Deux ans après, que reste-t-il du printemps arabe ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Que reste-t-il du printemps arabe ?
Que reste-t-il du printemps arabe ?
©Reuters

Bilan

Si les révolutions arabes ont fait souffler un vent de liberté sur la Tunisie, l'Egypte ou encore la Libye, les islamistes sont aujourd'hui, soit aux manettes de l'Etat, soit aux portes du pouvoir.

Abdelmalek Alaoui

Abdelmalek Alaoui

Abdelmalek Alaoui est directeur général du cabinet de communication d'influence Guepard Group.

Il est l'auteur du livre Intelligence Economique et guerres secrètes au Maroc (Editions Koutoubia, Paris).

 

Voir la bio »

Cela fait désormais deux années que le « printemps arabe » a connu son déclenchement en Tunisie suite à l’immolation de Mohamed Bouazizi, un  vendeur de légumes  de la localité de Sidi  Bouzid. Si les évènements qui ont suivi ont ouvert la voie à la chute de plusieurs dictateurs tel le président Ben Ali, le défunt guide de la révolution libyenne Mouammar Kadhafi, ou encore le « pharaon » égyptien  Hosni Moubarak,  le bilan démocratique des révolutions arabes reste quant à lui plus contrasté.

Et si ce vent de liberté avait substitué aux dictatures anciennes un obscurantisme nouveau ?

Cette question semble obséder au premier chef les démocrates tunisiens, ainsi que les nombreux observateurs maghrébins, réunis récemment à Alger, qui estiment désormais que « Le Printemps arabe est devenu un hiver islamiste ». En effet, ce constat s’impose, à Tunis comme au Caire en passant par Tripoli, les islamistes sont désormais, soit aux manettes de l’Etat, soit aux portes du pouvoir.

Cette redistribution des cartes affecte les sociétés maghrébines et arabes à tous les niveaux, du fait de la résurgence d’agendas politiques islamistes dans lequel il faut désormais inclure la possibilité d’un repli rigoriste, qui viendrait affecter les modèles de société de ces pays.

A l’exception de l’Algérie, dont le système verrouillé a su profiter de la manne pétrolière pour calmer la grogne sociale, et du Maroc, qui a engagé une transformation constitutionnelle débouchant sur un partage du pouvoir exécutif,  les autres pays de la façade méditerranéenne de l’Afrique sont tous aux prises  avec des islamistes plus ou moins déterminés à dérouler un agenda politique visant à l’instauration probable d’un Etat islamique.

Paradoxalement, la Tunisie, L’Egypte et la Lybie  sont les pays qui ont combattu avec le plus de détermination les islamistes du temps de la dictature, ce qui a probablement contribué à radicaliser encore plus ces mouvements et les a poussé à perfectionner leur structure de pouvoir. Ceci fait d’eux des adversaires politiques redoutables pour les démocrates, tant les islamistes ont acquis des savoir-faire précieux en termes de dissimulation, de discipline et de rigueur, autant de qualités précieuses en ces temps de crise.

Autre paradoxe, les situations d’instabilité que connaissent ces trois pays, puis l’arrivée des islamistes a contribué a sur-infecter la crise économique et sociale qu’ils connaissaient depuis plusieurs années, en faisant baisser leur attractivité en termes d’Investissements directs étranger (IDE),  en faisant chuter le nombre d’arrivées de touristes, puis en crispant l’entreprenariat et l’activité industrielle. C’est donc littéralement une « triple peine » économique que ces pays se voient infligés, alors même qu’ils ont un besoin crucial de relancer leur machine.

De plus, cette situation inquiétante a eu des répercussions géostratégiques globales dont il est aujourd’hui encore difficile de mesurer l’impact. S’il est à peu près établi que la crise libyenne a entraîné une hémorragie d’armes en direction du Sahel, contribuant ainsi à intensifier les conflits dans la zone, l’on ne connaît pas encore les effets à long terme de la nouvelle politique étrangère égyptienne au Moyen-Orient, ni les répercussions du rapport de force qu’entretient Ennahda avec le camp démocrate en Tunisie.

Or c’est bien au  niveau du modèle de société que souhaitent poursuivre les peuples de la région que se situent les véritables enjeux de la transformation politique du Maghreb deux ans après ce « printemps » de plus en plus amer.

En effet, comment critiquer ces révolutions sans pour autant sembler prôner l’immobilisme qui prévalait auparavant et les systèmes insupportables qui étaient portés par les dictateurs déchus ?

C’est là un dilemme auquel tous les démocrates sont confrontés, et qui nécessite aujourd’hui que l’on porte un regard lucide sur le vrai bilan du « printemps arabe ». Ainsi, la liberté de parole retrouvée de la rue arabe ne doit pas masquer le recul indiscutablement constaté  des droits des femmes et des minorités. La participation à la vie publique revitalisée ne doit pas, quant à elle, faire oublier le fait que les processus politiques en cours sont encore empreints de clientélisme et de corruption. Enfin, les discours cosmétiques empreints de nationalisme et de populisme ne doivent pas faire perdre de vue que des réformes douloureuses mais nécessaires doivent être mises en place pour faire redécoller les économies de ces pays.

Les pays qui ont connu la révolution ne pourront en effet sortir de l’ornière qu’au prix d’une double exigence. En premier lieu, une vigilance de tous les instants face aux dérives obscurantistes à travers des dispositifs juridiques nationaux qui garantissent les libertés et interdisent leur confiscation par un clan. Deuxièmement, une implication substantielle des dirigeants pour mener à bien les chantiers de fond que sont la lutte contre la corruption, la mise en place d’infrastructures, et l’instauration d’une démocratie réelle.

Reste qu’une question cruciale conditionne le succès d’une telle initiative : qui sera en mesure de prendre le leadership de ces actions, sachant qu’elles seront à la fois impopulaires et longues ? Là encore, le risque d’une dégradation encore plus forte de la situation de ces pays laisse planer peu d’espoir pour qu’une sortie de crise à l’ « italienne », avec la survenance d’un sauveur à la Mario Monti, puisse intervenir à court terme. Fortement empreintes de la culture du « Zaïm » (Leader en arabe), ces sociétés sauront-elles trouver les  hommes providentiels qui sauront allier popularité et rigueur ? Telle est la question que les observateurs du Maghreb se posent en ce moment. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !