De combien de destructions d’emplois les syndicats sont-ils responsables en France ?<!-- --> | Atlantico.fr
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La CGT a refusé toutes les propositions de la direction pour améliorer la compétitivité du site Goodyear d'Amiens.
La CGT a refusé toutes les propositions de la direction pour améliorer la compétitivité du site Goodyear d'Amiens.
©Reuters

"Syndicats voyous" ?

Après l’annonce de la fermeture de l’usine Goodyear d’Amiens jeudi 31 janvier, Laurent Berger, secrétaire général de la CFTD a estimé que la CGT était responsable de cet échec. Le syndicat a refusé toutes les propositions de la direction pour améliorer la compétitivité du site. La radicalité de la CGT a-t-elle détruit des emplois ?

Benoît  Broignard

Benoît Broignard

Benoît Broignard est journaliste indépendant, spécialiste des questions de stratégie, d'intelligence économique et de syndicalisme. Il a co-écrit le livre Syndicats filous - Salariés floués aux éditions Max Milo.

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Atlantico : A la suite de l’annonce de la fermeture définitive de l’usine Goodyear d’Amiens jeudi 31 janvier, Laurent Berger, secrétaire général de la CFTD a estimé que la CGT était en partie responsable. Pendant sept ans le syndicat a refusé toutes les propositions de la direction pour améliorer la compétitivité du site. Peut-on en effet considérer que la radicalité de la CGT a mené à la fermeture du site d’Amiens Nord ?

Benoît Broignard : Il est évident que la CGT porte une part de responsabilité dans la fermeture de Goodyear, tout comme la direction, la responsabilité est partagée à 50-50. Lorsque la direction d’une telle entreprise décide de fermer un site et que le syndicat majoritaire  - à 80% environ - refuse toute proposition et toute négociation, les salariés finissent par en payer le prix avec la fermeture du site.

Existe-t-il d’autres exemples récents dans lesquels la radicalité d’un syndicat a causé des torts aux salariés, voire a mené à la perte de leur emploi ?

On peut évoquer l’affaire SeaFrance qui a fait couler beaucoup d’encre pendant la campagne présidentielle. Plus récemment, ce qui se passe en ce moment à Aulnay se rapproche du cas d’Amiens en termes de méthode. Il semble qu’à Aulnay également, les syndicats soient dans un combat politique qui instrumentalise les entreprises et les salariés et qui par ricochet va détruire l’ensemble de l’écosystème économique local. A cela s’ajoutent des agissements assez stupéfiants de la part des représentants syndicaux de la CGT, puisqu’ont été rapportées des agressions verbales, et agressions physiques, à tel point que certains salariés tombent malades à cause du harcèlement. On connaissait les patrons voyons, j’espère que les journaux n’auront pas un jour à titrer "syndicats voyous" au sujet du syndicalisme français.

Qu’entendez-vous par "instrumentalisation politique" ? Les positionnements politiques de principe prendraient le pas sur le souci de préserver les emplois ?

On ne peut pas mettre tous les syndicats dans le même panier. Mais à Goodyear, le positionnement du syndicat CGT est en opposition frontale, uniquement dans l’idéologie et dans le dogme politique. Certains leaders syndicaux locaux à la CGT confondent l’engagement politique et leur mission de protection des salariés.

Les salariés, et en particulier les syndiqués, ne se plaignent-ils pas du fait que leur point de vue soit ignoré ?

C’est une vraie question. S’ils avaient été consultés, les salariés auraient probablement accepté les propositions de sauvegarde de l‘emploi émises par le repreneur potentiel et par la direction de Goodyear. Mais la CGT a refusé qu’il y ait une consultation des salariés et le syndicat est donc resté sur sa position jusqu'au-boutiste, à l’opposé de toutes les autres centrales syndicales, qui étaient beaucoup plus ouvertes aux propositions de Goodyear et de repreneur Titan.

Je ne sais pas si les syndiqués de base se sont plaints de ce refus de consulter les salariés. Mais à l’échelon supérieur, pour la direction de la CGT à Paris, la situation n’est pas facile à gérer. Bernard Thibault a tenté de réformer avec difficulté son syndicat ces dernières années, et se retrouve maintenant, à quelques semaines de son départ, devant cette situation extrême à gérer à Goodyear. Son successeur désigné, Thierry Le Paon, qui doit se faire élire au prochain congrès dans quelques semaines, n’a pas le choix : il est obligé de soutenir ses représentants locaux, et donc de valider de fait cette stratégie d’enlisement et de radicalisation. Même lui se retrouve piégé par ce jusqu'au-boutisme des représentants syndicaux locaux.

Cela prouve une nouvelle fois qu’à la CGT, c’est la base qui décide. C’est un élément très important et très fort de gouvernance de la CGT : ce n’est pas l’appareil parisien qui décide, mais la base, au sens des représentants locaux.

Stratégiquement, cette situation à Goodyear est un double échec pour la CGT. D’une part, sa stratégie de radicalisation extrême aboutit à un naufrage pour les travailleurs. D’autre part, la direction de Goodyear a maintenant tout le loisir de désigner la CGT comme étant le responsable principal de la fermeture de l’usine. Le directeur général de Goodyear qui a fait une déclaration dans ce sens, disant que tout a été tenté et rejeté par la CGT. C’est une défaite majeure à la fois pour la CGT et pour le syndicalisme.

Les syndicats représentent généralement les personnes ayant un emploi : la protection à court terme des emplois existant se fait-elle au détriment des emplois du futur ?

La question de la représentativité est centrale. Les syndicats ne représentant que 8% des personnes salariées. Et il ne s’agit que des salariés et non de toutes les personnes ayant un emploi : les personnes en CDD, intérimaires et stagiaires ne sont pas représentées par les centrales syndicales.. Donc in fine, les syndicats ne doivent représenter que 4% de l’ensemble des travailleurs, ce qui est minime. Quelle est leur légitimité ? Pourquoi les travailleurs ne veulent-ils plus adhérer a un syndicat ? C’est une vraie question, que les syndicats vont devoir se poser très sérieusement s’ils veulent survivre au 21e siècle.

Les travailleurs vont finir par en avoir assez, ils ne laisseront pas passer encore dix affaires comme celle de Goodyear. 500 ou  600 emplois auraient pu être sauvés dans cette usine d’Amiens, et pour l’instant ils ne le sont pas, tout cela à cause de l’entêtement d’un syndicat.

Les syndicats doivent opérer une révolution dans leur stratégie pour préserver l’emploi. Ils considèrent aujourd’hui que le marché et les entreprises doivent s’adapter à l’emploi. Mais le monde réel ne fonctionne pas ou plus comme cela. C’est à l’emploi, et donc aux partenaires sociaux, de porter des solutions équilibrées, raisonnables, et de s’adapter aux besoins des entreprises et du marché. On peut le regretter ou pas, mais le marché et  les entreprises gouvernent, et non une politique idéologique de l’emploi.

De manière générale, le bilan destruction/protection d'emploi est favorable ou défavorables aux syndicats ?

Il ne faut pas tout mettre sur le dos des syndicats. Le contexte économique est extrêmement difficile depuis bientôt dix ans, et les syndicats n’y sont pas pour grand-chose, les salariés comme les entreprises subissent ce contexte au quotidien. Cependant il ne faut pas oublier tous les accords de branches signés entre les entreprises et les organisations syndicales. Ces accords sont des avancées extrêmement positives. On en parle moins, car elles se font par la négociation et donc plus discrètement, sans grande manifestation dans la rue. Des avancées sont faites, souvent grâce à certains syndicats qui sont plus ouverts à la discussion que d’autres. Dans quelques affaires très symboliques, il y a cependant des blocages.

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