Sécu à l'américaine : le pari gagnant d’Obama<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Barack Obama a réussi là où tous ses prédécesseurs démocrates avaient échoué.
Barack Obama a réussi là où tous ses prédécesseurs démocrates avaient échoué.
©

Réforme universelle

Il y a pile un an, Barack Obama faisait adopter à grand peine par le Congrès une ambitieuse réforme du système de santé. Retour sur une avancée majeure dans l'histoire des États-Unis.

Nicolas Colin

Nicolas Colin

Nicolas Colin est ingénieur en télécommunications, diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris, ancien élève de l’Ecole nationale d’administration, inspecteur des finances. Il est actuellement associé fondateur de la société d’investissement TheFamily. Il est également administrateur de la branche numérique du Groupe La Poste et commissaire à la Commission nationale de l’informatique et des libertés, où il a été nommé par le Président de l’Assemblée nationale en janvier 2014. Auteur spécialisé dans la transition numérique de l’économie, il a co-écrit, avec Henri Verdier,L’Âge de la multitude, Entreprendre et gouverner après la révolution numérique (éd. Armand Colin, mai 2012) et, avec Pierre Collin (conseiller d’Etat), un rapport d’expertise sur la fiscalité de l’économie numérique, remis au Gouvernement en janvier 2013. Il est également enseignant à l’Institut d’études politiques de Paris. 

Voir la bio »

« J'ai vu que M. Obama, pour lequel j'ai de l'estime et même de l'amitié, a tout misé sur une seule réforme (celle de la santé) », déclarait Nicolas Sarkozy au mois de janvier 2010, « je n'ai pas vu que ça rendait les choses plus simples ».

Les choses ne sont pas si simples en effet. Il y a tout juste un an, Barack Obama a fait adopter à grand peine par le Congrès une ambitieuse réforme du système de santé. Il a depuis accumulé les revers : défaite de son parti aux élections de mi-mandat de novembre 2010, perte de la majorité à la chambre des représentants, mobilisation inquiétante sur le terrain du mouvement conservateur « Tea Party », qui a fait de l’abrogation de la réforme dite « Obamacare » son cheval de bataille.

Alors la réforme du système de santé, avancée historique ou erreur politique majeure ? Cette question n’a cessé, depuis un an, de diviser les éditorialistes américains. La réponse est pourtant évidente, et positive : c’est une avancée historique majeure, pour au moins trois raisons.

Une absence désormais corrigée

La première raison, c’est que la réforme de Barack Obama vient corriger une grave anomalie : l’absence d’une assurance maladie universelle dans le pays le plus développé du monde.

Le marché de l’assurance maladie est un marché imparfait, sujet à des phénomènes de sélection adverse bien connus des spécialistes de l’assurance. Si l’assurance maladie est facultative, les seuls qui y souscrivent sont les malades, de sorte que les assureurs sont dans l’incapacité de maintenir des primes d’assurance à un niveau soutenable. C’est pourquoi un système d’assurance maladie efficient doit rendre obligatoire la souscription d’une assurance.

Dans le cadre de la réforme de Barack Obama, c’est le fameux « mandat individuel », farouchement contesté aujourd’hui devant les juridictions, qui imposera à la quasi-totalité des Américains la souscription d’une assurance maladie à partir de 2014. Grâce à cette mesure, qui permettra de modérer le montant des primes d’assurance, Barack Obama est le premier président américain à rendre l’assurance maladie universelle dans son pays et à rattraper le retard de la société américaine sur tous les autres pays développés du monde.

Une réforme au long cours

La deuxième raison, c’est qu’avec la réforme de 2010, le parti démocrate a mené à bien un effort de réforme engagé il y a plus de soixante ans.

Franklin D. Roosevelt, élu en 1932, avait envisagé la création d’une assurance maladie, mais y avait très vite renoncé pour donner la priorité à la mise en place d’un système public de retraite, la Social Security. Harry Truman, devenu président en 1945, avait réouvert le dossier, pour très vite le refermer sous la pression du lobby médical qui l’accusait de vouloir étatiser la médecine. Lyndon B. Johnson, pourtant passé maître dans l’art de faire adopter de grands textes de loi, a dû s’en tenir en 1965 à une réforme créant une assurance maladie universelle pour les seuls Américains âgés de plus de 65 ans.

Enfin, en 1994, Bill Clinton a dû retirer précipitamment de l’agenda législatif une ambitieuse réforme qui aurait débouché sur la création d’une assurance maladie universelle mais que son propre parti, pourtant majoritaire au Congrès, avait renoncé à soutenir. L’échec de cette réforme conçue à l’époque par Hillary Clinton a brisé l’élan réformateur de la présidence Clinton et provoqué le basculement des deux chambres du Congrès dans le camp républicain lors des élections de mi-mandat de 1994. Depuis cette date, créer une assurance maladie universelle était considérée comme une mission impossible aux yeux des démocrates. En menant enfin à bien la création d’une assurance maladie universelle, Barack Obama a réussi là où tous ses prédécesseurs démocrates avaient échoué.

En jeu : la position du parti démocrate

La troisième raison est probablement la plus importante, car elle explique pourquoi Barack Obama a dépensé l’essentiel de son capital politique dans l’aboutissement de cette réforme, prioritaire à ses yeux.

Historiquement, le parti démocrate a pris l’ascendant aux Etats-Unis à chaque fois qu’il est parvenu, par des politiques publiques adaptées, à forger des alliances électorales durables entre les milieux populaires et les classes moyennes. La Social Security de Roosevelt, le Medicare de Johnson et aujourd’hui la réforme de Barack Obama ne mettent pas en œuvre des politiques sociales ciblées sur l’une ou l’autre catégorie, mais des politiques s’appliquant à tous – le contraire de mesures ciblées sur ces citoyens les plus défavorisés et provoquant les effets bien connus de stigmatisation et d’entretien de la pauvreté.

Une fois qu’une assurance sociale universelle est en place, il est politiquement impossible de revenir dessus. La société tout entière en bénéficie. Les mêmes conditions proposées à tous créent un effet de coalition dans la défense de ces dispositifs : tous, riches, pauvres et classes moyennes, se mobilisent si nécessaire pour en prendre la défense. C’est pourquoi William Kristol, éditorialiste conservateur, écrivait en 1993 (époque du projet de réforme de Bill Clinton) que « si les démocrates réussissaient à mettre en œuvre une assurance maladie universelle, ils légitimeraient l’idée que les pouvoirs publics peuvent prodiguer une sécurité économique aux citoyens et conforteraient leur réputation de généreux protecteurs des classes moyennes ».

L'intérêt politique de l' "Obamacare"

Il y a là une grande leçon politique : une assurance sociale universelle, c’est une correction efficace des imperfections du marché, mais aussi un puissant levier politique pour forger des coalitions politiques durables entre les plus pauvres et les classes moyennes. On comprend pourquoi, malgré les difficultés, Barack Obama a fait le pari de tout miser sur cette réforme. L’enjeu, pour les démocrates, c’est rien moins que l’exercice d’un ascendant politique idéologique pendant les trente années à venir, le même ascendant qu’ils ont déjà exercé de 1932 à 1968, gagnant presque toutes les élections présidentielles durant cette période et imposant un consensus politique autour des institutions du New Deal.

Nicolas Sarkozy joue-t-il si gros et réussit-il si bien, lui qui préfère conduire toutes les réformes en même temps ?

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !