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Impuissants : la sempiternelle radicalité des syndicats français asphyxie le système social
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Manifestation

Entre 700 et 1500 salariés issus de différentes entreprises et menacés de plan sociaux devraient défiler ce mardi dans les rues de Paris. Leur objectif : faire interdire les licenciements boursiers.

René Mouriaux

René Mouriaux

René Mouriaux est docteur d'Etat en Science Politique. Il l'auteur de nombreux ouvrages sur le syndicalisme. Son dernier livre, La dialectique d'Héraclite à Marx, est paru en 2010 (ed. Syllepse).

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Atlantico : Sanofi, ArcelorMittal, Peugeot, etc.. Les représentants de 25 entreprises menacées par des plans sociaux, toutes confédérations confondues manifesteront ce mardi à Paris. Les salariés défileront dans les rues dans l'objectif de faire interdire les licenciements boursiers. En cause, l'accord signé par les syndicats sur la sécurisation de l'emploi. Pourquoi les syndicats français n'arrivent-ils pas à sortir de la conflictualité ? 

René Mouriaux : Le syndicat français est reconnu par les salariés au plan électoral. Ils ont donc un soutien de salariat mais ils ont une assise d'adhérents tout à fait disparate. Il y a un contraste entre la capacité à mobiliser les électeurs et les manifestants. Mais aussi une  grande peine à fixer leurs relations le salariat sous forme d'adhésion régulière. Cette notion entre bonne réputation et faible adhésion est paradoxale. Ils sont d'un côté écoutés, reconnus, et de l'autre financièrement peu soutenus. C'est très différent de ce qui existe en Allemagne, en Grande-Bretagne et en Belgique.

En France,  les syndicats obtiennent des accords pour tout le monde,  ce qui n'est pas le cas ailleurs. Il faut mettre en évidence le fait qu'ils syndicats ont une double face. Cela conditionne beaucoup de choses, et le syndicalisme est fragmenté. Les choses se jouent en fonction de la force dominante, comme le montre la mobilisation actuelle sur les licenciements collectifs. La CFDT va être virulente sur ce sujet, mais cela ne va pas être le cas de tous els syndicats. Leur discours n'est pas unanime au plan confédéral, mais les syndicats se retrouvent fréquemment dans les mobilisations.

Cette culture du conflit est-elle imputable à la structure syndicale française ? Qu'en est-il dans d'autres pays comme l'Allemagne ?

Il faut distinguer les faits et la lecture des faits. Statistiquement, la France n'est plus du tout la championne de la grève. Ce n'est pas parce que le réseau d'inspecteurs du travail est insuffisant ou que les patronats se dispensent d'indiquer les arrêts de travail au Ministère. Il y a une réelle baisse de la conflictualité, des journées interprofessionnelles et des arrêts locaux. La France s'est rapprochée des pays européens, mais notre culture valorise le conflit, et le dénonce à la fois. En Belgique, il y a actuellement la suppression par Mittal de 1600 postes. Cette suppression provoque une mobilisation très forte dont on parle très peu. Il n'y a pas vraiment de différence avec ce qui se passe en France.

Il y a une propension à dire qu'en France nous sommes constamment en grève ce qui n'est plus la réalité. En Allemagne, il y a des grèves de cheminots, dans le domaine de la métallurgie,… depuis la réunification. On garde cette idée que là-bas, le consensus se perd. Il y a plus facilement de coopération et d'entente en Allemagne, mais il n'est pas vrai qu'en France on est moins capable de négocier institutionnellement.

Dans l'hexagone, nous avons un refus de l'austérité plus fort, cela reste dans la culture. Ce n'est pas tant la conflictualité, mais le rejet d'une participation, un effort inégal. Les salariés français ont le sentiment que les actionnaires font peu d'efforts alors que tout est demandé à la productivité, la compétitivité, ce qui provoque des baisse les coûts salariaux. C'est l'élément distinctif plus fort de la France par rapport aux autres.

Pourrait-on s'inspirer du modèle allemand par exemple pour faire de la relance ? 

Quand le président de la République propose une réforme constitutionnelle, celle d'inscrire le dialogue social dans la Constitution, c'est un geste symbolique mais sans portée. Il n'a aucun moyen d'inciter le MEDEF à être plus flexible dans les négociations, et de pousser FO et CGT à plus de concessions. En Allemagne, il y a une structure légale et institutionnelle assez comparable à celle de la France. Mais la grande différence c'est que le parti socialiste, le SPD a une capacité d’entraîner l'accord du DGB, le syndical majoritaire allemand. Il y a unité syndicale en liaison avec le SPD.

