L'expo "Hey !" remet le couvert : comment expliquer le succès de l'art outsider ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Fort du succès de l'exposition "Hey !" en 2011, la Halle Saint-Pierre récidive du 25 janvier au 23 août avec "Hey ! Part II".
Fort du succès de l'exposition "Hey !" en 2011, la Halle Saint-Pierre récidive du 25 janvier au 23 août avec "Hey ! Part II".
©DR

Hey !

Fort du succès de l'exposition "Hey!" en 2011, la Halle Saint-Pierre récidive du 25 janvier au 23 août avec "Hey ! Part II", qui célèbre l'art outsider (ou art brut) et la culture populaire. D'abord ostracisé, cet art des autodidactes et des marginaux commence à entrer dans les musées et séduit un public croissant.

Laurent Danchin

Laurent Danchin

Laurent Danchin est critique d'art et essayiste. Sa spécialité est l'art brut, outsider et singulier.

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Atlantico : Fort du succès de l'exposition "Hey !" en 2011, la Halle Saint-Pierre récidive du 25 janvier au 23 août avec "Hey ! Part II", qui célèbre l’art outsider (ou art brut) et la culture populaire. La première édition de "Hey !" a attiré 60.000 visiteurs, un score très satisfaisant pour la Halle Saint-Pierre. D’abord ostracisé, cet art des autodidactes et des marginaux commence à entrer dans les musées, séduit un public croissant et le marché s’y intéresse. Comment expliquer ce succès ?

Laurent Danchin : Dans l’exposition "Hey !", il y a des autodidactes qui correspondent à ce que les critiques appellent de l’art outsider, art brut ou art singulier, mais aussi des professionnels, des illustrateurs qui ont une formation artistique, un vrai savoir-faire. L’exposition rassemble donc professionnels et autodidactes qui font justement l’originalité de cet évènement.

En 1995, à la Halle Saint Pierre, nous avions organisé une exposition intitulée « art brut et compagnie ». J’étais alors l’un des commissaires de l’évènement et profitais de l’occasion pour annoncer, déjà, dans la préface, que le public était de plus en plus fatigué par les performances abstraites et très « intello » d’un certain art contemporain. Les amateurs d’art avaient besoin d’œuvres plus directes, qui les touchent, où l’on parle de l’homme et de ses émotions. En somme, c’est un retour du « refoulé » de plusieurs choses : le métier (dans l’art contemporain, beaucoup d’œuvres sont réalisées par des techniciens qui ne signent pas leur travail), la figuration (elle revient même dans l’art contemporain), et l’imaginaire débridé. L’art contemporain est celui du vide. Le brut est presque celui du trop-plein. Mélange aussi de toutes les sources possibles de l’image.

Les artistes protestent contre l’image publicitaire en général, des images purement commerciales qui sont fausses. L’art outsider, lui, fait appel aux tripes. Il faut bien voir que les temps changent, la société est en crise. Les gens en ont marre de ce qui sonne faux, et de ce qui est trop élitiste. Le public veut un retour au simple, au vrai, à la proximité. On peut rapprocher cette révolution d’ailleurs à celle du rock’n roll des années 1960. Une envie de liberté.

Depuis quand l’art brut fait-il une réelle percée en France ?

Au niveau commercial, une foire se tient à New-York depuis 1993. En France, le phénomène est beaucoup plus récent mais je travaille en liaison avec la Halle Saint Pierre depuis 1995, et nous voyons, années après années, ce succès prendre de l’ampleur. Il y a maintenant deux ou trois ans que le mouvement est installé. Cela correspond à l’ouverture du musée de Villeneuve d’Ascq d’art moderne, d’art contemporain et d’art brut (LaM) en septembre 2010. C’est un signe que l’institution elle-même accepte l’art brut en son sein. Et cocorico, le LaM est le seul musée au monde qui rassemble les trois grands courants artistiques du XXè siècle. C’est un peu comme si le Louvre ouvrait une section « art brut ». La tendance s’exporte très bien à l’étranger.

Que dire de la reconnaissance dans le milieu ?

Le marché de l’art brut s’est établi en France, même si celui-ci n’est que secondaire, car il n’entre pas encore sur le marché international dans lequel on trouve l’art contemporain. C’est un premier signe de reconnaissance bien que les œuvres ne s’arrachent pas à quinze millions de dollars comme pourrait l’être un Jeff Koons. Deuxième signe de cette reconnaissance, celui donné par les institutions qui organisent de plus en plus d’expositions faisant la part belle à l’art outsider. Enfin, l’université également s’y intéresse beaucoup. Des thèses, des recherches sont entreprises. Il existe même un collectif de réflexion autour de l’art brut appelé CrAB, qui réunit des chercheurs issus de différentes disciplines (histoire de l’art, littérature, linguistique, psychanalyse). Ils partagent une même conception de l’art brut comme pensée de l’art et comme outil pour penser les rapports de l’art et de la société. Pour en terminer avec cette question de la reconnaissance, le collège international de philosophie organise pour la troisième année (sur un cycle de cinq ans) un séminaire de l’art brut.

L'art brut a donc de beaux jours devant lui...

L’art brut est désormais reconnu par l’université, par l’institution des musées et par le marché. Au vu de ce succès, certains fans pourraient au contraire considérer que l’on va vers la fin de l’art brut à cause, justement, de cette récupération entamée par l’institution. Les artistes, très sauvages, ne seront sans doute pas à l’aise dans ce cadre-là et auront certainement besoin de se cacher pour créer. Apprendre aux élèves l’art brut n’a aucun sens. D’un côté la reconnaissance de cet art est une excellente nouvelle, d’un autre, on va favoriser un « faux » art brut, dans le sens où celui-ci va perdre son âme s’il est enseigné. Cela peut devenir une tendance destructrice…

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