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Califat, charia, trafics et choc des civilisations : quels sont les buts de guerre réels des groupes islamo-terroristes salafistes ?
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Explications

Les groupes islamo-terroristes dits "salafistes" qui ont envahi le Nord du Mali puis attaqué la base de British Petroleum d’In Amenas font la une des médias. Leurs objectifs et "buts de guerre" restent pourtant encore assez vagues et on oublie souvent que le terroriste cherche avant tout à provoquer un impact psychologique et médiatique foudroyant.

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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On parle beaucoup en ce moment des groupes islamo-terroristes dits "salafistes" qui ont envahi le Nord du Mali puis attaqué la base de British Petroleum d’In Amenas, suite à l’intervention de la France. Mais que sait-on de leurs objectifs et "buts de guerre"? Qu’entend-on par le terme "salafiste", utilisé à toutes les sauces. Quelle est la stratégie du terrorisme ?

Commençons par le terme même de terrorisme. Hérité du régime de la "Terreur", qui marqua la phase totalitaire de la Révolution française (1792-1793), il désigne l’emploi de la terreur - donc de la violence extrême et de la peur - à des fins politiques. Dans sa version actuelle, incarnée notamment par la nébuleuse dite d’Al-Qaïda, le terrorisme a comme meilleure force de frappe les médias et "l’opinion publique", premières "caisses de résonnance" de leurs revendications. Car en recherchant le sensationnel et en tant que premier pouvoir dans les démocraties, les médias aident à diffuser la peur et donc à exercer des pressions sur les décideurs politiques, religieux et économiques. L’un des meilleurs exemples est l’attentat d’Atiocha à Madrid, le 11 mars 2004, qui fit soudainement basculer les électeurs espagnols en faveur de la gauche (Zapatero) et les incita ainsi à "punir" la droite de M. Aznar, désigné par Al-Qaïda comme la “responsable” de l’attentat commis en "représailles" à la participation des troupes espagnoles à la guerre en Irak en 2003 aux côtés des Etats-Unis…

Paradoxe apparent, le terrorisme n’a pas pour but premier de tuer "l’ennemi" pour l’éliminer, mais d’utiliser l’horreur suscitée par la tuerie barbare pour sidérer psychologiquement les masses visées. Le terroriste cherche à provoquer un impact psychologique et médiatique foudroyant, comme l’a bien montré Raymond Aron (voir Paix et guerre entre les nations). C’est pourquoi les terroristes tuent en majorité des civils innocents et assez rarement les dirigeants qu’ils combattent. Leur but est de terrifier et traumatiser psychologiquement tout le monde à travers l’opinion publique et les médias qui diffusent leurs messages terrifiants. Pour cette raison, ils frappent presque toujours aveuglément, à la différence de certains groupes résistants anti-totalitaires ou de "justiciers". Dans cette optique de terreur globale et totalitaire, où la vie humaine n’a aucune valeur et où la fin justifie les moyens, masses, autorités politiques, familles, et médias doivent être psychologiquement et émotionnellement affaiblies, donc manipulées afin d’être (ré)orientées. Pour récapituler, les terroristes cherchent à être perçus de la façon la plus négative possible ("marketing négatif"), ce que Ben Laden réussit mieux que quiconque, car depuis les années 1990, on avait jamais autant parlé de l’islamisme et même de l’islam que depuis le 11 septembre 2001.

Ensuite, qu’entend-on par “salafisme”. Etymologiquement, salafi, en arabe (issu du mot "salaf", ancêtre, c’est-à-dire les compagnons de Mahomet et les deux premières générations de “successeurs” ou califes), désigne une tendance ultra-rigoriste et totalitaire de l’islam sunnite, influencée par le courant hanbalite et par sa version en vigueur en Arabie saoudite et dans le Golfe: le "wahhabisme". Cette mouvance prône le "retour" à la religion "pure" pratiquée par les "pieux ancêtres"; la dénonciation des "innovations", "superstitions" ainsi que les “hérésies” (islam libéral, soufisme, chiismes), d’où la destruction des mausolées soufis au Mali. Selon les Salafistes, le seul islam possible est celui du Tawhid (unicité) qui rejette toute influence non-islamique et toute “associationnisme” (Shurk = paganisme, trinité, culte des saints, etc). Et aucune parole ni avis ne prime sur les textes “parfaits” et ininterprétables du Coran et de la Sunna (Tradition), dont découle la Charià. Depuis le "printemps arabe", la nouvelle mode consiste à qualifier les Frères-musulmans de "modérés", par simple contraste avec les "méchants salafistes". Mais en réalité, les fondateurs de l’association des Frères musulmans se revendiquaient eux-mêmes de la salafiyya... et si les méthodes changent – puisque les Frères acceptent la démocratie électorale - les objectifs à long terme sont similaires : instauration du Califat et de la charià dans tout le "Dar al-Islam". Frères musulmans et Salafistes rejettent donc les mêmes ennemis ou “déviances: chiisme, soufisme, laïcisme, idées "étrangères-impies", laïcité, franc-maçonnerie, égalité entre les sexes, athéisme, liberté de conscience, etc.

Terrifier les "mauvais musulmans" ou les "apostats"

Les "salafistes djihadistes" s’en prennent donc en premier lieu aux "mauvais musulmans", qu’il faut intimider, terrifier et contraindre à adopter la Charià. L’Occidental n’est quant à lui que l’ennemi "existentiel" diabolisé que l’on doit pousser à intervenir en le provoquant (prises d’otages, terrorisme, etc), ceci soit pour tester ses réactions de faiblesse, soit pour entretenir, en cas de représailles, un choc des civilisations fort utile pour galvaniser les masses, qui y verront une marque de "néo-colonialisme". La mobilisation des djihadistes et des masses passe par en premier lieu par l’invocation de l’Age d’Or islamique (Califat) et à l’époque où les empires islamiques arabo-turcs ont dominé l’Espagne, la Méditerranée, la Palestine (et donc Israël), la Russie ou les Balkans et ensuite par la diffusion de l’idée paranoïaque et conspirationniste selon laquelle les "Infidèles" (Juifs, Chrétiens, non-musulmans, communistes, ex-colonisateurs européens, sionistes, franc-maçons, Américains, etc) "humilient les Croyants", “complotent” contre l’Islam et "insultent Allah" (d’où les affaires de "caricatures" ou films "islamophobes" montés en épingle. Ils expliquent que la Oumma sans frontières est la seule "Nation de l’Islam", la "meilleure communauté suscitée parmi les Hommes" (dixit le Coran, III-103), d’où leur rejet des frontières nationales et leur préférence pour le seul drapeau noir de "l’internationale salafiste" brandi par des groupes révolutionnaires syriens ou tunisiens ou par les djihadistes du Nord Mali. Parallèlement, depuis les années 1990, les Salafistes qui, jadis, se contrefichaient de la lutte des Palestiniens, selon eux trop "nationalistes", ont récupéré la "cause des causes", une cause palestinienne qui a, entre temps, été considérablement réislamisée, notamment pour couper l’herbe sous le pied des nationalistes arabes et des chiites et pour donc séduire les masses musulmanes pour qui l’Islam est La solution face au sionisme, aux "régimes corrompus", à l’Occident et à la misère.

Pour revenir aux groupes salafistes djihadistes qui sévissent au mali ou en Algérie (AQMI, MUJAO, Ansar Eddine, en Afrique de l’Ouest, ou Shébabs en Somalie, etc), leur buts stratégiques à long ou moyen terme consistent donc à renverser les régimes "apostats" (Mali, Algérie, Maroc, Mauritanie, Nigéria, Tchad, Sénégal, Burkina Fasso, etc), afin non seulement de créer un Califat islamique, mais aussi de créer des zones de non-droits où leurs trafics lucratifs ne rencontreront aucun obstacle. De ce point de vue, leur but immédiat, qui consiste à provoquer l’internationalisation du conflit à partir du chaos dans la zone sahélo-saharienne, peut paraitre militairement suicidaire, puisqu’ils risquent d’être vaincus, comme le fut le régime Taliban, écrasé par des armées occidentales surpuissantes en Afghanistan en 2001. Mais ils misent sur le choc de civilisation et les rancoeurs anti-occidentales forcément renforcées par les interventions militaires aériennes, lesquelles tuent nombre de civils innocents. La “guerre contre le terrorisme” islamiste leur fait en effet une extraordinaire publicité au niveau planétaire. Exemple de poids: le bilan de cette guerre s’est soldée, en Afghanistan, par le retour des Talibans, réfugiés entre temps en zone tribale pachtoune. De la même manière, les djihadistes sahéliens,  maîtres du désert, pourront revenir et surfer sur les dommages collatéraux…

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