En France,  il y a  eu le souci de créer une sociale démocratie, c'est à dire cette entente syndicat et parti. Il y a eu le projet de recomposition syndicale à partir de 1986. Il y a aussi eu un rapprochement entre la CFDT Fédération d'éducation nationale  (FEN). Cette recomposition a abouti en fait à plus de division puisque la FEN a explosé. De cette explosion est née l'UNSA, qui s'est rapprochée de la CFDT. Ce projet de grand syndicat proche du PS a donc échoué. Il faut comprendre que l'on peut rêver d'imiter le modèle allemand, mais les structures syndicales politiques sont des vœux pieux tant qu'on n'aura pas ce système d'alliance structurelle entre le PS et un syndicat quasiment unique. On a l'idéologie socialo démocrate en France, mais on n'a pas le SPD.

Est-ce lié à la forte centralisation de l'Etat ou plutôt à notre conception de la lutte des classes ? 

Il y a eu un sondage de la lutte des classes dans L'Humanité de la semaine dernière. Il ne faut pas avoir peur des mots. Cette lutte existe en Allemagne, et en Grande-Bretagne. Il n'y a pas d'adéquation immédiate d'intérêts entre salariants et des salariés. Les employeurs veulent faire du profit, et les salariés veulent de l'emploi, un salaire, de la protection sociale. Cette opposition d'intérêt se déclare explicitement du côté du patronat qui dit à ses salariés qu'il ne peut plus les payer comme avant. Qu'est ce qu'on fait de cela ?

En Allemagne, le mécanisme d'amortisseur de ce conflit est plus puissant. En France, l'Etat est pris là-dedans. François Hollande ne traite pas les questions sociales de la même manière que Nicolas Sarkozy. Les électeurs du PS sont principalement fonctionnaires et enseignants. Or, le PS ne répond pas entièrement à leurs attentes.

On a parlé de corpororatisme, mais cela ne rend pas compte de cette difficulté que Hollande rencontre compte-tenu de la dette, et de la nécessité de réduire les dépenses publiques. Cela montre qu'il y a des conflits d'intérêts. On peut les appeler lutte des classes, antagonismes, … Une société totalement apaisée serait inquiétante. Cependant, dans le cas français, il y a plus la volonté de promouvoir ce modèle de lutte, qui est vue comme un mode d'avancement.

En Allemagne, la situation de salariés allemands s'est détériorée. Les chômeurs ont perdu des droits, il y a un recul des droits de la syndicalisation, le DGB a perdu des troupes, notamment dans le secteur de la métallurgie où la politique n'est pas comprise ni suivie par ses adhérents, d'où la témérité revendicative actuellement. Au plan électoral, il y a eu la création de ligne, le courant de gauche, une scission de gauche antérieure à la scission Mélenchon.

La situation actuelle montre qu'en France, on ne peut pas séparer climat social et climat politique. Une large partie du salariat voulait la chute de Nicolas Sarkozy, et les syndicats l'ont dit comme la CGT par exemple. Mais une fois que Hollande est élu, il y a une certaine déception par rapport à la "politique austéritaire" et une politique d'emploi insuffisante à leurs yeux.

Le manque de légitimité des syndicats les pousse-t-il à avoir une relation conflictuelle ?

Il faut distinguer trois choses: Premièrement le politique, l'Etat comme ensemble d'institutions permettant la vie collective. Sous cet angle, le syndicalisme fait partie de la vie démocratique, et ne peut souhaiter que la démocratie : droit de manifestation, d'association, droit de cesser collectivement le travail.

Deuxièmement, les politiques publiques. Celles de l'éducation, de la santé, du logement… Les syndicats souhaitent que l'Etat prenne en compte leurs revendications et tente d'avoir une politique sociale. Il y a un antagonisme entre le projet de maintenir ou d'améliorer les acquis sociaux et la réponse libérale, néo libérale ou sociale démocrate à la crise de la dette.

Troisième élément: c'est la conquête de la consommation du pouvoir politique. Les syndicats sont très prudents, ce qui n'a pas toujours été le cas en France. Il y a eu une époque où il y avait une liaison beaucoup plus forte entre le PS et la  CFDT. Cette dernière a appelé aux assises du socialisme en 1974 à renforcer le PS par exemple.

Il y a aussi des rapprochements entre la CGT et le Parti communiste. Il y a encore des affinités, on le voit dans le cadre de la CFDT François Chérèque qui passe à Terra Nova (think tank de gauche, ndlr.), mais ce n'est pas structurel. Cette période est révolue et on n'est pas dans le cas allemand, ou le cas britannique. La création par les syndicats du parti travailliste a marqué la culture anglaise, même si de facto le blairisme a volontairement accentué la coupure pour que les travaillistes représentent plus les classes moyennes que la classe ouvrière.

Le syndicalisme français a un rapport avec la politique prudent, l'ensemble des syndicats intervient mais au minimum pour protéger ses intérêts.

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