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Google est-il en train de perdre la course de l’internet sur mobiles ?
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Has-been

Le moteur de recherche de Google est-il adapté aux outils mobiles ? Les utilisateurs recherchent-ils différemment sur leur tablette et leur PC ? Certaines applications osent aujourd'hui défier Google sur son terrain de prédilection.

L'Internet est de plus en plus mobile. L'an prochain, le nombre d'utilisateurs de mobiles devrait dépasser celui d'utilisateurs de PC. Selon un rapport de l'analyste Mary Meeker, les terminaux mobiles sous iOS ou Android représentent maintenant 45% du trafic.

Google trouvera-t-il sa place dans le tableau à l'avenir ? C'est la question que se pose le site Search Engine Land. Certes, le géant est pour l'instant le premier moteur de recherche au monde et ses ressources sont presque illimitées pour investir et s'adapter à la recherche mobile. Google est même peut-être tout simplement la plus grande marque au monde. Elle peut racheter les entreprises considérées comme des menaces, et n'a pas manqué de le faire avec Expect Labs, une société qui développe un outil de recherche mobile nouvelle génération.

Mais son modèle de recherche traditionnel et son mode de présentation du contenu ne sont pas adaptés aux nouvelles pratiques. La page de recherche classique de Google est peu lisible sur les écrans des tableaux de bord des voitures, par exemple.

Pour l'instant, la société règne sans partage - ou presque - sur l'Internet mobile, comme le montre le graphique ci-dessous. En dehors de l’exception chinoise avec Baidu, Google est le maître incontesté de la recherche par navigateur sur mobile, avec des parts de marché de 95,8% au niveau mondial.

La cause de ce succès ? Une stratégie de développement agressive sur mobile, avec des outils comme Android. Contrôlée par Google, Android est la plateforme reine des smartphones.

Mais le New York Times fait remarquer dans un tour d'horizon général de la recherche mobile que de nombreuses applications mobiles constituent désormais de sérieux concurrents à Google.Par exemple, les utilisateurs s’intéressent de plus en plus à des applications telles que Yelp.

Pour ne rien arranger "le mobile est une cible mouvante", explique le professeur en droit de la concurrence Berbert Hovenkamp, conseiller pour Google : "c'est un marché dans lequel les nouveaux concurrents peuvent émerger en une semaine". Tout est donc possible, et imprévisible, car "les applications mobiles sont des outils de recherches verticaux", et "aucune ne domine réellement une section du mobile de façon stable", explique Rebecca Lieb, une analyste des médias digitaux.

Résultat : tous les espoirs sont permis, et certaines sociétés osent venir défier Google sur son propre terrain. Ainsi, développé par la société Blekko, le moteur Izik se propose de jouer le rôle d'outil de recherche sur mesure pour terminaux mobiles - portables, tablettes. Le PDG de Blekko Richard Skrenta croit dur comme fer dans son concept. Sa théorie : l'utilisateur ne recherche pas de la même façon sur PC et sur tablette. Plus détendu, l'utilisateur de tablette est enclin à errer et recherche des informations moins précises, il est plus facilement disposé à parcourir de nombreux résultats de recherche. "Sur une tablette, il est plus facile de parcourir, de feuilleter, et cela laisse plus de place à la nouveauté, à la surprise", explique Skrenta.

Interrogé par Atlantico, le fondateur du site Comment ça marcheJean-François Pillou confirme le changement d'usages : "les horaires de consultation ne sont pas les mêmes : l'ordinateur de bureau est plutôt utilisé pendant les heures travaillées, le mobile le reste du temps (matin, midi, soir)". De plus, en mobilité, les utilisateur orientent leurs recherchent davantage en interaction avec leur environnement : "la télévision ou la radio ont une capacité plus forte qu'avant à diriger les internautes sur le web. Pendant un discours politiques, les utilisateurs vont chercher un terme qu'ils ne connaissent pas, pendant une émission culinaire ils cherchent la recette ou encore pendant un direct d'une émission de télé-réalité ils commentent en temps réel."

Le rendu d'Izik est assez innovant : le moteur de recherche se présente davantage comme une application telle que Flipboard, ou Zite, et présente de nombreuses photos pour illustrer les résultats, donnant au tout une apparence de magazine plus qu'une liste de liens rébarbatifs. Selon le PDG, cette forme est l'avenir des moteurs de recherche, qui se présenteront bientôt tous sur ce modèle. Google n'a qu'à bien se tenir...

