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Une révolution est-elle possible en Arabie saoudite ?
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Vent de révolte

Dans une note publiée par le think tank américain Brooking, un spécialiste explique que l'Arabie saoudite pourrait elle aussi connaître une révolution.

Mehdi Lazar

Mehdi Lazar

Mehdi Lazar est géographe, spécialiste des questions de géopolitique et d’éducation. Il est docteur de l’Université Panthéon-Sorbonne, diplômé du Centre d’Études Diplomatiques et Stratégiques et de l’Institut Français de Géopolitique.  

Il a publié récemment l’ouvrage Qatar, une Education City (l’Harmattan, 2012) et dirige la commission Éducation, Programmes FLAM et Francophonie du laboratoire d'idées GenerationExpat.

Il vient de publier, également, L'Algérie Aujourd'hui, aux éditions Michalon (Avril 2014)

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Atlantico :  Dans une note publiée par le think tank américain Brooking, un spécialiste explique que l'Arabie Saoudite pourrait elle aussi connaître une révolution. Le pays, qualifié de "survivant" aux révolutions arabes doit faire face aux mêmes enjeux qui ont traversé le Yémen ou l’Égypte : une population jeune, et un taux de chômage très élevé. Les différences de traitement entre hommes et femmes, ainsi que les disparités régionales aggraveraient la situation. Une révolution contre le roi Abdallah est-elle imminente dans le pays ?

Mehdi Lazar : Récemment, Christopher Davidson a sorti un ouvrage intitulé After the Sheikhs: the Coming Collapse of the Gulf Monarchies dans lequel il avance que vu les facteurs de fragilité internes et externes des Etats du Conseil de Coopération du Golfe, dont l’Arabie Saoudite, leur chute pourrait survenir au cours des trois à cinq prochaines années.

En Arabie Saoudite en effet, des maux tels que le chômage, la pauvreté, la discrimination entre les hommes et les femmes, un régime de type monarchie absolu, la distance entre le régime autoritaire et la jeunesse – 75 % de la population a moins de 25 ans – , la censure et les excès de certains membres de la famille royale sont des facteurs de fragilité importants.

De plus, les facteurs de fragilité externes existent aussi, avec la dépendance du pays à l'égard des puissances des Etats-Unis pour leur sécurité. Or, l’onde de choc des printemps arabes a été importante dans le Golfe et s’est ressentie jusqu’à Bahreïn où le royaume a vu le soulèvement chiite comme une menace à cause de ce que cela signifiait tant pour sa propre population chiite  (situé près de Bahreïn et de la majorité des installations pétrolières saoudiennes) que pour sa rivalité régionale avec l'Iran (qu’un changement de régime à Manama au profit d’un pouvoir chiite aurait renforcé).

La vague géopolitique du printemps arabe a donc été pris en compte très sérieusement en Arabie Saoudite. Le royaume a par exemple accordé en 2011 le droit de vote des femmes aux élections locales (sans grands enjeux). Mais la frustration des jeunes et des femmes reste réelle et malgré de nombreuses dépenses – on parle de plus de 130 milliards – les raisons de déclenchement des printemps arabes dans d’autre pays se retrouvent en Arabie Saoudite. Des manifestations ont d’ailleurs déjà eu lieu dans les provinces de l’Est – probablement avec un certain soutien de l’Iran.

En outre, l’Arabie Saoudite est en ce moment fragilisée en raison de ses luttes de succession : en novembre 1995, le roi Fahd a fait un accident vasculaire cérébral et le prince héritier Abdallah, est devenu roi après son décès. Cependant, après la mort en moins de sept mois de deux prétendants au trône, Sultan et Nayef, les incertitudes quant à la succession dans le royaume restent fortes. Le roi Abdallah a une santé faible et le prince héritier Salman Ben Abdelaziz est aussi âgé. Il a en revanche la réputation d’être beaucoup plus ouvert que le roi Abdallah. Les conditions de la succession prochaine dans le royaume et l’identité du prochain roi pèseront donc beaucoup dans l’évolution du régime, ce qui pourrait avoir des répercussions sur une tentative de révolution du type « printemps arabe ».

Une autre possibilité serait aussi qu’en cas de luttes de succession trop brutales, le royaume éclate en un Etat fédéral dans lequel chaque membre important de la famille royale aurait une province à administrer (se poserait la question des champs de pétrole situés à l’Est). Ainsi, alors que l'Arabie Saoudite a rarement connu l'instabilité lors des successions au trône, le contexte est aujourd’hui très différent. La question de la garde nationale est ici essentielle : que ferait-elle en cas de révolution ? Hésiterait-elle à tirer sur la foule comme en Egypte ou le ferait-elle comme en Syrie ?

Les Etats-Unis gagnent en indépendance énergétique, eux qui échangent énormément avec l'Arabie Saoudite pour leurs besoins en pétrole. L'Amérique du Nord pourrait-elle souffrir d'une révolution dans le pays ? Qu'en est-il de l'Europe ?

L’indépendance énergétique n’est pas pour tout de suite pour les Etats-Unis mais plutôt à l’horizon 2020. Pour le moment ces derniers consomment plus de pétrole qu’ils n’en produisent.

Et depuis le début de l’exploitation pétrolière, l’Arabie Saoudite a mis en place une politique énergétique qui lui assure la protection des États-Unis (selon le pacte de Quincy) en échange de leurs approvisionnements réguliers et bon marché en pétrole. Le royaume est donc le plus ancien allié des Etats-Unis dans la région.

Cependant, après les attentats du 11 septembre 2001 et la présence de 15 Saoudiens sur les 19 pirates de l’air, les Etats-Unis ont mis en place une vaste politique de diversification de leurs approvisionnements en pétrole afin de moins dépendre du brut saoudien, ce qui a été plutôt réussi (bien que les Etats-Unis importent encore du pétrole saoudien). Cela dit, dans toute géopolitique de l’énergie le royaume reste incontournable car il abrite encore 20% des réserves mondiales prouvées de brut. En revanche, la forte dépendance de l’Arabie Saoudite vis-à-vis des ressources en hydrocarbures pour son économie fait que même en cas de révolution, le nouveau régime devrait poursuivre les contrats en cours pour survivre économiquement. Pour le moment, Washington et Riyad ont encore besoin l'un de l'autre.

Cependant,  dans un scénario extrême qui inclurait l’arrêt des exportations de pétrole de la part de l’Arabie saoudite, alors la Chine, l'Inde, le Japon et l'Europe manqueraient cruellement d’énergie, on peut imaginer que cela aurait un impact majeur sur l'économie mondiale. De plus les prix du brut monteraient rapidement provoquant un autre choc pétrolier, ce qui serait catastrophique.  

Quelles seraient les conséquences géopolitiques d'une révolution dans la région ?

Les changements seraient considérables mais dépendraient bien sûr du type de régime qui serait mis en place à Riyad. L’Arabie Saoudite est pour rappel la puissance de la péninsule arabique et du CCG : le pays fait plus de 2 millions de km², compte environ 30 millions d’habitants et détient la première armée de la péninsule avec environ 200 000 soldats.

L’impact d’une révolution serait donc bien sûr ressenti dans toute la région et serait très fort au sein de la péninsule arabique. Par exempl, la minorité sunnite au pouvoir à Bahreïn serait durablement fragilisée sans l'argent et le soutien saoudien. L’influence de l’Iran pourrait aussi s’étendre sur la partie Est de la péninsule arabique et aboutir à de nombreux affrontement confessionnels. La Jordanie souffrirait sans l'argent et le pétrole saoudien et les petits émirats du Golfe tels le Qatar, le Koweït ou les Émirats arabes seraient déstabilisés par le type de régime révolutionnaire mis en place.

Propos recueillis par Ann-Laure Bourgeois 

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