Patrons voyous ? Entre comportements anti-sociaux et stratégies légitimes des entreprises, où sont vraiment les moutons noirs de l’économie française<!-- --> | Atlantico.fr
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Quels sont les comportements voyous des entreprises les plus répandus dans notre pays ?
Quels sont les comportements voyous des entreprises les plus répandus dans notre pays ?
©Reuters

A la dérive

Goodyear France a annoncé la fermeture de son usine d'Amiens-Nord qui emploie plus de 1 200 salariés. Par ailleurs des employés de nombreuses entreprises (Sanofi, PSA, Candia, Virgin, Goodyear, etc) étaient présents mardi devant le ministère du Travail pour réclamer la loi sur les licenciements boursiers promise par François Hollande.

François  Taquet et Gérard Filoche

François Taquet et Gérard Filoche

François Taquet est professeur en droit du travail, formateur auprès des avocats du barreau de Paris et membre du comité social du Conseil supérieur des experts-comptables. Il est également avocat à Cambrai et auteur de nombreux ouvrages sur le droit social.

Gérard Filoche est un homme politique. Il est rédacteur en chef de la revue Démocratie et Socialisme depuis 1992. Il est également connu de par sa profession d'inspecteur du travail. Cette activité lui a valu d'être nommé au Conseil économique et social par Lionel Jospin.

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Atlantico : Alors que Goodyear a annoncé la fermeture de son site d’Amiens-Nord, des représentants de salariés de 25 entreprises ont manifesté mardi devant le ministère du Travail. Au-delà de la question complexe des licenciements boursiers, quels sont les comportements voyous des entreprises les plus répandus dans notre pays ?

Gérard Filoche : C’est une question très profonde qui mériterait d’écrire un livre mais ce qui me vient immédiatement à l’esprit est le non-paiement des heures supplémentaires. Un employeur français sur deux ne paie pas du tout ou pas totalement les heures supplémentaires à ses employés et neuf plaintes sur dix reçues par l’inspection du travail sont liées aux heures supplémentaires. Il y a donc là un véritable vol d’heures supplémentaires qui ne sont ni déclarées ni payées en encore moins majorées. Le chiffre s’élève à environ un milliard d’heures non payées soit l’équivalent de 600 000 emplois.

Vient ensuite le travail dissimulé total qui se retrouve essentiellement dans la restauration. Une enquête de l’ACOSS a montré que 25% des plus de sept mille restaurants d’Île-de-France ont des employés non déclarés dans le fond de la cuisine et qui travaillent entre douze et quatorze heures par jour. Ces chiffres montrent bien que la délinquance patronale est bien loin d’être une petite notion.

Les ruptures conventionnelles sont également dramatiques puisqu’il ne s’agit de rien d’autre que de la possibilité de renvoyer les gens sans le moindre motif. Depuis 2008, il y a eu un million de ruptures conventionnelles soit 250 000 par an. Même si les divers plans de licenciements chez PSA, Renault, Sanofi ou Goodyear sont dramatiques, ils impliquent des milliers de gens mais ce n’est rien en comparaison des ruptures conventionnelles. Il est quand même paradoxal de voir que les patrons peuvent virer sans motifs alors que les chômeurs doivent présenter un motif lorsqu’ils refusent une offre du pôle emploi parce qu’elle est à deux cents kilomètres de chez eux ou qu’ils perdent 20% de salaire.

François Taquet : Le terme de comportements voyous n’engagent que ceux qui l’utilisent et pour ma part je préfère parler de comportements qui ne respectent pas les lois. En matière de CDD, l’embauche est supposée se passer dans l’un des dix cas prévu par la loi alors que ce contrat a été dénaturé puisqu’il a été transformé en une période d’essai et n’est plus un contrat. Il s’agit d’un véritable détournement des moyens mis à la disposition des entreprises qui ainsi retardent l’emploi en se sécurisant.

Le temps de travail est également très peu respecté notamment à cause d’une législation lourde et complexe presque impossible à appliquer. 80% des entreprises françaises comportent moins de neuf salariés et il est donc très difficile de respecter les 35h. Cela pousse donc naturellement à l’apparition d’heures supplémentaires qui sont souvent payées sous la forme de primes exceptionnelles. Elles ne sont donc pas majorées et cela évite aux employeurs de payer les repos compensateurs.

Enfin, les lois sur les licenciements économiques font également partie de celles qui sont peu respectées. Rappelons également que la législation française sur la question est la plus dure d’Europe. Pour autant, dans l’affaire Goodyear, et bien que je ne sois pas expert du dossier, il me semble qu’ils sont dans les clous mais nous verrons bien ce qu’en disent les tribunaux. Quoi qu’il en soit se pose surtout des grandes promesses politiques qui ne sont pas tenues et qui ne relève pas de l’analyse juridique.

Au-delà de la restauration déjà évoquée, quels sont les secteurs les plus touchés par ces comportements ?

Gérard Filoche : Après la restauration, vient naturellement le bâtiment, secteur dans lequel on compte 1 110 000 ouvriers dont on peut estimer 5 à 10% de travailleurs non déclarés. Cela est dû à une cascade de sous-traitants, d’agences d’intérim, au bout de laquelle on trouve tout une zone de gens dans la misère qui ne peuvent faire autrement que d’accepter de travailler sans contrat et pour des salaires moindres. L’agriculture vient avec également une sous déclaration massives d’ouvriers agricoles au moment des cueillettes, un travail difficile, pénible, les pieds dans la terre. Il existe aussi des ateliers textiles clandestins ou des coursiers illégaux. Les camionneurs sont aussi un bon exemple puisqu’ils sont au nombre de 240 000 en France avec des conventions collectives à 56h. Il suffirait de les ramener à 35h pour créer immédiatement 40 000 emplois si les transporteurs souhaitent conserver le même volume de fret transporté.

Quelles sont les causes fondamentales de ce phénomène ?

François Taquet :La législation française est clairement trop complexe au point qu’elle finit par décourager l’emploi et par ne plus protéger les salariés. Le code du travail français compte dix mille articles, lourds et obscurs, là où son équivalent suisse n’en compte que 57, c’est vous dire le décalage. En France, on pense que l’épaisseur du code du travail à la manière d’une armure protège mieux parce qu’il est épais. L’exemple de PSA est frappant, le code du travail ne fait que reculer le plan de licenciement de deux semaines. Rien de plus. Les articles sont de plus en plus difficiles à assimiler et changent tout le temps sans rien améliorer de la protection des salariés comme le montre le dernier accord national interprofessionnel de janvier 2013. Ce dernier n’a fait que compliquer la situation pour les petites entreprises et créer une situation ubuesque qui dessert l’emploi et ne protège pas mieux.

Gérard Filoche : Avida Euro, l’avidité des euros. Voilà la seule explication, cette rapacité mène à une logique sans fin de profit qui consiste à faire passer les patrons pour des incapables lorsqu’ils ne dégagent que 5% de marge. Ils sont considérés comme de mauvais gestionnaires et de mauvais employeurs et les banques ne les suivent plus s’ils ne font pas 15% de marge. Tant que nous serons dans cette logique de profit maximum nous continuerons à encourager les fraudes sociales et la pression psychique sur les travailleurs.

Existe-il aujourd’hui des solutions qui pourraient réduire la fréquence et l’ampleur de ce phénomène ? Cela passe-t-il par l’éloignement des syndicats du processus législatif ou au contraire par leur renforcement ?

François Taquet : Il faut absolument alléger la législation du droit du travail en allant droit à l’essentiel. Il faut se débarrasser des trente-huit formes de contrat qui nous encombrent et nous plonge dans un marasme total aussi bien du côté des employés que des employeurs. Les gouvernants ne font que mettre les syndicats face à face, n’en sort donc que des accords consensuels qui ne veulent rien dire. Il est évidemment essentiel de consulter les syndicats mais il faut sortir de la logique actuelle dans laquelle la signature d’un accord par les syndicats émascule totalement le parlement. Comment pouvons-nous accepter que ceux qui sont la représentation nationale n’aient rien à dire face à des syndicats qui représentent moins de 8% des travailleurs ? Je trouve d’ailleurs scandaleux que les députés ne se rebellent pas contre le fait qu’ils soient ainsi éloignés du débat social alors qu’il au cœur des attentes des Français.

Gérard Filoche : Doubler les sections d’inspecteurs du travail et améliorer le suivi des procès-verbaux plutôt que de les classer sans suite serait un bon début. Il n’y aujourd’hui que 767 inspecteurs du travail en France et cinq mille procès-verbaux établis chaque année pour un million deux cent mille entreprises. Autant dire que dans l’état actuel des choses, il s’agit plus d’exemplarité que de véritables sanctions. Enfin, il faut renforcer le pouvoir des structures syndicales qui reste le meilleur moyen pour les salariés de se protéger de faire valoir leurs droits sans quoi les patrons abusent du chantage à l’emploi.

Propos recueillis par Jean-Baptiste Bonaventure

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