La France est-elle vraiment l’homme malade de l’Europe ? Gros plan sur les coulisses de la bataille des chiffres<!-- --> | Atlantico.fr
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La France gouvernée par le socialiste François Hollande est souvent montrée comme l'homme malade de l'Europe.
La France gouvernée par le socialiste François Hollande est souvent montrée comme l'homme malade de l'Europe.
©Reuters

Jusqu'ici tout va bien

Dans une tribune publiée par le journal Le Monde le 21 décembre, l'économiste "atterré" Philippe Askenazy appelle à la fin du France bashing par les médias étrangers. Il y fait également le constat contestable d'une France sous-évaluée et stigmatisée.

Jean-Marc Daniel et Alain Fabre

Jean-Marc Daniel et Alain Fabre

Jean-Marc Daniel est professeur à ESCP-Europe, et responsable de l’enseignement de l'économie aux élèves – ingénieurs du Corps des mines. Il est également directeur de la revue Sociétal, la revue de l’Institut de l’entreprise, et auteur de plusieurs ouvrages sur l'économie, en particulier américaine.

Alain Fabre est à la tête d’une société indépendante de conseil financier aux entreprises. Il a commencé sa carrière comme économiste à la Banque de France avant de rejoindre la Caisse des Dépôts et Consignations, puis la Cie Financière Edmond de Rothschild. Il collabore à la rédaction de Débat&co.

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Atlantico : Dans sa tribune du 21 janvier dans le monde, Philippe Askenazy défend l’état de l’économie française en comparant notamment la situation actuelle à celle de 1997 mais également en remettant en perspective l’utilisation des indicateurs de comparaison entre la France et l’Allemagne. L'image que les étrangers se font de la France est-elle biaisée par une grille d’analyse à court terme et amnésique ?

Jean-Marc Daniel : Je crois effectivement qu’il y a dans les analyses économiques, d’où qu’elles viennent, de France ou d’ailleurs, une tendance courtermiste fréquente qui ne parvient pas à intégrer la notion de cycle économique. Ainsi, à chaque fois qu’une économie est dans la difficulté, on prophétise des catastrophes terribles et lorsque celle-ci va mieux, on table sur la fin du chômage à dix ans. Dans un cas comme dans l’autre, les prévisions sont en général victimes d’une projection d’une amplitude tout à fait démesurée. Les analystes ne prennent jamais le recul nécessaire pour intégrer dans leur réflexion les périodes précédentes et la logique cyclique qui est pourtant à l’origine de la réflexion économique actuelle de l’Union européenne et qui sert de base au dernier traité économique ayant été signé. Au-delà de cette erreur d’analyse fréquente dans les médias, certains d’entre eux sont aussi historiquement anti-français et anti-euro, le Financial Times en tête. Ce dernier, sous couvert d’un vernis scientifique, est agité par une obsession éditoriale qui consiste à accuser l’euro de tous les maux et à annoncer sa destruction future. Le Financial Times a délaissé la logique analytique pour la remplacer par une logique partisane et militante.

Alain Fabre : Je crois que c’est la France qui essaie de se rassurer. Enfin, tout du moins une partie de la France car le gouvernement lui-même, avec tous les reproches économiques qu’on peut lui faire, a conscience de la situation du pays, j’en veux pour preuve le rapport Gallois et ses constats qui sont tenus pour très importants. Si on pourrait reprocher à une partie de la presse étrangère son manque d’objectivité, je ne crois pas que l’on puisse taxer monsieur Louis Gallois de French bashing. Enfin, je crois qu’il faut savoir être sensible à la vision que nos voisins ont de nous. Il y avait hier matin dans Les Echos, me semble-t-il, une une allemande qui disait "La grande nation toute petite". Cela témoigne d’une analyse qui doit être prise en compte dans notre façon d’avancer. L’un des problèmes que la zone euro devra à tout prix régler est sans aucun doute le relatif affaissement économique de notre pays, et cela nous ne pouvons passer à côté.

Étant donné le contexte économique européen, peut-on considérer que la France s'en sort plutôt bien que ce soit sur le front du chômage ou encore de la désindustrialisation ? 

Jean-Marc Daniel : Sur le plan du chômage, l’analyse de monsieur Askenazy est objective. Même si le taux de chômage français est actuellement très élevé, celui-ci est moindre que ce qu’il a été dans les années 1990. Sur la question de la désindustrialisation, la France est victime d’une obsession mercantiliste arriérée qui ne tolère pas que des entreprises disparaissent et qui n’admet pas que certains secteurs deviennent naturellement de moins en moins rentables. Il est pourtant tout à fait normal que la France ne puisse aborder la métallurgie comme ce fut le cas par le passé et que celle-ci se déplace de la Lorraine vers Dunkerque et les ports. Ce raisonnement qui consiste à regretter les entreprises du passé est complètement improductif. Sur les exportations, l’idée est la même, le but d’une entreprise n’est pas de vendre à l’étranger mais de vendre tout court et les obsédés de l’exportation et de l’équilibre des balances commerciales mènent une réflexion totalement faussée.

Alain Fabre : Ce que soulignent effectivement les gens qui s’inscrivent dans la ligne d’Askenazy, est que le système social français fonctionne comme une sorte d’amortisseur en cas de crise. Nous avons effectivement constaté cela et en 2009, notre croissance a baissé de 2,5% lorsque celle de l’Allemagne chutait de 5%. Ce qu’ils omettent de dire, c’est que lorsque nous perdons 2,5%, notre taux de chômage explose alors que les entreprises allemandes tiennent le choc face à une situation deux fois pire que la nôtre. Sur la question de la désindustrialisation en France, celle-ci est réelle, et même si nous avons longtemps cru à une exception de PSA, Renault a fini par vivre la même situation. De plus, si les médias ne parlent que des fermetures de grandes usines, personne n’évoque la pression sous laquelle croulent les PME qui accèdent très difficilement au crédit et peinent un peu plus chaque jour.

On reproche à la France sa politique de gauche, keynésienne, mais l'accord récent entre le patronat et les syndicats n’est-il pas le signe qu'elle s’abandonne progressivement à une politique libérale ?

Jean-Marc Daniel : Si j’ai une analyse aussi positive de la France c’est bien parce que celle-ci se dirige effectivement vers une politique économique libérale. L’accord entre les syndicats travailleurs et patronaux le montre bien en accentuant la flexibilité du marché du travail. Lorsque l’on écoute l'exécutif, que ce soit Jean-Marc Ayrault dans Le Monde ou François Hollande dans son discours du 13 novembre, il prône le fait d’aller vers le risque et le respect de l’entreprise. Et pas n’importe quelle entreprise, pas celle qui se constitue une rente ou qui cherche en permanence à baisser le coût du travail mais celle qui recherche le dynamisme. Ce n’est pas vraiment ce que j’appellerais un discours keynésien et j’y adhère. La France est donc progressivement en train de s’adapter et moins douloureusement que ce que beaucoup avaient prédit. De plus, les modèles auxquels elle est comparée sont pour la plupart vieillissants et connaîtront de nombreux problèmes dans un futur relativement proche. L’Allemagne, typiquement, fait partie de ceux-là. Son excédent extérieur correspond à un excédent d’épargne qui découle logiquement d’une économie et d’une population vieillissante là où la France voit sa population augmenter et donc son économie s’ouvrir des perspectives.

