Allo Houston, ici la Lune... Les élites réunies à Davos ont-elles encore un lien avec la réalité ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Du réel, ces gens ne connaissent que les écrits des autres...
Du réel, ces gens ne connaissent que les écrits des autres...
©Reuters

Science-fiction

Le vrai impact de Davos ce ne sont pas les marchés financiers ou la réalité mais bien les croyances que les gens s'en font.

Bruno Bertez

Bruno Bertez

Bruno Bertez est un des anciens propriétaires de l'Agefi France (l'Agence économique et financière), repris en 1987 par le groupe Expansion sous la houlette de Jean-Louis Servan-Schreiber.

Il est un participant actif du Blog a Lupus, pour lequel il rédige de nombreux articles en économie et finance.

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Le présent texte s’inscrit  dans le droit fil de celui publié récemment sur la bipolarité. Dans cet article, nous présentions l’idée que les marchés pouvaient être considérés comme la manifestation symptomatique d’une réalité qui, en fait, leur échappait. Les marchés constituent une sorte de discours, sur la politique, l’économie et la finance, ce discours traduit, tout en le déformant, le Réel.

La logique du réel n’est pas connue des participants, ils l’appréhendent avec des théories fausses qui, elles, sont produites par la conjonction du Réel, de l’histoire et le poids des intérêts en place. Ainsi on interprète la crise de 2008, comme une crise du type 1930 puisque l’apprenti pas si sorcier que cela, Bernanke,  qui est aux manettes, est un autoproclamé spécialiste de cette période. Il vient d’ailleurs de le rappeler la semaine passée dans son intervention devant l’université du Michigan.Bernanke a rappelé ses lettres de noblesse et résumé sa conception de la lutte contre la crise : éviter la contraction des agrégats monétaires et venir en aide au système bancaire.

Du réel, pas un mot. Enfin la connaissance de cette crise, les perceptions, sont régies par les pouvoirs en place constitués de l’alliance gouvernements/banques, ce qui, bien entendu, escamote et déforme le savoir qui est produit. Bref, le réel ne se manifeste qu’au travers d’un prisme et ce que l’on voit est déformé. L’ensemble constitué par le Réel, les prismes déformants, les marchés/symptômes constituent un système névrotique dans lequel nous reconnaissons les symptômes de la bipolarité. Etant entendu que le malade bipolaire passe de la morosité dépressive à l’excitation euphorique, rapidement, sans que rien ne vienne le justifier, le malade est maniaco-dépressif. Nous ajoutons, pour être clairs, que le trouble consiste à passer de périodes d’exaltation euphorique où tout va bien, à des phases mélancoliques, voire suicidaires.

Ce qui favorise le symptôme bipolaire, c’est la disjonction, la coupure entre les perceptions et la réalité, la coupure entre le discours et le réel sous-jacent. Dégagée du poids du réel, la pensée et les perceptions peuvent s’adonner librement aux égarements bipolaires. Le monde actuel est coupé en deux, disjoint entre la sphère financière et la sphère réelle, il est encore recoupé en deux entre les peuples et les ultra-riches kleptocrates.

Le bipolaire prend des drogues qui, en fait, favorisent la coupure d’avec le réel. Il vit dans son monde. De même, les marchés prennent des drogues monétaires qui produisent  le même effet. Les drogues ne guérissent pas, mais produisent des répits et de temps à autres, elles ont une effet transitif passager sur le réel : non seulement cela va mieux dans la tête, mais cela va un peu mieux dans le monde extérieur. Normal, puisque le monde est influencé par les comportements et les croyances humaines, dans certaines limites. Normal, puisque les psychiatres des Banques Centrales et des gouvernements sont aussi fous que leurs patients et qu’ils ne sortent jamais de leur asile d’aliénés.

Tout ce monde vit dans une bulle, presque sans authentique contact avec le monde extérieur. Du réel, ces gens ne connaissent que les écrits des autres. Nous pensons que nous sommes dans une nouvelle phase de la crise, une phase où les maniaques tentent de prendre le contrôle de la situation. Nous en voyons les symptômes,  nous relevons les discours, nous notons aussi un début de transitivité, l’imaginaire entraîne une relative transitivité qui valide, par les nouvelles, la bouffée d’optimisme. Il se pourrait bien que nous soyons en train de favoriser le gonflement d’une resucée de bulles. Pas une bulle, mais une multitude de bulles en différents endroits et secteurs.

Nous notons pour l’écarter  que les marchés grimpent malgré la menace (fausse selon nous) que constitue le fiscal cliff. Le fiscal cliff est un leurre, nous n’en parlerons pas. Notons aussi, c’est important, que la situation européenne constitue un prisme spécifique qui empêche les Européens de percevoir ce qui se passe ailleurs et singulièrement aux Etats Unis; pessimistes, noirs en Europe, on passe à côté de la bouffée maniaque qui se développe ailleurs. Mais attention, cela n’empêche pas, par la magie de la contagion moutonnière, les marchés de monter.

