Renault boit la tasse, Volkswagen ouvre le champagne : pourquoi ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Renault a annoncé 7 500 suppressions d'emplois (soit 15% de ses effectifs) d'ici à 2016.
Renault a annoncé 7 500 suppressions d'emplois (soit 15% de ses effectifs) d'ici à 2016.
©Reuters

Le grand écart

Alors que le constructeur français Renault a annoncé 7 500 suppressions d'emplois (soit 15% de ses effectifs) d'ici à 2016, Volkswagen a battu son record de ventes avec 9,07 millions de véhicules en 2012.

Frédéric Fréry

Frédéric Fréry

Frédéric Fréry est professeur à ESCP Europe où il dirige le European Executive MBA.

Il est membre de l'équipe académique de l'Institut pour l'innovation et la compétitivité I7.

Il est l'auteur de nombreux ouvrages et articles, dont Stratégique, le manuel de stratégie le plus utilisé dans le monde francophone

Site internet : frery.com

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La crise de l'industrie automobile met l'accent sur un problème structurel déjà ancien : la surproduction. Les capacités de production installées en Europe sont beaucoup trop élevées par rapport à ce que le marché peut absorber, ce qui entraîne des coûts que les constructeurs ne parviennent pas à couvrir. Dans ces conditions, Volkswagen, qui jouit de la part de marché la plus importante, est un des seuls à pouvoir supporter le coût de ses usines. De plus, sa présence en Chine et au Brésil depuis bien plus longtemps que n'importe lequel des constructeur français renforce encore sa capacité à amortir ses frais fixes. Enfin, dans la conjoncture actuelle, son positionnement historique sur le nord et l'est de l'Europe est beaucoup plus intéressant que celui de Renault ou Peugeot, qui ont misé sur le sud et l'ouest de continent, principales victimes de l'effondrement des ventes.

L'écart entre Renault et Volkswagen provient aussi d'un simple effet de vases communicants. Sur un marché saturé comme l'Europe, toute augmentation des ventes d'un constructeur se fait au détriment des autres. Par conséquent, les difficultés de Renault s'expliquent notamment par le succès de Volkswagen : plus l'Allemand vend de voitures et amortit ainsi ses capacités de production, moins le Français en est capable. Or, Volkswagen n'hésite pas à pousser cet avantage en pratiquant une guerre des prix, ce qui lui est d'autant plus facile qu'il peut s'endetter à moindre coût - et donc prêter à moindre taux à ses clients - que nos constructeurs nationaux. Le sauvetage de la banque de PSA par l’État, contesté par Bruxelles, est symptomatique de cette dérive.

De manière générale, si les Allemands produisent une grande partie de leurs modèles sur leur propre territoire, c'est parce que leur positionnement plus haut de gamme le leur permet. Dans le secteur automobile, la rentabilité est largement corrélée avec le prix, alors que les coûts sont en grande partie constants : étant donné qu'entre une Clio et une BMW la plupart des coûts sont du même ordre, plus vous montez en gamme, plus vous gagnez de l'argent et plus vous pouvez payer votre personnel. Or, le gouvernement de la République fédérale a toujours été plus favorable aux grosses voitures, par nature vendues à des prix élevés, alors que le gouvernement français a toujours privilégié les petits modèles populaires. Il s'agit d'une posture historique qui remonte à l'après-guerre (notamment avec la nationalisation de Renault et la fin des marques de luxe françaises comme Delage, Delahaye ou Bugatti) et qui s'est encore récemment accentuée avec la préoccupation écologique : les petites voitures, qui consomment moins de carburant, polluent moins et sont plus faiblement émettrices de CO2 bénéficient de la politique de bonus-malus pénalisant les gros modèles. Pourtant, c'est sur des véhicules chers que les constructeurs gagneraient assez d'argent pour payer les coûts salariaux français et ainsi maintenir une production locale. A contrario, les autorités allemandes n'ont pas mis de bâtons dans les roues ou d'obstacles à la vente de grosses cylindrés puissantes, ce qui permet de continuer à faire du Made in Germany.

Le piège est donc le suivant : si la France se cantonne aux modèles d'entrée de gamme, peu coûteux et vendus peu cher, elle ne peut pas les produire localement de manière rentable. Pour payer des salaires élevés, il faut vendre cher. Le secteur automobile requiert une masse extrêmement importante d'emplois et si vous payez bien vos salariés, vous obtenez une base de clients capable d'acheter vos voitures. C'est ce que l'on appelle le fordisme. Réciproquement, plus vous produisez des modèles chers, mieux vous pouvez payer vos employés. Les Allemands fonctionnent sur ce cycle vertueux : payer suffisamment les ouvriers pour qu'ils puissent acheter les véhicules qu'ils produisent eux-mêmes. Renault gagne bien de l'argent sur sa gamme Dacia (d'ailleurs vendue sous la marque Renault dans plusieurs pays dont la Russie), mais ce sont des modèles produits en Roumanie, avec des coûts salariaux très réduits. Les Dacia ne pourraient pas être rentables si elles étaient Made in France. C'est tout le concept du fordisme qui est ainsi remis en cause. Au passage, réduire les charges sur les bas salaires, cheval de bataille de la plupart de nos ministres du Travail, c'est encourager leur généralisation et donc aboutir à une population qui n'a pas les moyens d'acheter les produits chers qui permettraient qu'on l'augmente. La réduction des coûts est une course vers l'abîme qui risque d'emporter notre système social et notre prospérité.

Les Allemands bénéficient enfin d'un dernier avantage : une très grande partie de leur marché automobile d'occasion part dans les pays limitrophes, ce qui stimule le marché du neuf : beaucoup de Polonais ou de Tchèques roulent avec des Volkswagen d'occasion qui ont fait leur première vie en Allemagne, à l’inverse de la France où la plupart du marché de l'occasion reste dans l'hexagone et entre ainsi en concurrence directe avec les modèles neufs. L'ensemble du système est donc tiré vers le bas en France, jusqu'à empêcher la production locale - et donc à terme la consommation - alors qu'il est tiré vers le haut en Allemagne.

Au total, l'industrie automobile française doit donc se focaliser sur trois priorités, déjà bien connues : miser sur l’internationalisation des ventes (notamment en Chine, au Brésil ou en Russie), réduire la surcapacité en Europe pour la redéployer dans les pays à forte croissance, et enfin proposer des véhicules qui dégagent des marges suffisantes pour être produits en France - ce que fait en partie Citroën avec sa gamme DS, Renault étant tenté de l'imiter avec Alpine ou Initiale Paris. Cependant, si ces impératifs stratégiques sont bien identifiés, la tâche s’annonce ardue dans le contexte actuel, avec l'avance dont bénéficient désormais nos concurrents. Lorsqu'on a la même stratégie que ses concurrents, on n'a pas de stratégie.

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