Alain Fabre :La France a un libéralisme de retard. Elle est encore complètement à contre-courant et elle prend des mesures économiques contradictoires. D’une part, il faut effectivement se réjouir de cet accord qui va dans le sens de ce qu’a fait l’Italie de Mario Monti le 21 novembre et ressemble aux mesures allemandes dans les années 2000. La France est malgré tout freinée par le maintien d’un taux de dépenses publiques très important, le conducteur accélère donc à fond d’un pied et freine de l’autre. Cela risque donc grandement de déstabiliser le moteur de la France. Enfin, la doxa française, dont fait partie monsieur Askenazy, considère que la discipline budgétaire ne permet rien et que le prix à en payer est la croissance et la compression des dépenses publiques. Dans la réalité, ce sont pourtant les pays qui ont baissé cette dépense publique par rapport au PIB qui se sont sortis de la crise et qui ont pu retrouver la croissance (Suède, Canada, Allemagne). Il faut donc bien mettre en avant que plus la dépense publique augmente et plus elle se substitue à la dépense privée et donc, à terme, à la l’investissement. Ainsi, les dépenses d’aujourd’hui sont les impôts de demain et la décroissance d’après-demain.

Que ce soit en interne ou en externe, la France est sans cesse comparée à l’Allemagne voisine. Cette comparaison est-elle pertinente par rapport aux structures respectives des économies et les indicateurs que chacune d’entre elles utilisent pour s’évaluer ? 

Jean-Marc Daniel : Il y a effectivement un biais statistique dans la façon dont sont comptabilisées les externalisations des activités industrielles depuis 1975 et jusqu’à 2007. Cela a eu la conséquence de faire disparaitre un quart des emplois industriels pour des raisons statistiques et qui avaient en fait simplement été rechiffrées dans les activités de services. Encore une fois, l’enjeu d’une entreprise est la création de richesse et la production, rien d’autre. Il faut sortir de la logique qui consiste à s’attrister de la séparation de nos bonnes vieilles usines à cheminée, peu importe si Peugeot produit des voitures sans ouvrier. Le but de l’économie n’est pas l’emploi en tant que tel, c’est la création de richesses. Pour terminer, je voudrais préciser que le déficit extérieur de la France n’est pas une question de compétitivité mais d’épargne car elle dépense trop dans son secteur public et distribue trop de revenus par ce biais. Monsieur Hollande est en train d’y mettre fin en se pliant à l’austérité.

Alain Fabre : Monsieur Aslenazy a raison de mettre en garde contre les comparaisons trop faciles mais au-delà de cela, si on analyse les deux situations de la France et l’Allemagne dans le temps on constate bien que l’écart n’est pas uniquement dû à des biais statistiques. Il faut arrêter de croire que lorsque la France perd un match c’est toujours parce que l’arbitre nous en veut. Nos problèmes sont réels et il ne s’agit pas seulement de comptes d’apothicaires et de débats de doctrines. Il s’agit d’un épiphénomène qui ne changera rien au fait que le taux de marge des entreprises françaises est de 28% et celui des entreprises allemandes de 42%. On ne dira jamais assez que les Allemands n’ont jamais adopté les 35 heures et qu’ils ont fait des réformes que nous ne nous résolvons pas à faire. Le tassement économique de la France est indiscutable et n’est pas simplement une illusion mathématique.

Exagère-t-on la baisse d'attractivité de la France ?

Jean-Marc Daniel : Il y a là une double erreur d’analyse. La première consiste à se focaliser sur des affaires grotesques comme celle de Gérard Depardieu. La seconde est de ne pas comprendre que la question n’est pas d’être attractif. Peu importe le nombre d’entreprises qui viennent s’installer en France, un pays a besoin de flux de revenus et l’objectif est de tirer partie des entreprises françaises qui investissent à l’étranger. Un polytechnicien qui travaille dans une usine en France rapporte moins au pays que le même polytechnicien qui travaille chez Goldmann Sachs à Londres car la part de ses revenus qu’il reverse sera plus importante.

Alain Fabre : La France a évidemment d’importants atouts, elle est notamment le carrefour entre l’Europe du nord et l’Europe du sud et intéresse donc beaucoup de gens. La France a également des qualités démographiques non négligeables, qu’évoque monsieur Askenazi, ainsi qu’une demande intérieur stimulée fortement par la dépense publique. Pas étonnant donc que cela attire des entreprises. Pour autant, cela ne nous empêche pas de pleurer sur le fait que la France gâche la plupart de ses atouts. 


Propos recueillis par Jean-Baptiste Bonaventure

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