’impression (justifiée) d’une manœuvre cachant mal un possible recul. C’est ajouter une seconde maladresse à la première.

Jean-René Binet : Attendre l'avis du Comité d'éthique est la moindre des choses d'autant plus que celui-ci a été demandé par le président de la République. Le CCNE a pour but d'éclairer l'action des pouvoirs publics sur les questions éthiques et de société posées par le développement des sciences, de la vie et de la santé. Il a joué un rôle très important dans la construction et l'évolution du droit de la bioéthique depuis sa fondation en 1983. Par respect pour ce qu’il représente, il est nécessaire d’attendre le fruit de ses réflexions.

Le président du groupe parlementaire PS, Bruno Le Roux, a tout de même prévenu que si le projet de loi gouvernemental sur la famille ne comprenait pas l'ouverture de la PMA aux couples de femmes, comme promis au groupe socialiste, celui-ci "prendrait ses responsabilités". Dans une démocratie, quelle est la place à accorder à l’éthique ? La volonté du Parlement doit-elle toujours avoir le dernier mot ?

Jean-René Binet : Les avis exprimés par le CCNE depuis sa création ne sont pas des avis contraignants. Libre ensuite aux institutions qui saisissent le CCNE de tirer toutes les conclusions qu'ils souhaitent de ses avis. C'est d'ailleurs exactement de cette manière que François Mitterrand avait présenté les choses lorsqu'il a installé le CCNE en 1983. Juridiquement, les députés ont bien évidemment le droit de ne pas tenir compte de l'avis du Comité éthique. On peut toutefois espérer que l'éthique soit un guide pour le législateur et que les débats qui y sont menés permettent aux parlementaires de réfléchir aux enjeux des évolutions qu'ils préconisent. Sur des sujets complexes, il est important d’avoir l’esprit ouvert sur tous les aspects de la question. Par sa composition pluridisciplinaire et sa méthode de travail, le CCNE est en mesure d’apporter des éclairages précieux pour le législateur. S’il ne l’entend pas, le Parlement ne pourra se prévaloir de sa caution éthique et assumer une prise de position risquée sur le plan moral.

Philippe Braud : Il faut bien qu’une instance puisse trancher lorsque le débat politique  s’est emparé d’une question d’éthique. Dans ce rôle on voit mal une autre institution que le Parlement. Mais la sagesse commanderait que la représentation nationale fasse preuve du maximum de circonspection pour ne blesser gravement aucune sensibilité philosophique ou spirituelle. Ce qui veut dire deux choses : légiférer le moins possible et, si cela est inévitable, se conformer aux avis les plus consensuels des autorités morales les plus respectées. Quant à la prise de position de Bruno Le Roux, elle s’apparente à une forme de pression sur le Premier ministre, voire à une amorce de rébellion. Les effets ne peuvent être que négatifs pour l’image de la majorité actuelle.

Comment les choses pourraient-elles et devraient-elles évoluer ?

Jean-René Binet : L'innovation majeure de ces dernières années en matière d'éthique, c'est l'organisation des états généraux de la bioéthique en 2009 qui a été une très belle expérience de démocratie participative et qui a permis d'associer les citoyens à la réflexion. Lors des débats sur la loi du 7 juillet 2011, relative à la bioéthique, les avis exprimés par les citoyens ont pu guider le législateur. Cela me paraît être la bonne voie car les questions d'éthique concernent tous les citoyens, pas seulement les experts. Pour le politique, il est toujours bon de retourner à la source de la démocratie, voir ce que pensent les gens, autrement que par le biais des sondages ou des enquêtes d'opinion.

Le rôle du Comité d'éthique doit-il être institutionnalisé à l'image du Conseil constitutionnel ? 

Jean-René Binet : Je crois que la place du CCNE est actuellement très bien définie par la loi. En revanche, ce qui doit impérativement être renforcé, c’est la garantie du respect de son rôle propre : être le lieu de réflexions approfondies, l’animateur du débat, l’instigateur d’états généraux de la bioéthique lorsque la gravité des questions l’exige.

Certaines questions comme celle du mariage homosexuel, de la PMA ou de la GPA, qui semblent dépasser le strict cadre du droit et se rattacher davantage à l’éthique voire à la morale, doivent-elle être débattues comme des lois ordinaires au Parlement ? Comment faire pour dépasser ce cadre ? Le référendum peut-il être une bonne option ?

Jean-René Binet : Effectivement, la PMA et la GPA dépassent le strict cadre juridique. Il s'agit de véritables choix de société. Actuellement le cadre de la  PMA est une réponse médicale à un problème pathologique. Ouvrir la PMA à des personnes de même sexe, c'est sortir de cette logique et cela implique des conséquences : l'ouverture de la PMA aux femmes célibataires ou ménopausées ou encore la procréation post-mortem... Le rôle de la médecine en serait bouleversé. La prise en compte de l’intérêt à naître aussi, car tout ce qui est techniquement possible n’est pas toujours socialement ou moralement souhaitable. Il est important d'avoir en vue qu'il y a des choix de société importants à opérer. L’article L. 1412-1-1 du Code de la santé publique prévoit que tout projet de réforme sur les problèmes éthiques et les questions de société soulevés par les progrès de la connaissance dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé doit être précédé d'un débat public sous forme d'états généraux. Par conséquent, si la question de la PMA devait être débattue, il serait nécessaire de convoquer préalablement de tels états généraux. Ce serait la preuve d’un bon fonctionnement de la démocratie et, souhaitons-le, un gage de sagesse éthique.

Philippe Braud : En fait le Parlement n’est pas omnipotent. Il est tenu de respecter les droits fondamentaux (droits de l’Homme et libertés publiques) reconnus par la Constitution française, et les traités européens ou internationaux auxquels la France a souscrit. En d’autres termes, c’est l’interprétation des juges (Conseil constitutionnel, CEDH) qui détermine le cadre légal en dernière instance. On voit mal d’autres barrières à son pouvoir de décision. Quant au recours à un référendum en matière d’éthique, rien n’est plus dangereux. A la fois parce que les questions d’éthique sont susceptibles de déchaîner des passions incontrôlables, mais aussi, et surtout, parce que l’Histoire a montré abondamment, en Allemagne nazie notamment, que la vox populi pouvait errer gravement.

Propos recueillis par Alexandre Devecchio

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