Pourquoi Geneviève Fioraso a tort de vouloir tuer les prépas<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
France
La ministre de l'Enseignement supérieur, Geneviève Fioraso, veut rapprocher classes préparatoires et universités.
La ministre de l'Enseignement supérieur, Geneviève Fioraso, veut rapprocher classes préparatoires et universités.
©Reuters

Fioraso m'a tuer

La ministre de l'Enseignement supérieur, Geneviève Fioraso, a exprimé mardi son souhait de mettre fin à la gratuité totale des classes préparatoires et a évoqué la création d'une trentaine de grands ensembles universitaires. Atlantico.fr a demandé son avis sur cette mesure à Annabelle Allouch, chercheuse en politiques et dynamiques éducatives

Annabelle  Allouch

Annabelle Allouch

Annabelle Allouch est doctorante à l’Observatoire sociologique du changement (CNRS/Sciences Po.) et ATER en sociologie à l’université de Rouen. Elle a par ailleurs été Visiting scholar auprès du département de sociologie de l’université d’Oxford en 2008/2009.

Elle rédige actuellement une thèse de doctorat sur les formes de mise en œuvre et les effets des politiques d’ouverture sociale de l’enseignement supérieur en Angleterre et en France, en se concentrant sur le rôle joué par les savoirs à Sciences Po, à l’ESSEC et à Oxford.

Voir la bio »

Atlantico : Geneviève Fioraso, ministre de l'Enseignement supérieur et de la recherche, a récemment prôné l'instauration d'un rapprochement entre les CPGE (classes préparatoires aux grandes écoles) et l'université. Cela se traduirait entre autres par la fin de la gratuité totale des classes préparatoires ainsi que par "l'inscription automatique à l'université" des étudiants qui en sont issus. Va-t-on dans cette logique vers un détricotage du système des classes prépas ?

Annabelle Allouch : Il s’agit en fait de plusieurs problèmes combinés mais qui font généralement l’objet d’un traitement différencié par les autorités publiques :

- Tout d’abord, la question de la légitimité de l’existence du système des classes préparatoires et des grandes écoles différencié des universités est très ancienne (l’historien Marc Bloch l’évoquait déjà en 1940). Les CPGE sont polémiques parce qu’elles sont au cœur du système méritocratique qui renvoie à l’effectivité du contrat social entre les citoyens et l’Etat autour de la mobilité sociale.

Les critiques se sont accrues à l’égard des CPGE avec la création des dispositifs d’ouverture sociale comme ceux de Sciences Po et de l’ESSEC. Afin d’y pallier, des lycées comme Henri IV à Paris ou Thiers à Marseille ont fondé leur propre système adapté à la nouvelle norme d’ « égalité des chances » qui s’est diffusé à l’ensemble des filières d’élite, notamment dans le cadre des « cordées de la réussite » coordonnées par l’Etat.

C’est dans cette perspective qu’il faut comprendre l’émergence de la question de la gratuité des prépas. En fait, celle-ci ne change pas vraiment la donne : dans les faits les CPGE publiques sont déjà très peu coûteuses par rapport à d’autres formations et la double inscription à l’université existe déjà pour tous les étudiants afin d’anticiper un échec éventuel aux concours des grandes écoles. Le concours a néanmoins un coût important, notamment dans le cas où l’étudiant présente plusieurs écoles ou plusieurs banques de concours, comme c’est le cas des écoles de commerce ou d’ingénieurs, bien qu’il faille noter que les boursiers bénéficient d’exonérations des frais d’inscription. C’est là que la gratuité peut être la plus utile.

Demeure évidemment la question de la sélection par pallier du système éducatif qui fait que de facto, un élève de milieu populaire a proportionnellement moins de chances d’arriver jusqu’à ce stade de sélection scolaire : en fait, la gratuité ne signifie en rien la démocratisation de l’accès au concours !

A ce titre, il ne semble donc pas qu’il soit effectivement question de remettre en cause la légitimité des prépas : a priori, les CPGE et a fortiori le système des grandes écoles fonctionnent car il produit des cadres de qualité pour le service public et le secteur privé. Par ailleurs, il assure une forme de sélection qui va plutôt dans le sens du système des classements internationaux en cours dans le supérieur, qui valorise les établissements d’ « excellence » au niveau de la formation et de la recherche, même si on lui reproche une forme d’archaïsme organisationnel, qui n’est pas valorisable dans le cadre du classement de Shanghai, pour ne citer que lui.

C’est là que la question du rapprochement entre grandes écoles et universités est la plus prégnante et s’articule à celle de l’ouverture sociale : il s’agit aussi pour les filières d’élites de légitimer leur existence alors qu’elles forment un nombre réduit d’étudiants, tandis que le système d’enseignement supérieur s’inscrit de plus en plus dans la création de pôles représentant un grand nombre d’enseignants et d’étudiants.

En prenant en compte tous ces éléments, on voit bien que les chemins de la gratuité et de la double inscription à l’université ne sont vraiment le symptôme d’un « détricotage » des CPGE. Mais il est intéressant de noter que  ces questions concernent les deux systèmes mais dans un sens inversé : on réfléchit à la gratuité des prépas d’un côté et à l’augmentation des frais d’inscription à l’université de l’autre.

Des expérimentations sont en cours pour « rapprocher ces deux mondes », par exemple avec le lancement de classes préparatoires universitaires qui préparent à l’entrée aux grandes écoles tout en formant les étudiants dans le cadre d’une licence, ce qui contribue par ailleurs à confronter universitaires et enseignants du secondaire dans un objectif de réussite des étudiants.

Ce constat semble sous-entendre que les classes préparatoires sont trop isolées du reste du monde enseignant. Qu'en est-il dans les faits ?

Tout dépend ce que l’on entend par « monde enseignant », mais il est vrai que les prépas représentent un espace académique paradoxal : en théorie, les classes prépas sont au cœur des lycées, donc du système secondaire. Par ailleurs, - et logiquement puisque c’est leur mission - elles sont plus fortement influencées par les changements des épreuves des concours des grandes écoles que par les changements en cours dans le secondaire. Par ailleurs, elles représentent aussi une population relativement spécifique parmi les enseignants qui semble eux-mêmes former une « élite enseignante ».

Il est affirmé communément que les structures de préparation aux grandes écoles sont presque uniquement réservés aux étudiants issus de familles à fort capital culturel, n'est-ce pas aussi le relativement cas à l'université néanmoins ?

Absolument. La question de la sélectivité sociale du système d’enseignement supérieur n’est pas le propre des CPGE et des grandes écoles : la mission démocratique de l’université en premier cycle se délite quelque peu à partir du niveau Master, où certaines filières peuvent être aussi sélectives que des grandes écoles. Par ailleurs, des filières du premier cycle demeurent très sélectives, comme le droit, non seulement en termes d’accès mais aussi en termes de réussite scolaire et d’orientation à l’intérieur de la filière.

Depuis une dizaine d'années on assiste à une "ouverture sociale" des filières d'excellence vers les milieux défavorisés, peut-on estimer aujourd'hui que cette politique a porté ses fruits ? 

Tout dépend ce que l’on entend par « porter ces fruits » !

Originellement, ce type de dispositifs correspond d’abord à l’identification d’un pool d’élèves « à potentiel », c’est-à-dire issus de milieux et d’établissements défavorisés mais présentant des compétences qui les rendraient capables de réussir dans le supérieur. En conséquence, dès le début, ce type de dispositifs se caractérise par une approche centrée sur l’individu et non plus sur une classe, un établissement ou sur un territoire : par nature, ce type de dispositif ne concerne qu’un nombre restreint d’élèves. Pour cet objectif à court terme, le contrat est en quelque sorte rempli : bénéficiant d’un suivi très intense, ces étudiants entrent dans le supérieur avec un projet académique et professionnel qui leur permet globalement d’accéder au diplôme et de s’insérer sur le marché du travail.

Après 10 ans d’expérimentation à Sciences Po et à l’ESSEC, un nouvel objectif se pose désormais aux filières d’élite : que faire des autres élèves qui ne participent pas aux dispositifs et notamment ceux qui ne sont pas identifiés comme porteurs d’un « talent » ?

Finalement, cet objectif de long terme pose la question de la mission des grandes écoles et des prépas en France : à qui revient la responsabilité d’assurer l’égalité des chances ? La question demeure ouverte. En Angleterre, certaines universités d’élite se sont attribuées une mission de « responsabilité sociale », similaire à la  fameuse « responsabilité sociale des entreprises ». En France, le gouvernement de Nicolas Sarkozy avait tenté d’infléchir les pratiques dans ce sens en imposant un pourcentage de 30% de boursiers ainsi que d’autres types d’indicateurs de « performance sociale » afin d’accélérer la démocratisation de ces filières.

Plus globalement, l’impact de ces dispositifs sur les représentations des filières d’élites par les classes populaires et sur les pratiques des enseignants des établissements classés en zones d’éducation prioritaire restent à évaluer : en ce sens, l’ouverture sociale a globalement porté ces fruits pour ses bénéficiaires et elle a eu un impact sur la construction des politiques éducatives (En accélérant notamment les partenariats entre l’Education nationale et le secteur privé dans un contexte de crise budgétaire). Mais les effets à long terme sur les établissements demeurent discutés, bien que l’on voit poindre des changements du point de vue des pratiques des enseignants : certains d’entre eux se désignent désormais comme des « VRP de l’éducation» puisqu’ils se mettent à démarcher les établissements proposant des dispositifs d’ouverture sociale afin d’en faire bénéficier leurs élèves.

De manière plus générale, doit-on repenser notre système de méritocratie dans l'Hexagone, qu'est ce qui pourrait être amélioré ?

Le système repose essentiellement dans la croyance dans le concours comme instrument central de justice sociale : le concours, parce qu’il ne prend théoriquement en compte que les résultats scolaires et non l’origine sociale, permettrait ainsi aux meilleurs d’accéder à des positions sociales prestigieuses et/ou fortement dotés en capital économique. Les sociologues ont de longue date (Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron en tête) démontré que le mérite servait plutôt de justification dans un système scolaire qui ne fait que reproduire les inégalités sociales.

En réponse certains établissements du supérieur ont tenté de s’extraire (mais encore difficilement) de la seule prise en compte des résultats scolaires par le concours écrit en introduisant de nouvelles épreuves, ou de nouveaux critères de jugements, qui tournent autour de la personnalité, de son engagement, bref de son « potentiel » et non plus seulement de son « mérite » scolaire entendu au sens de ses résultats au sens strict.

Mais le rétablissement d’une forme de méritocratie passe aussi par un investissement plus grand dans les filières universitaires –là où se trouvent la majorité des élèves de milieux populaires- en améliorant les conditions matérielles des élèves, les locaux, le nombre des bourses et leur montant mais aussi le nombre d’enseignants .

Paradoxalement, c’est donc en s’éloignant un peu d’une vision trop centrée sur les prépas (qui représentent encore une fois relativement peu d’élèves) que l’on pourrait éventuellement tenter de restaurer la méritocratie !

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !