Air France raillé par Ryanair pour son réveil tardif dans le low-cost : le champion français a-t-il tout compris ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Depuis le 7 janvier, Air France propose des billets simples à partir de 49 euros pour 58 destinations en France.
Depuis le 7 janvier, Air France propose des billets simples à partir de 49 euros pour 58 destinations en France.
©Reuters

Dans les nuages

Michael O'Leary, le directeur général de Ryanair a déclaré "qu'Air France n'a pas la culture du low cost. D'ailleurs 49 euros n'est pas du low cost !"

Emmanuel Combe

Emmanuel Combe

Emmanuel Combe est vice-président de l'Autorité de la concurrence et professeur affilié à ESCP-Europe. Il est également professeur des universités.

Spécialiste des questions de concurrence et de stratégie d’entreprise, il a publié de nombreux articles et ouvrages, notamment sur le modèle low cost (Le low cost, éditions La Découverte 2011). Il tient à jour un site Internet sur la concurrence.

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A l’heure où Air France vient de lancer une nouvelle gamme de prix « Mini » à partir de 49 euros sur le segment du court/moyen  et où Ryanair annonce avoir transporté 80 millions de passagers en Europe en 2012, il n’est pas inintéressant de revenir sur la bataille que se livrent Air France et les low cost dans le ciel français. Une bataille que l’auteur de ces lignes suit depuis 5 ans maintenant, à la suite du rapport Beigbeder (2007), dont il a été le rapporteur.


En 2007, alors que le low cost aérien prenait son essor dans notre pays, la réalité de la menace était unanimement sous-estimée : le low cost était d’abord considéré comme un artifice, se réduisant pour l’essentiel à une logique de subventionnement par les aéroports secondaires ou de délocalisation des contrats de travail. L’attention se focalisait alors principalement sur Ryanair et ses pratiques, alors même que la menace se situait aussi du côté de compagnies low cost qui avaient fait le choix de décoller de grands aéroports et d’opérer sur des lignes à fort trafic, en concurrence frontale avec les opérateurs historiques. Bref, la menace était certes celle des avions bleus et jaunes de Ryanair mais aussi et surtout celle des avions oranges d’Easyjet.

La riposte juridique qui s’en est suivie, visant à contester les conditions d’exercice des compagnies low cost dans le ciel français (sous l’angle du droit de travail ou de la licéité des aides aéroportuaires) a certes permis de clarifier les règles du jeu mais elle ne pouvait suffire à elle-seule à contenir la déferlante puisqu’elle reposait sur une analyse partielle du phénomène. En effet, en dépit de dérives, le low cost est d’abord un « business model » à part entière, fondé sur une nouvelle manière de faire de l'aérien, sur une redéfinition des besoins des clients dans le sens du minimalisme, sur une optionalisation des prestations annexes. Face à une révolution économique et organisationnelle, la riposte doit être d’abord économique et organisationnelle : elle passe par une remise à plat du business model  des grandes compagnies sur le court/moyen courrier. Air France fit certes un premier pas en direction du low cost, en créant  dès 2007 une filiale, Transavia, basée à Orly. Mais cette filiale low cost était “étanche” par rapport à la maison mère et  se positionnait sur des lignes qui n’étaient pas opérés par Air France, avec une clientèle essentiellement « loisirs». 


Dans un second temps, Air France a pris progressivement conscience de l’ampleur de la « révolution low cost » et a tenté de s’y adapter à partir de 2010 (programme NEO), sans remettre en cause les fondamentaux même de son modèle court/moyen courrier. L’adaptation a porté sur des variables certes stratégiques mais à la marge du sujet : les tarifs, avec le lancement en 2010 d’une nouvelle gamme de prix, mais aussi les prestations à bord, avec l’adoption de certains caractéristiques du modèle low cost (densification des sièges, etc). Mais la question-clé des coûts opérationnels n’était pas encore abordée de manière frontale au sein de la compagnie. La baisse des prix n’étant pas compensée par une baisse équivalente des coûts, il s’en est suivi une période de creusement des pertes sur le segment du court/moyen courrier.


Un troisième temps est clairement ouvert depuis le début 2012, celui de la riposte frontale, dans le cadre du plan Transform 2015 : l’enjeu pour Air France est de s’attaquer sur le court/moyen courrier à la question centrale des coûts unitaires, afin de réduire l’écart au siège kilomètre offert (SKO) avec les principaux concurrents, Easyjet ou Vueling, écart de l’ordre de 20 à 30%. Cette riposte passe par une réorganisation en profondeur du réseau, qui doit être source de gains de productivité. En particulier, l’un des objectifs est de faire voler les avions davantage chaque jour, pour faire jeu égal avec les low cost : n’oublions jamais qu’un avion au sol est une source de coût alors qu’en l’air il devient une source de recettes, voire de profits !



S’il est trop tôt pour en connaître l’issue, la bataille frontale qui se déroule sous nos yeux permettra de confirmer ou d’infirmer plusieurs « adages» sur le modèle low cost aérien.


En premier lieu, il est coutume de dire que l'atout des low cost réside dans leur agilité, c’est-à-dire leur capacité à s’ajuster en permanence aux contraintes du marché et de la demande : ajustement des capacités, arbitrage rapide entre les lignes selon leur rentabilité, externalisation des fonctions annexes, structure organisationnelle allégée, etc. A l’inverse, il est usuel de souligner la lenteur des changements au sein d’une compagnie major, du fait du poids des habitudes, de la multiplication des niveaux hiérarchiques, etc. Tout cela est vrai mais pour autant, ne sous-estime-t-on pas à contrario ce qui fait la force des grands groupes, à savoir… leur taille ? S’ils sont par nature plus résilients au changement, une fois la machine mise en marche, leur puissance de feu peut s’avérer redoutable.


En second lieu, il est souvent affirmé qu’ « on nait low cost, qu’on ne le devient pas » ; si cet adage est toujours vrai, alors la seule stratégie gagnante passerait par le rachat d’une compagnie low cost ou par une alliance avec elle. A contrario, toute tentative de mutation interne serait par nature vouée à l’échec. Mais en matière de modèle économique, l’histoire n’est jamais écrite d’avance ; l’avenir nous dira si la stratégie d’Iberia, qui a racheté la low cost Vueling/Clickair pour en faire son cheval de Troie sur le court/moyen courrier est en définitive plus porteuse que celle choisie par Air France.

En dernier lieu, il est fréquemment avancé que le modèle low cost repose sur un principe immuable, qui en fait la force : le « point  à point ». Ce principe signifie que le low cost transporte des passagers d’un point A à un point B sans jamais leur garantir de correspondance, ce qui permet de minimiser le temps passé au sol et donc d’augmenter la productivité des appareils. A l’inverse, les compagnies de réseau reposent sur une organisation en « hub »  (Roissy pour Air France) à partir duquel les passagers sont transférés sur d’autres vols, ce qui nécessite de gérer des correspondances et de coordonner les vols sur certaines plages horaires. A nouveau, est-on sûr que cette distinction tranchée entre les deux modèles est immuable ? N’y a-t-il pas place à l’avenir pour un modèle d’organisation mixte, à mi chemin entre le “point à point” et le « hub » ? On peut imaginer par exemple un modèle dans lequel une compagnie, low cost ou non, garantirait à ses passagers une simple connexion sur un grand aéroport, sorte de « hub naturel », sans aller jusqu’à lui garantir une correspondance, source de coûts additionnels. Certaines compagnies low cost comme Vueling ont mis en place un tel système hybride,  en proposant aux passagers de British Airways (qui détient Vueling avec Iberia, au sein de la  holding IAG) une connexion sur l’aéroport de Barcelone et Madrid.

L’heure de la bataille décisive a sans doute sonné dans le ciel français. Pour autant, en dépit des adages que nous venons d’évoquer, son issue n’est pas écrite d’avance.

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