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L'État stratège cher à Arnaud Montebourg est-il surtout un tueur d'innovation ?
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Paternalisme dépassé

L'innovation est souvent présentée comme l'une des meilleures solutions à la sortie de crise, en particulier dans l'Hexagone qui est réputé pour sa politique de subventions aux entrepreneurs. Et si cette logique de soutien était finalement contre-productive ?

Jean-David Chamboredon et Marc Giget

Jean-David Chamboredon et Marc Giget


Jean-David Chamboredon
est Président-Exécutif de ISAI Gestion SAS, un fonds pour les entrepreneurs du secteur internet.

Marc Giget est fondateur et Directeur scientifique de l’Institut Européen de Stratégies Créatives et d’Innovation, Professeur de culture de l’innovation et mise en œuvre entrepreneuriale au Conservatoire National des Arts et Métiers (Cnam).

 
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Atlantico : La France est connue pour avoir une politique de soutien aux innovateurs, notamment à travers l'octroi de subventions pour aider les petits entrepreneurs. Peut-on dire pour autant que ces mesures portent leurs fruits dans les faits ?

Marc Giget : Pas vraiment, puisque l’on constate tous les jours que l’émergence des activités nouvelles ne compense toujours pas le déclin d’activités anciennes. En fait, l’interventionnisme français dans l’innovation est sans équivalent dans le monde dans ses deux composantes, - d’une part des prélèvements sur toute forme d’entreprise, qui sont parmi les plus élevés au monde - d’autre part de multiples "aides", également sans équivalent ailleurs, par leur nombre, bien que leur montant cumulé soit inférieur d’un ordre de grandeur aux prélèvements. En découle une faible capacité d’autofinancement et une chasse aux aides et subventions diverses qui constituent une course d’obstacles commune à la plupart des innovateurs et jeunes entrepreneurs.

Un chiffre m’avait frappé l’an dernier, lors des dix ans de Scientipôle, structure spécialisée dans l’aide au financement des start-ups high-tech et qui fait d’ailleurs très bien son boulot. L’enquête montrait que l’âge moyen auquel les start-up aidées passaient un million d’euros de chiffre d’affaires s’établissait vers 6 ans ½ ! Ce qui est incroyablement tardif dans ces secteurs high-tech. Beaucoup avaient en fait vécu toutes ces années en restant à une taille modeste, avec des aides publiques variées assez souvent supérieures au chiffre d’affaires généré.

Jean-David Chamboredon : De nombreuses subventions ou prêts d'honneur de quelques dizaines de milliers d'euros sont disponibles pour "l'entrepreneur innovant" durant la phase de démarrage. Ces "aides" sont les bienvenues dans la mesure où elles permettent souvent à l'entreprise de passer de "quasi-rien" à "quelque chose". C'est sur la base de ce "quelque chose" que l'entreprise pourra peut-être trouver son premier client ou son premier investisseur... Ce "saupoudrage" initial n'est donc efficace que si les étapes suivantes sont franchissables et notamment si l'entreprise peut attirer dans la foulée des investisseurs. 

Le dispositif ISF-PME maintenu par le gouvernement y est favorable, la taxation des plus-values telle que prévue dans la loi de finances 2013 y est, par contre, très défavorable... Sans le relais notamment des "business angels", ces aides octroyées au démarrage sont comme de l'eau versée sur du sable !

De nombreuses mesures d'incitation existent en France, comment expliquer dans ce cas la relative démotivation des entrepreneurs hexagonaux ?

Marc Giget : D’une part ces aides sont complexes à obtenir et mobilisent beaucoup de temps pour des montants modestes (à l’exception notable du crédit impôt recherche qui à lui seul représente en valeur environ moitié de toutes les aides).

D’autre part, elles vont de pair avec tout un tas de contraintes qui orientent et enferment les entrepreneurs dans des schémas trop restrictifs par rapport à l’extrême diversité nécessaire des business models. Vu de l’extérieur, ces multiples certifications, labellisations et interventions tatillonnes apparaissent comme autant de défiance par rapport aux stratégies des entrepreneurs, qu’il faudrait constamment "orienter et accompagner". Pour info, une élève américaine nous avait proposé il y a  5 ans un sujet de thèse sur "l’infantilisation du rôle de l’entrepreneur dans le système administratif français". Un peu plus de confiance serait effectivement bienvenue.