Atlantico a demandé son point de vue à Gilles Dounès, directeur de la Rédaction du site MacPlus.net et spécialiste d'Apple.

Atlantico : Avec plus de 95% de parts de marché sur mobile, existe-t-il un réel risque pour Google d'être détrôné ?

Gilles Dounès : On le sait depuis Constantin, le destin des empires est d'être dépecés, souvent, et même de disparaître, toujours. C'est d'ailleurs ce qui terrorisait à la fin des années 90 les dirigeants d'un Microsoft au faîte de sa puissance, et ce que cherchent à tout prix à éviter Larry Page et Sergueï Brin depuis que des nuages anticoncurrentiels s'amoncellent au-dessus du siège de Google.


On parle de plus en plus depuis quelques années "d'écosystèmes" dans le secteur IT : on aurait tort de croire qu'il s'agit d'un simple jeu de mots à partir de l'adjectif "économique". Il s'agit d'une véritable métaphore à partir des systèmes d'interactions biologiques, dynamiques et complexes, que l'on rencontre dans la nature, que l'on a essayé de modéliser à partir de la fin des années 60 et qui répond aux mêmes lois. En particulier, que si le "gorille au sommet de la chaîne alimentaire" semble indétrônable au premier abord, un changement dans les conditions de son écosystème peut renverser sa domination et sacrer un nouveau roi de la jungle dans un temps très très court.

C'est précisément ce qui s'est produit dans le domaine de la téléphonie mobile, avec l'irruption des Smartphones, comme d'autres secteurs avant lui. Les Nokia, Motorola et même BlackBerry ont pratiquement disparu des radars, du fait de l'apparition de l'iPhone en 2007. Mais c'est également le cas dans la pratique d'Internet, par ce que Apple – encore elle – a décidé à partir de 2008 de doter l'iPhone d'un véritable système d'exploitation, capable de faire tourner de vraies applications.


On est passé alors de ce qui avait été plus ou moins anticipé comme "l'Internet des objets" et qui devait s'appuyer plus ou moins sur le HTML à "l'Internet des applications". Avec une véritable révolution des usages : le Smartphone s'est transformé de simples terminal de consultation d'un navigateur Internet un peu amélioré à un véritable ordinateur de poche. Google, qui s'était préparé à accompagner la vague avec son partenariat avec Apple sur l'iPhone en y transposant peu ou prou son modèle économique courait le risque d'être marginalisé à terme par des applications qui auraient apporté un service supplémentaire par rapport à ses services, en asséchant sa manne publicitaire. C'est la raison pour laquelle Google s'est lancé sur le business de l'OS mobile avec Android. L'OS de Google a prit la main à son tour grâce à Samsung, mais cela peut changer demain, si le Coréen décide de faire cavalier seul.

Le comportement de l’utilisateur est-il différent sur les mobiles, comme le pense Richard Skrenta, le PDG de Blekko ? Les horaires de consultation ne sont pas les mêmes : l'ordinateur de bureau est plutôt utilisé pendant les heures travaillées, le mobile le reste du temps (matin, midi, soir). L'utilisateur st-il vraiment plus détendu ? Les moteurs de recherche doivent-ils s'adapter en conséquence ?

Si la recherche est effectuée pour des motifs personnels durant le temps de travail, il est évident que le comportement de l'utilisateur est différent de celui qu'il pourrait avoir chez lui sur son temps propre, ne serait-ce que même si le code du travail et des employeurs sont compréhensifs par rapport à ce qui peut être considéré comme une pause nécessaire, il s'agit tout de même d'un temps qui est rémunéré par l'employeur. Mais pour les fournisseurs de contenus comme Google, c'est une contrainte qui est apparue en même temps que l'outil puisque jusqu'au développement de l'ADSL et du câble la connexion était facturée à la durée, puis au méga-octet, sans même remonter en Minitel !

