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Que dit vraiment la philosophie libérale du "mariage homosexuel"  ?
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On refait le débat !

Homosexualité, mariage gay, adoption, filiation : tous les débats autour du "mariage pour tous" vus par la philosophie libérale.

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
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Une chose est sûre : de manifestation(s) imposante(s) en disputes familiales, d’échanges virulents sur la Toile en débats parlementaires répétés, le mariage homosexuel n’a pas fini d’occuper le devant de la scène publique. Dans le prolongement des réflexions, essentiellement sociologiques et éthiques, de Dominique Reynié sur « le mariage pour tous », le blog « trop libre » revient sur la question, cette fois-ci dans la perspective de la philosophie libérale du droit.

Ce n’est qu’un début…

Car, d’emblée, deux illusions doivent être dissipées : celle des « anti » d’abord qui espèrent encore ébranler la résolution du gouvernement et de la majorité. Or celle-ci est intacte pour des raisons de fond (un engagement ferme du candidat Hollande et une conviction solidement ancrée à gauche) comme d’opportunité (dans un temps difficile où la majorité a besoin de serrer les rangs), lesquelles ne sont nullement méprisables en politique. Celle des « pros » ensuite, qui espèrent que le vote de la loi mettra un point final au débat et que « comme pour le Pacs » on sourira rétrospectivement à tout ce vacarme. Rien n’est moins sûr, car d’ores et déjà le débat va rebondir en mars lors de l’examen annoncé de la loi sur la famille. Et qu’est ici en jeu, à la différence du Pacs, la question complexe et essentielle de la filiation.

…Continuons le débat !

Faut-il le regretter ? Nullement. Il n’est point de démocratie sans débat, encore moins de démocratie libérale. Il ne s’agit pas ici de simple « tolérance » de principe et autre « correction politique » mais d’une conviction rationnelle argumentée de manière magistrale par John Stuart Mill dans On liberty : la confrontation des opinions est le meilleur adjuvant de la recherche de la vérité et ce, pour trois raisons capitales :

1/ Comment être sûr de la vérité d’une opinion si celle-ci n’est pas confrontée à d’autres ?

2/ La multiplicité des opinions, en étendant le champ des réponses possibles, rend mathématiquement la découverte de la bonne solution plus probable.

3/ La confrontation de mon opinion avec celle de l’autre m’incite à approfondir mes arguments, à enrichir mon information et donc à conforter –ou à modifier en connaissance de cause – mon propre point de vue.

À cet égard toutes les attitudes, trop fréquentes et également répandues dans les deux camps, consistant à interdire, écourter ou confisquer le débat, sont par définition liberticides. Pour ne rien dire des postures méprisantes et des insultes pures et simples, dont les médias sociaux se font trop complaisamment l’écho.

« Les hommes naissent libres et égaux en droits »

Dans un tel débat, quelle pourrait-être dès lors, une position inspirée par la tradition libérale ? Sans doute les grands penseurs de celle-ci ne sont-ils pas prononcés sur la question du mariage homosexuel. Et ce, pour une raison historique compréhensible : dans le processus d’émancipation continue qui marque les sociétés modernes depuis plus de deux siècles, cette revendication ne pouvait venir qu’après bien d’autres : celle des esclaves, des pauvres, des femmes…et des homosexuels eux-mêmes, mais qu’il importait d’abord de protéger contre une terrifiante et meurtrière homophobie. Dès la fin du XVIIIe siècle, Bentham, dans Offenses against oneself (1785) a fait le catalogue des « arguments » homophobes et leur a réglé leur compte ; et de telle façon que ce livre mériterait d’être lu par tous, tant il est vrai que de tels « arguments », à commencer par ceux tirés de « la nature » ou de « l’ordre social », sont encore couramment entendus sur la place publique (et plus encore, privée !).

Quant à la question du mariage, la réponse libérale ne saurait être que positive. « Les hommes naissent libres et égaux en droits » :  faut-il donc rappeler la toute première phrase de la Déclaration des droits de l’homme ? À cette égalité des droits, fondement même du libéralisme, comment le mariage, l’un des droits civils de base, pourrait-il donc déroger ? Une réponse négative, toujours dans la perspective libérale, relèverait de la « tyrannie de la majorité », dénoncée par Tocqueville comme par John Stuart Mill. Lequel ajouterait que le mariage des couples homosexuels, ne retirant aucun droit et ne causant aucun tort (harm principle) aux couples hétérosexuels, ne saurait être interdit au nom du « simple déplaisir » (mere displeasure) de ceux auxquels il n’aurait pas l’heur de plaire… Ou bien encore, un tel déni de droit serait la marque d’une oppression, incompatible avec la « liberté négative » (freedom from) chère à Isaiah Berlin.

Quid de l’adoption ?

L’adoption maintenant : force est de constater d’abord le caractère profondément libéral de celle-ci, reflété dans son étymologie fondée sur la liberté d’un choix (optare) ; et que celle-ci est d’ores et déjà dans notre droit, distincte du mariage, puisque ouverte aux célibataires et créant la possibilité (adoption simple) d’unedouble filiation avec l’adoptant et la famille d’origine. A quoi s’ajoute la tradition romaine qui permettait l’adoption plénière, indépendamment de tout statut marital. De quoi faire réfléchir tous ceux qui parlent du « lien essentiel entre mariage et filiation depuis des millénaires… ».

Anthropologie quand tu nous tiens !

Mais nous voici insensiblement conduit à la question la plus épineuse : celle de la filiation, ou plus exactement celle de l’articulation entre filiation biologique et filiation civile. Nous disons bien « articulation » : car les positions, soit exclusivement naturalistes (« tous nés d’un homme et d’une femme »), soit exclusivement culturalistes (« théorie du genre ») pourraient bien être l’une et l’autre également vraies et donc également fausses. Nous n’entrerons pas ici dans cette discussion « anthropologique », que le gouvernement a eu la sagesse de dissocier de la question du mariage. Sagesse un peu tardive, il est vrai : les allers et retours sur le sujet n’ont guère contribué à éclairer le débat et à pacifier les esprits!

« Droit de » et « droit à »…

Il demeure en tout cas que les conséquences en termes de droit de ces positions « anthropologiques » laissent également à désirer d’un point de vue libéral. En effet, s’il est un point sur lequel tous les penseurs libéraux –y compris les plus progressistes – s’accordent, c’est bien sur l’abus intellectuel –et le danger politique -  de la notion de « droit à… ». Nous rencontrons en effet ici la distinction, linguistiquement ténue mais philosophiquement capitale – qui sépare notamment le libéralisme du socialisme – entre le « droit de » et « le droit à ». Nous avons le « droit d’être soigné » mais non le « droit à la santé », le « droit de travailler » mais non le « droit à l’emploi » ; dès lors, il est aussi vain de parler du « droit de l’enfant à un père et à une mère » que du « droit du couple à l’enfant »… Et, si l’on tient absolument à consacrer ce « droit à l’enfant », gare, lorsque viendra le temps de la discussion sur la famille et la PMA, à une nouvelle rupture d’égalité entre hétérosexuels et homosexuels, voire entre couples lesbiens et couples gays.

Quand nous disions que le débat n’était pas terminé…

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