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En France et dans les pays européens car il y a une convention internationale des droits de l'Enfant qui recommande de ne pas poursuivre des mineurs avant 12 ans.
En France et dans les pays européens car il y a une convention internationale des droits de l'Enfant qui recommande de ne pas poursuivre des mineurs avant 12 ans.
©Reuters

Caïd en couche-culotte

Un enfant de 12 ans est accusé de semer la terreur à Limoges. A son actif, 17 vols et un viol, selon la police. Quelles peuvent être les réponses à la violence chez les plus jeunes ?

Dominique Youf et Francis Bailleau

Dominique Youf et Francis Bailleau

Dominique Youf est docteur en philosophie et chercheur associé à l'université de Paris IV. Il a une longue expérience professionnelle auprès des mineurs délinquants, et est l'auteur de nombreux travaux sur le droit de l'enfance dont Juger et éduquer les mineurs délinquants  aux éditions Dunod.

Francis Bailleau est sociologue et directeur de recherche au CNRS. Il est l'auteur de La justice pénale des mineurs en Europe aux éditions l’Harmattan.

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Atlantico : Le Parisien a consacré sa Une du jeudi  24 janvier à une enquête sur un adolescent de 12 ans, qui s'est vu attitrer le surnom de "Terreur de Limoges". Selon le journal, le jeune homme qui fêtera ses 13 ans en février est accusé de 17 vols, ainsi que d'un viol sur son demi-frère, tout cela commis en moins de 6 mois. Placé en famille d'accueil et en foyers à plusieurs reprises, il s'est régulièrement enfui des endroits où il était placé. Quelle peut être la réponse de la justice à la violence et délinquance des très jeunes mineurs ?

Dominique Youf :Avant 13 ans, il ne peut pas y avoir de mise en détention. Passé cet âge, un enfant peut aller en prison sous certaines conditions. Mais avant, seules des mesures éducatives sont possibles, ce qui explique le nombre de décisions qui ont été prises sans mesures répressives dans le cas du délinquant de Limoges. C'est l'état du Droit actuel, en France et dans les pays européens car il y a une Convention internationale des Droits de l'enfant qui recommande de ne pas poursuivre des mineurs avant 12 ans. En France, cette limite s'élève à 13 ans, et dans la plupart des autres pays, elle est fixée à 14 ans.

Cependant, les réponses peuvent être la placement en foyer spécialisé, ou la mise en place de mesures éducatives en milieu ouvert : un éducateur rencontre les parents et l'enfant, et tente de résoudre les difficultés dans la famille et les difficultés scolaires, essaye d'appréhender les problèmes à l'origine du comportement délinquant... Il n'est pas normal qu'enfant de 12 ans commette des délits, il faut donc essayer de mettre les raisons à jour. Les raisons sont familiales, sociales,…

Si le délinquant de Limoges a été placé à plusieurs reprises, c'est qu'il a fait l'objet de mesures d'assistance  éducatives, c'est-à-dire de protection de l'enfance, prises par le juge qui s'occupe à la fois de protection de  l'enfance et des enfants délinquants. Il devait sans doute vivre une situation difficile dans sa famille ou à l'école. Le juge des enfants peut prendre des mesures de protection de l'enfance lorsque la santé, la sécurité,  la moralité, le développement, les conditions d'éducation,… sont en danger.

Francis Bailleau : Il ne faut pas confondre violence et délinquance. Pour mieux comprendre ce cas, il faut connaître les circonstances du viol, de la même manière qu'il faudrait connaître les 17 infractions qu'il y a eu. On se rend compte que la justice des mineurs telle qu'elle fonctionne est un système qui est efficace au sens où 80% des jeunes présentés au niveau judiciaire ne se représentent pas devant la justice.

En France, traitons-nous de manière adaptée la violence des très jeunes mineurs ?

Dominique Youf : On peut toujours demander plus de moyens, c'est d'ailleurs ce que font toujours les organisations professionnelles. Il y a des moyens plus importants qui ont été apportés à la Protection judiciaire de la jeunesse, l'administration qui s'occupe des mineurs délinquants. C'est une des priorités de la garde des Sceaux, et François Hollande l'a réaffirmé dans son récent discours à la Cour de cassation. Le quinquennat précédent était plus répressif, mais il y a un souci pour l'ex gouvernement de Fillon et l'équipe actuelle de donner des moyens supplémentaires à la justice des mineurs.

Ils se traduisent en augmentation du personnel, en création de centres éducatifs fermés, …Cependant, il y a des enfants qui sont très difficiles, il ne faut pas se le cacher. Ils ne suivent pas les recommandations de leurs parents, de leur éducateur, du juge des enfants. Dans le cas abordé ci-dessus, l'enfant a quitté le foyer. Ces situations sont difficiles, il y a une grand diversité de mesures pour traiter ces cas, mais il faut aussi prendre en compte leurs personnalités. Certains échappent à toute prise en charge.  

Francis Bailleau : Les services sociaux, scolaires, sont confrontés à ce type de situations. Elles sont prises en charge avec beaucoup d'attention. On a rarement affaire à des délinquants en culotte-courte. Si un enfant est violent et agresse tous ses camarades à la maternelle, il y aura un traitement médical. La justice pénale quant à elle ne travaille pas avec des mineurs de moins de 8-10 ans. Pour une bonne part des mineurs de moins de 13 ans, le traitement médical, sanitaire ou une protection sont privilégiés, et non le traitement judiciaire- pénal. Cependant, les professionnels vous diront qu'on manque de moyens.

Peut-on imaginer l'établissement d'un âge auquel l'enfant devient  responsable pénalement, ce qui n'est pas formellement établi en France, pour certains cas extrêmes comme celui du jeune homme qui n'est plus sous la responsabilité de la famille ?

Dominique Youf : Ce serait contraire aux engagements internationaux de la France. Tous les pays membres de l'ONU ont signé la Convention internationale des droits de l'enfant, à l'exception des Etats-Unis et la Somalie. Les Américains ont refusé car ils voulaient maintenir la peine de mort pour les enfants. Un article dans cette convention demande de fixer un âge en-dessous duquel on ne peut pas imputer un délit ou un crime, et recommande que cet âge s'élève à 12 ans.

Si la France fixait par exemple un âge de 7 ou 10 ans, elle se verrait critiquée par le Comité des droits de l'enfant auprès de l'ONU. Deux pays fixent un âge très bas: la Grèce, qui a fixé la responsabilité pénale à 7 ans. Le Royaume-Uni, lui, l'a établi à 10 ans. Dans les autres pays, il s'élève à 14 ans, parfois même à 16 ans.

Il y avait eu une commission de réforme sous le gouvernement de François Fillon, qui avait proposé d'abaisser l'âge de responsabilité pénale à 12 ans. Très rapidement, l'ancien Premier ministre avait opposé son refus à cette idée, qui a été abandonnée sous l'argument qu'on ne met pas un enfant de 12 ans en prison. Il y a donc un consens sur cette question à gauche et à droite dès qu'il faut se prononcer sur la question, et l'idée qu'on ne met pas enfants en prison en dessous d'un certain âge revient toujours.

De plus, l'incarcération ne règle pas le problème. Quand un enfant de moins de 12 ou 13 ans a des difficultés, c'est qu'il y a eu un déficit éducatif à un moment donné, et cela relève de la responsabilité de la société et des parents.

Francis Bailleau :La responsabilité est liée à la notion de discernement. Un mineur est jugé responsable de l'acte qu'il a commis à partir du moment où il a une capacité à appréhender le côté négatif de l'acte, ainsi que ses conséquences. Il est établi qu'un enfant a du discernement à partir de 7 ans. Tout cela décide la justice à se saisir ou pas de cette situation. La jurisprudence dans le domaine repose sur un nombre de cas très, très faibles car ces affaires impliquant des mineurs de moins de 13 ans sont rares.

Le problème de la responsabilité est posé d'un point de vue juridique. Jugée non responsable, une personne ne peut pas voir son cas traité par un tribunal.

L'école a-t-elle un rôle à jouer dans l'encadrement de ces très jeunes mineurs violents ?  Qu'en est-il des parents ?

Dominique Youf :Bien sûr, l'école a un rôle à jouer car elle doit assurer l'éducation, l'instruction de tout enfant jusqu'à ce qu'il ait 16 ans minimum. Dans le cas de la "terreur de Limoges", quels moyens l'éducation nationale se donne-t-elle pour prendre en charge cet enfant ? La question se posera, jusqu'à ce qu'il ait  16 ans.

Concernant les parents, il faut voir pourquoi ces derniers n'ont pas assumé leurs responsabilités comme il le fallait. Il doit y avoir eu des difficultés éducatives. L'éducation relève avant tout de la responsabilité des parents. Ce mineur de 12 ans est peut-être issu d'un foyer défavorisé, ses parents ont peut-être eux-mêmes été des enfants en danger,... Ils ont certainement besoin de soutien, d'aide. Mais ils restent responsables au premier chef de l'éducation de leurs progéniture.  

Francis Bailleau : L'école a le rôle principal. C'est à partir de la scolarisation que ce type de problème est posé, et les établissements sont aux premières loges pour repérer les comportements qui posent problèmes, pour ensuite trouver des solutions. La justice ne doit intervenir que dans un second temps, pour des mineurs plus âgés et des situations assez particulières.

Les parents doivent être informés, et être partie prenante si un traitement est nécessaire. Dans ce type de prise en charge, ils sont toujours impliqués car le psychologue et l'assistante sociale ne peuvent pas travailler sans prendre en compte leur avis. Le mineur est sous la responsabilité des parents, quoi qu'il fasse. Parents et école doivent travailler ensemble, c'est ce qui est important.

Entre protection de l'enfant et sanctions pénales, où peut-on placer le curseur ? 

Dominique Youf : Même si on ne peut pas mettre un enfant en prison en-dessous de 13 ans, le juge des enfants peut prendre des sanctions éducatives pour un enfant en dessous de cet âge. 

Il faut retenir l'appréciation qui est laissée au juge des enfants, qui détermine au cas par cas l'âge à partir duquel un enfant a du discernement. Dans d'autres pays, cet âge est déjà fixé.

Francis Bailleau : Cela dépend des situations, et le déterminant est le discernement.C'est du cas par cas, de l'analyse.On ne peut répondre à la question du discernement qu'en étant face au mineur, en menant des enquêtes sur sa situation. Par rapport à tous les mineurs, la "phase observation-orientation" est essentielle. Au vu des résultats de cette phase,de l'évaluation de la question du discernement, de l'évaluation de ces conditions de vie, le juge va pouvoir choisir la meilleure voie de traitement et de résolution du problème.

La rapidité peut être très dangereuse dans le cas des mineurs. Un laps de temps est absolument nécessaire, qui est normalement prévu par les textes. Sa longueur dépend de la difficulté du cas, des enquêtes peuvent être très rapides, tandis que certaines périodes d'observation peuvent aller jusqu'à 6 mois. Dans beaucoup de cas, les phases de traitement s'opèrent conjointement  aux phases d'observation, et on attend toujours que cette phase d'"observation-traitement" soit achevée pour rendre un jugement définitif.

Ces cas de très jeunes mineurs délinquants sont-ils de moins en moins marginaux ?

Francis Bailleau : La violence des mineurs de moins de 13 ans est extrêmement rare, elle fait partie des faits divers exceptionnels. Qu'il y ait une mobilisation médiatique par rapport à ces évènements est tout à fait compréhensible, mais elle ne représente absolument pas la réalité du fonctionnement des jeunes. Ces évènements sont extraordinaires.

Dans le cadre judiciaire pénal, on ne voit pas à ce niveau-là d'aggravation. Néanmoins, il y a un changement du type de contentieux traité par la justice. Jusqu'aux années 1980-1990, ce que la justice et la police traitaient au niveau pénal en termes d'infractions, étaient essentiellement des histoires de vols, de cambriolages, c'est-à-dire des cas d'appropriation frauduleuses d'un bien (essentiellement des moyens de locomotion).

Lorsque l'on observe la phase 1990- 2010, on s'aperçoit qu'il y a un changement dans la nature des faits poursuivis par la police et la justice. Un tiers des délits concernent ces problèmes d'appropriation frauduleuse d'un bien. Un autre tiers est lié à la consommation ou au trafic de drogue. La dernière partie est liée aux relations conflictuelles entre les autorités et les jeunes (outrages, refus d'obéir, coups et blessures volontaires,..). Au vu des affaires traitées, on peut parler de changement qualitatif dans la nature des faits.

Mais On ne peut pas dire que c'est plus grave ou moins grave, l'échelle de gravité est instable d'une année sur l'autre. La sensibilité des gens se transforme en permanence et n'est jamais la même, c'est propre au niveau historique. La population comme les magistrats et la police sont aujourd'hui très sensibles aux affaires de viol pour lesquelles il y a des campagnes très médiatisées. Dans les années 1950, ce n'était pas le cas. Cela signifie-t-il qu'il n'y avait pas de viol à cette époque? Non, on a juste placé aujourd'hui une échelle de gravité qui fait qu'on traite en priorité certains faits.

Dominique Youf :Il y a effectivement des statistiques qui tendent à montrer que les délinquances se retrouvent chez des personnes de plus en plus jeunes. Cependant, les cas similaires à celui du délinquant de Limoges sont  des situations atypiques. De plus, lorsque l'on regarde les statistiques de la délinquance des jeunes, et leur prise en charge, la majorité ne récidive pas. Les médias s'arrêtent sur de situations atypiques parce que c'est plus spectaculaire.

Il y aurait donc un abaissement de l'âge auquel on commet des délits, mais c'est comme tous les changements autour de l'enfance et de l'adolescence : on est adolescent de plus en plus tôt les filles s'habillent en ado de plus en plus jeunes. Il est donc possible que la participation à la délinquance se fasse effectivement de plus en jeune, mais il y a une controverse sur ce point-là.

Propos recueillis par Ann-Laure Bourgeois

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