Mais il est vrai que les comportements sont par nature différent en fonction des outils… À ceci près que je ne suis pas absolument sûr que les utilisateurs soient davantage détendus sur un espace aussi restreint que celui de l'écran d'un Smartphone, a fortiori si celui-ci est utilisé dans l'environnement bruyant de l'espace public ou même dans les transports en commun, par exemple. Rien n'empêche non plus l'utilisateur une fois rentré chez lui de se mettre à distance des piaillements du téléviseur familial et de sa progéniture, bien au calme devant l'ordinateur familial. Les moteurs de recherche, qu'ils soient généralistes comme Google, Bing ou Izik, ou bien spécialisés comme peuvent l'être certaines applications comme Yelp ou le français Lafourchette par exemple et pour ne citer qu'eux, doivent avant tout bien faire ce pourquoi ils sont conçus : trouver et présenter une information la plus pertinente, la plus signifiante possible, de préférence en fonction de son contexte et de l'utilisateur qui la demande. L'interface en découlera dans un 2e temps.

Pour autant, je pense que le défi principal pour les fournisseurs de contenus, et singulièrement les moteurs de recherche, est représenté par ce nouvel outil que sont les tablettes, avec leur écran que je qualifierais "d'intermédiaire" à la fois en termes de taille, entre l'écran d'ordinateur et celui du Smartphone, mais également entre les individus, le téléphone (même intelligent) ayant une dimension beaucoup plus personnelle au même titre que l'ordinateur qui reste paradoxalement, même à la maison, un outil de travail personnel. Ce n'est a priori pas le cas, ou pas encore, celui de la tablette qui semble favoriser quelque chose du partage, une dimension beaucoup plus transactionnelle et collaborative.

Apple est-il l'ennemi numéro 1 dont Google doit se méfier, ou les petites start-up indépendantes sont-elles aussi menaçantes ?

On a bien vu que, alors que Apple et Google était en pleine lune de miel, c'est Apple qui a introduit le changement dans l'industrie qui à terme aurait menacé l'hégémonie de Google si elle n'avait pas réagi en décidant de développer Android à destination des concurrents d'Apple, de manière à être sur de pouvoir continuer à bénéficier non seulement de la manne publicitaire générée par ses services, mais surtout des données personnelles fournies par les utilisateurs attirées par le "gratuit" et qui lui sont nécessaires pour proposer aux annonceurs de la publicité la plus "qualifiée possible", c'est-à-dire la plus adaptée aux goûts et aux habitudes – j'allais dire à la personnalité – des utilisateurs.

N'importe quel entrant sur ce marché, qu'ils soient généralistes ou spécialisés, peuvent représenter à terme une menace pour Google ou qui que soit d'autre en position de dominance. Ce peut-être demain le tentaculaire Facebook, qui vient d'ailleurs de présenter la version bêta de son propre moteur de recherche, fort de la quantité astronomique de données personnelles qu'il accumule sans que personne y prenne garde… Si toutefois il arrive à trouver la solution pour la plate-forme mobile. Mais ce peut être également un nouvel entrant capable de présenter LA bonne information au bon moment et dans le bon contexte, ce qui est a priori le plus important en situation de mobilité et d'attention restreinte.


Dans cette optique, il n'est pas non plus impossible que le business modèle du géant de Mountain View soit littéralement réduit en charpie par l'armée des fourmis spécialisées que sont les Apps mobiles… Même si une fois encore c'est pour éviter ce péril que Google a développé pour son compte un OS mobile sur lequel elle garde la haute main : elle garde également la possibilité de racheter en dernier recours une start-up trop prometteuse à fin de l'intégrer directement dans Android. Mais attention : les pouvoirs publics l'ont à l'œil.

Quelle(s) stratégie(s) efficace(s) Google pourrait-il adopter pour faire face à la concurrence ? Va-t-il a terme devoir remanier totalement son interface ?

Outre le rachat en cas de menace, et pour éviter d'en arriver là, Google va devoir d'abord continuer à faire évoluer son algorithme de recherche de manière à ce qu'il reste le plus pertinent possible, quel que soit le contexte et la plate-forme. C'est d'abord parce qu'il était le plus efficace que le moteur de recherche de Google a pu s'imposer et prendre les parts de marché qui demeurent les siennes aujourd'hui. Il va surtout devoir apprendre à s'appuyer sur la dimension sociale du Web, ce qu'on appelle le "Crowd sourcing" au sens large et qui fait que des gens vont partager spontanément et gratuitement des informations qui seraient très onéreuses à collecter de façon systématique, même par des robots. C'est le point fort de Facebook, et d'un certain nombre d'applications aussi diverses que Instagram (racheté!), Yelp ou Coyote. Malgré plusieurs essais, dont Google + est le dernier en date, la firme de Page et Brun n'a jamais vraiment su faire.

Propos recueillis par Julie Mangematin

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