Enfin, parce que la reconnaissance des entrepreneurs est très faible dans le système français, contrairement à l’Inde, par exemple, où ils sont considérés comme des héros. Nous savons combien Keynes est sensé inspirer la politique économique française. Or, Keynes avait une admiration sans limite des entrepreneurs, générateurs de la croissance économique et un mépris affirmé pour les "rentiers". La confusion des deux est incompréhensible et hautement démotivante pour les entrepreneurs qui ont besoin d’être reconnus dans leur identité profonde et dans leur rôle spécifique.

Jean-David Chamboredon : Qu'il s'agisse du crédit impôt recherche, du statut de "jeune entreprise innovante" ou de l'octroi de subventions venant de fonds nationaux ou régionaux, la vision "administrative" de l'innovation reste beaucoup trop "scientifico-technique" en France. L'innovation de service ou de modèle souvent basée sur des innovations incrémentales et itératives n'est généralement pas assez reconnue... Ceci oblige souvent l'entrepreneur soit à renoncer à ces dispositifs, soit à essayer malgré tout de concilier sa vision avec des contraintes "administratives" peu compatibles : qu'il passe son chemin ou qu'il se contorsionne, l'entrepreneur peut ne pas se sentir véritablement soutenu !

De plus, si l'on regarde les mécanismes d'avances remboursables ou de prêts à taux zéro permettant de cofinancer des projets de R&D, OSEO va exiger, et c'est parfaitement normal, de voir les conditions de fonds propres permettant de co-financer ledit projet. Ainsi, seuls les projets bien financés peuvent avoir accès à ce type de dispositifs et si le financement est rendu difficile, l'entreprise risque de ne pas y avoir accès : d'où une grande frustration de type "l'oeuf et la poule"...

Les logiques administratives peuvent-elles faire bon ménage avec l'ambition personnelle ?

Marc Giget : Rien n’oppose a priori les logiques administratives, indispensables dans tout État de droit,  avec les ambitions personnelles. Il ne faut toutefois pas que la multiplication à l’extrême des réglementations débouche sur des contraintes excessives qui poussent les créateurs à aller réaliser leurs ambitions ailleurs. A la Belle Epoque, on disait que la France était "le pays où il faisait bon créer, innover et entreprendre", avec un Paris ouvert à toutes les initiatives et toutes les expérimentations. Beau programme qu’il faudrait remettre au goût du jour.

Jean-David Chamboredon : La question est très générale ! Pour y répondre de façon courte, disons qu'il y a 2 grandes sortes d'entrepreneurs: 

  • Celui qui intègre le système de subventions et d'aides diverses dans sa logique de développement et de financement de l'entreprise au risque de voir les contraintes administratives définir son quotidien et sa stratégie, d'y consacrer énormément de temps et d'énergie et potentiellement de rentrer dans un mode de "survie dépendante" peu enviable...
  • celui qui y voit une source d'optimisation/facilitation dans un pays où le coût du travail est élevé et l'accès au capital difficile mais qui est prêt à y renoncer si cela devait le détourner de ses objectifs "business". Cette seconde attitude n'est bien sûr possible que si les moyens de financement sont mobilisables par ailleurs...

De manière plus générale, peut-on dire que notre conception des élites peut s'accorder à la promotion d'entrepreneurs innovants donc forcément marginaux ?

Marc Giget : Le système français est ambigu. L’appareil d’État a une vision assez restrictive de ce qu’est l’élite de la nation avec quelques "grands corps" et quelques grandes écoles qui constitueraient une élite éclairée justifiant quelque privilèges et un droit d’orientation des choix fondamentaux.

Cette vision d’une société pyramidale date effectivement, quand on sait la variété des formes d’intelligence, de talents et encore plus des formes de création. Mais en contrepartie, il reconnait assez volontiers l’originalité et l’impertinence dès qu’elles arrivent à percer, avec la réserve que la reconnaissance  des "créateurs" n’inclue pas réellement les entrepreneurs. La création de 100 emplois n’est pas reconnue comme du niveau de la création d’une nouvelle mélodie.

Jean-David Chamboredon : On peut bien évidemment opposer les "élites" de tradition Colbertiste "top-down" et l'entrepreneur "bottom-up" prêt à saisir une opportunité créée par une brèche ou un changement. C'est une opposition vouée à l'obsolescence. N'oublions pas que l'entrepreneuriat reste l'un des seuls ascenseurs sociaux qui ne soit pas en panne et l'un des seuls moteurs de création d'emplois qui fonctionne ! Les élites politiques ou technocratiques ne peuvent plus ignorer cette réalité que la jeune génération s'est parfaitement appropriée...

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