Le « la » financier est toujours américain, pas besoin de comprendre pour spéculer. Nous notons aussi que les fondamentalistes de long terme du type Shiller ou coefficient Tobin, tentent de rester calmes, malgré les pertes et les absences de performances qu’ils doivent subir. Ceci constitue une réserve de participants à la ruée maniaque. Nous reprécisons que ce que nous suivons, c’est le marché directeur mondial, le S&P 500. Celui-ci vient de terminer la semaine au 18 Janvier au plus haut de 5 ans. On a franchi le signal technique haussier des 1475, la route est libre. On est à 5% seulement des records historiques.

Les gains enregistrés depuis le début de l’année sont diversifiés et spectaculaires. C’est cela qui est frappant, c’est le fait que la hausse est généralisée, on avance sur un large front. Or, quand la hausse est générale, quasi unanime, bien souvent, la fermeté se renforce et s’amplifie.

En 13 séances, selon les secteurs, les cours ont progressé de 5,3% pour les indices les plus lourds (1650 valeurs), comme le Value Line, à 10,2% pour l’indice des home builders. Le S&P midcap a gagné 5,3%,  le Russell 5,1%, le DJ Transport a fait un bond de 7,3%, les cycliques de 6,2%, les bancaires de 5%, les télécoms de 5,6% etc. C’est dire si l’avancée se fait sur un très large front, elle est puissante. Signe de l’optimisme, le VIX , mesure du risk selon les financiers, est au plus bas depuis avril 2007 ! Les indicateurs de sentiment sont bullish, archi-bullish; peu importe pour le raisonnement que ce soit des indicateurs généralement « contrarians » puisque ce que nous voulons souligner, c’est le délire maniaque.

Le public mord à l’hameçon, les entrées de capitaux dans les mutual funds sont à des niveaux pas vus depuis longtemps. Le grand thème popularisé par les médias c’est la « Grande rotation », la vente des bonds et obligations pour remploi en actions. Sur CNBC, un gourou est venu dire la semaine dernière que les obligations étaient « l’actif le plus dangereux au monde », il anticipe une forte chute des cours en 2013. Un autre est venu réaffirmer que sur le long terme, les actions finissent toujours par être le meilleur placement. Un autre encore « les gens vont perdre sur les obligations, cela va les faire revenir sur les actions ».

Tout est fait pour influencer les particuliers et faire en sorte, que cette fois soit la bonne, qu’ils se séparent de leur argent. Que le grand transfert, particuliers vers le système, continue. Les investisseurs ont acheté des quantités records de valeurs à revenus fixes au plus haut des cours et au plus bas  des taux, voici le moment de passer à la caisse, les taux longs frémissent, les cours commencent à baisser, donc il faut  prendre ses pertes sur les obligations et … les remployer sur les actions, le manège doit tourner, tourner.

N’oubliez jamais ce que nous répétons depuis 2008: une partie de la société va se retrouver à devoir supporter le coût des déficits budgétaires et des politiques monétaires non conventionnelles et une autre partie va se retrouver en récolter les bénéfices. Vous devinez lesquelles! L’économie confirme une amélioration, en particulier dans le secteur manufacturier, cependant nous ne nous attarderons pas dessus.  Les inscriptions au chômage sont bonnes, meilleures que prévues, les ventes au détail et la production industrielle ont surpris dans le bon sens, les résultats publiés sont, dit-on, encourageants. Bien entendu, on néglige les mauvaises nouvelles comme l’indice de la Fed de Philadelphie et la confiance de l’université du Michigan, détestables .

Les ménages recommencent à s’endetter sans retenue, peu importe que ce soit du crédit de mauvaise qualité et fédéral. Pour 2013, on est reparti pour passer au-dessus des records de la création de crédit enregistrée en 2008 avec 1,9 trillion. Les deux trillions ne sont pas exclus.  Aux dernières nouvelles, 52 % des ménages dépensaient plus que leurs revenus! Les chiffres de l’inflation sont maîtrisés aussi bien au niveau du CPI que du PPI. Le SLFSI, l’indice de stress de la Fed de St. Louis est au plus bas, le risque a disparu. Tout le monde y va gaiement, les dettes de leverage des hedge funds ont rejoint les records de 2004, la dette sur marge des positions boursières est supérieure à 2% du GDP. On spécule dans des proportions jamais vues sur la dette municipale, sur le High Yield, sur la dette du real estate commercial , même si les centres commerciaux sont vides, peu importe.

Il y a de l’argent pour tout et pour tout le monde. La masse monétaire étroite, M2,  est en hausse de 7,4% sur 1 an. Les conditions bancaires se libéralisent. Les money markets funds se vident ; sur un an, on est maintenant stagnant. L’argent repart. Les housing starts bondissent de 12% en décembre, la spéculation sur le logement en Californie repart, débridée. Le prix médian en Californie du Sud a explosé en fin d’année, on est en hausse de près de 20%, 19,6% exactement sur un an. On achète cash dans la plupart des cas, signe que c’est un remploi d’argent venu d’ailleurs. Les prix dans la baie de San Francisco ont rejoint le top de 2008 avec un bond de 32% sur un an.

