Kadhafi : parce qu'il le valait bien...<!-- --> | Atlantico.fr
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Par 20°, la chapka de Kadhafi. Parce qu'il le vaut bien...
Par 20°, la chapka de Kadhafi. Parce qu'il le vaut bien...
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Peine perdue

Il n’y a pas que les stars hollywoodiennes ou les marques grand public qui travaillent leur image : les dictateurs aussi se paient les services de grandes agences de relations publiques. Pour le colonel libyen, c'était une agence britannique. Des millions investis pour un échec...

Etienne  Augé

Etienne Augé

Étienne Augé est spécialisé en propagande et diplomatie publique. Il a enseigné la communication et le cinéma de masse pendant dix ans au Liban et en Europe centrale. Il est aujourd'hui "Senior lecturer" en communication internationale à l'Université Erasmus de Rotterdam, et vient de publier son premier roman, Loubnan.

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Dans les relations internationales, il n’y a pas de place pour l’amitié, juste pour les intérêts. L’Occident élève ainsi régulièrement des dictateurs utiles, qu’il lâche souvent et attaque parfois. Après Saddam Hussein, c’est au tour de Mouammar Kadhafi. Ex-sponsor du terrorisme mondial/ennemi public numéro 1 de l’Occident, le colonel libyen avait pourtant réussi ces dernières années à se réinventer en personnage quasi respectable. Le fruit d’une évolution politique doublée d’un lourd investissement en com’.

L' "agence de com" de Kadhafi

Méconnues en France, certaines agences de relations publiques travaillent ainsi à "vendre" aux opinions publiques occidentales des régimes ou des groupes d’intérêts. Elles peuvent entre autres missions s’employer à tenter de limiter les dégâts d’image lors d’une situation de crise (damage control) ou développer une marque reconnaissable (branding). On a pu voir leur puissance lors de la guerre des Balkans, où plusieurs agences de relations publiques comme Ruder Finn ont réussi à convaincre presque tout  le monde de l’innocence des Croates devant la barbarie serbe. Essayant autant que possible de ne pas trop faire parler d’elles pour mieux mettre leurs clients en avant, les agences de relations publiques sont utilisées par des universités, des pays, des entreprises ou des leaders.

C’est ainsi que la britannique Brown Lloyd James (BLJ), a contribué à « positiver » l’image de Mouammar Kadhafi afin qu’il soit considéré comme un allié de l’Occident. Un article de PR Week décrit comment BLJ a essayé de diffuser depuis 2009 l’idée que le leader libyen était une « personnalité contemporaine mondiale fascinante » (sic). Cette agence de relations publiques a l’habitude de travailler au Moyen-Orient et on trouve parmi ses clients nombre d’institutions qataries, comme Al Jazeera ou les universités américaines de Carnegie Mellon et Georgetown récemment installées à Doha. BLJ a l’habitude des pays arabes, mais possède aussi de nombreux clients en Occident, ainsi que des relais puissants.

Comment donner une image positive d’un pays comme la Libye, assimilée depuis les années 80 au terrorisme? Plusieurs techniques empruntées à la propagande peuvent être efficaces et notamment celle consistant à s’appuyer sur des experts. Ceux-ci donneront à l’opinion publique, par le biais des médias, un discours préparé, « ce qu’il faut penser de…», qui aidera le téléspectateur à se faire une idée rapide et simple de la situation. Un article du plus vieil hebdomadaire américain, The Nation, documentait l’emploi d’universitaires prestigieux pour présenter la Libye comme un allié acceptable pour les Etats-Unis, voire un modèle de démocratie à l’avenir.

Experts et universitaires à la rescousse

Parmi les experts cités, Joseph S. Nye, bien connu pour avoir popularisé le terme de soft power, une stratégie pour les Etats consistant à séduire plutôt que d’utiliser la force contre d’autres nations. Ainsi, Nye, professeur à Harvard, avait publié en 2007 un article dans The New Republic, magazine de centre gauche, où il racontait son séjour en Libye et la volonté de Mouammar Kadhafi de s’ouvrir à la « démocratie directe ».  L’universitaire précise qu’il s’est rendu en Libye en 2007 à l’invitation du Monitor Group, un cabinet de consultants dont les fondateurs ont également fréquenté la fameuse université de Harvard.

Difficile de reprocher à Nye, ainsi qu’aux autres professeurs d’université, de considérer que la Libye puisse s’amender à l’avenir. Les sommes versées par Monitor Group en échange de leur témoignage pourraient en revanche être considérées comme une entorse à l’éthique universitaire.

En première ligne, l’université britannique London School of Economics (LSE) dont le directeur Howard Davies a récemment démissionné pour avoir reçu un don de 300 000 Livres Sterling de la part de la famille Kadhafi. La LSE s’est clairement engagée en faveur de la Libye : un autre professeur de cette célèbre institution, Anthony Giddens, avait, selon The Guardian, déclaré que la Libye du colonel Kadhafi, pourrait un jour devenir une « autre Norvège » ! Rappelons également que Saif El Islam Kadhafi, fils du leader libyen, a reçu son doctorat de la LSE, ce qui n’a pas manqué de soulever quelques interrogations, en particulier de plagiat.

Les limites d'un système

Outre les universitaires et experts engagés pour soutenir le régime libyen, on trouve également des « hommes d’influence », comme Richard Perle, qui a soutenu le régime libyen depuis 2006, date à laquelle il a rejoint le Monitor Group. On avait connu Perle en faucon de la politique américaine, inspirateur avec quelques autres de l’invasion de l’Irak en 2003 ; son soutien à une autocratie assez semblable à celle de Saddam Hussein peut alors apparaître curieux. Ce serait oublier les activités secondaires de Richard Perle qui, outre la politique et le lobbying, sait utiliser ses réseaux pour favoriser la vente d’armes comme l’a rappelé le journaliste américain Seymour Hersh. Richard Perle, aujourd’hui néoconservateur, avait commencé sa carrière dans le camp démocrate. Il semblerait que ses engagements politiques varient principalement en fonction des avantages qu’il peut recevoir en échange de son soutien. 

Malgré tous ses efforts de communication, le Colonel Kadhafi n’a réussi au final ni à séduire l’Occident, ni même son propre peuple. Ayant reçu des sommes considérables en échange de leur expertise, Monitor Group et Brown Lloyd James devront-ils les rendre, ayant échoué à montrer le régime libyen comme un modèle de démocratie ?

La guerre a commencé et les chances de l’armée libyenne sont minces face aux armées occidentales appuyées par les forces arabes. Le régime du Colonel-roi des rois pourrait bien s’écrouler bientôt et représenter une belle victoire de la démocratie : les agences de relations publiques ne seraient finalement pas si puissantes devant la réalité des dictatures. A moins que d’autres agences, plus efficaces et peut-être plus discrètes, n’aient, elles, su faire pencher l’opinion publique contre la famille Kadhafi.

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