En fait, tout explose, tout ce qui a valeur d’investissement, pas d’usage, tout ce qui recherche rendement et performance. Le grand entonnoir s’est élargi. On se rue sur la terre agricole, les objets d’art, les propriétés de rapport etc. etc. Plus c’est spéculatif, plus cela peut « galoper » et plus c’est intéressant. La spéculation sur le logement est de notoriété publique. Même les chiens avec un chapeau reviennent sur les marchés du logement et trouvent du crédit. Nous vous rappelons que, sur un an, les cours des affaires de construction ont progressé de… 91%.

Nous pensons que tout cela peut se développer, tout cela se fait sous la conduite sans scrupules  des banques. Elles ont intérêt à pousser à la hausse de tout  et rien à perdre. A notre avis, nous sommes en présence d’une grande tentative… qui est parallèle à celle qui est menée par tous les grands pays, nous disons bien tous et de façon tacitement concertée, on joue le tout pour le tout. On veut créer le momentum, à la fois pour le grand ratissage, à la fois pour embarquer l’inflation au dessus des 2%, à la fois pour accélérer la vitesse de rotation de la monnaie dans le monde, à la fois pour débloquer la croissance par la fuite devant la monnaie.

Vous remarquerez le cynisme de ces gens qui ne se soucient absolument pas des conséquences de leurs actes, pas plus sur la mise en danger de la stabilité du système que sur le re-creusement des inégalités! Pour copier  un slogan français qui marche en ce moment: vive l’inégalité pour tous!  Seuls bénéficient des largesses et des dispositifs ceux qui sont proches de la manne et des canalisations qui déversent l’argent gratuit et les assurances.

Tout ce qui est fait va dans le même sens, déclencher une vague de spéculation sur les assets dans l’espoir que cela aura un effet sur le comportement de l’économie réelle. On ne cherche plus à soutenir, non, on veut embarquer, déclencher l’excès financier dans l’espoir criminel selon nous, de forcer le destin et de réussir à enclencher quelque chose dans l’économie réelle. Ce n’est pas l’effet de richesse réelle en tant que telle que l’on cherche, non! C’est la création d’une psychologie. L’effet de richesse réel est bien connu et mesuré, il est négligeable : une hausse de 1% du marché des actions produit un effet dopant passager de 0,03% sur le GDP. Autant dire, quasi rien.

Avec le maintien des politiques de gonflement des bilans des Banques Centrales, l’abandon de la priorité à l’austérité comme moyen de rééquilibrer les budgets en Europe, l’acceptation du regain de dérive des surendettés, l’abandon de toute discipline dans les collatéraux utilisés pour les refinancements, le regain de pression pour faire baisser les monnaies, les promesses de mutualisation du système bancaire  européen, l’abandon/report des règles de Bale 3 a été la cerise sur le gâteau. Le cynisme et l’irresponsabilité sont à leur comble.

Nous avons eu raison dès le début, il n’y a jamais eu de deleveraging, les peuples et les systèmes pseudo-démocratiques ne le supporteraient pas, ils tiennent par le crédit. Et il n’y en aura jamais. Le débat sur la formation généralisée de bulles aux Etats Unis est en train de se développer, d’enfler. C’est bon pour Bernanke et les inflationnistes car cela fait la publicité des hausses en cours. C’est la publicité télévisée où l’on montre le gagnant du Loto, cela ne décourage pas les gogos, cela les attire.

Quelques citations viendront compléter ce tableau:

Forbes la semaine dernière:« La bulle l’économie mondiale devient de plus en plus grosse » que l’on peut traduire plus exactement par : l’économie bullaire mondiale devient de plus en plus bullaire.

Bloomberg:« La Fed s’inquiète de la surchauffe des marchés et des achats records de bonds ». Hommage du vice à la vertu, ne vous en faites pas, c’est le double langage habituel.

Rosengreen, Fed de Boston:« Je ne vois aucun indice de bulle dans aucun marché »

Bernanke cette semaine dans le Michigan:« Les bulles d’assets sont très difficiles à anticiper… on peut traiter ces problèmes par les pouvoirs régulateurs et la supervision,… la politique monétaire ne doit venir qu’en dernier lieu, c’est la dernière ligne de défense ».Traduction: ne craignez rien, on fait confiance à la surveillance et à la supervision, on n’interviendra pas s’il y a des bulles, allez-y, spéculez!

Esther George, Fed Kansas City :« Nous ne devons pas nier la possibilité qu’une politique de taux bas puisse créer des incitations qui déboucheront sur les déséquilibres financiers futurs ».

Richard Fisher, Dallas Fed: « Les achats de titres du Trésor et de MBS peuvent créer une bulle dans le marche obligataire ».

Jens Weidman, du conseil de la BCE:« Il est vrai que quand la maison brûle, éteindre le feu est la priorité… mais nous devons aussi être sûrs que les mesures pour combattre l’incendie et les assurances souscrites ne sont pas en train de préparer le terrain pour le prochain incendie ».

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