Pourquoi est-il si difficile d’être homosexuel en banlieue ? <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
France
Plus facile d'être homosexuel à Paris qu'en banlieue ?
Plus facile d'être homosexuel à Paris qu'en banlieue ?
©Reuters

Société à deux vitesses

Une manifestation contre le mariage homosexuel a lieu ce dimanche. Dans son livre Homo-ghetto, l'actuel conseiller en communication du ministère de la Culture Franck Chaumont évoque "un décalage" entre les centres-villes et les cités sur la question homosexuelle.

Marie-Hélène  Bourcier

Marie-Hélène Bourcier

Marie-Hélène Bourcier est sociologue à l'Université de Lille 3. Elle a écrit Queer Zones 3 (Amsterdam, Paris, 2013) et Comprendre le féminisme (Paris, Milo, 2012).

Voir la bio »

Une manifestation contre le mariage homosexuel a lieu ce dimanche. Si certaines personnes assument leur homosexualité en manifestant, d'autres hésitent encore à révéler leur identité sexuelle. Dans son livre Homo-ghetto très médiatisé, l'actuel conseiller en communication et relations presse du ministère de la culture Franck Chaumont évoque une "société à deux vitesses", "un décalage entre les populations des centres-villes, et celle des cités sur la question homosexuelle". Est-il réellement plus difficile d'assumer son homosexualité dans les quartiers difficiles que dans les milieux aisés, ou les classes moyennes ?

Marie-Hélène Bourcier : La composition socio-professionnelle probable de la manifestation des anti-mariage de ce dimanche donne des éléments de réponse à cette question. Il y aura beaucoup de personnes issues des classes moyennes et aisées dans les défilés qui cultivent une forme d’homophobie bien particulière et qui n’hésitent pas à le rendre publique.

Elle consiste à penser que les gays et les lesbiennes menacent la cohésion de la nation, de la civilisation et de la famille et mettent en péril la différence sexuelle. Rien de moins. Je ne vois pas que l’on ait jamais eu une pareille mobilisation venant des quartiers.

La focalisation sur les quartiers est une forme de racisme républicain qui consiste à stigmatiser le « gars de banlieue », les Arabes qui déclineraient une masculinité forcément violente, sexiste et homophobe. Oui l’injure favorite en banlieue est « pédé » mais c’est aussi le cas à Barbès et ailleurs. Et l’on sait maintenant que c’est une production de la société française. Les immigrés de première et de deuxième génération ont sur- intégré le fait de décliner une masculinité au dessus de tout soupçons, c’est-à-dire hétérosexuelle, comme condition de leur intégration. Ils ont appris à bannir sur les chantiers toute forme ambiguë de manifestation amicale entre hommes. Et ils ont transmis cette forme d’hypercorrection à leurs enfants.


En focalisant le débat sur le "mariage pour tous", et la procréation médicalement assistée, occulte-t-on la problématique des discriminations dont peuvent être victimes les homosexuels dans certaines circonstances ? 

De fait, cet agenda en deux points est maigre et très peu soucieux de justice sociale et de redistribution économique. Les SDT LGT et il y en a, on ne les a pas vus passer. Certains disent que cet agenda sert des gays et des lesbiennes plutôt blancs et privilégiés économiquement.

Ce n’est pas faux et c’est ce que l’on observe dans tous les pays qui ont accordé le mariage et la filiation. Concernant les discriminations, il y aura toujours des gens pour continuer à les lister et à les aborder de manière uniquement juridique en disant qu’il faut voter des lois.

Pourtant dans ces domaines, les lois donnent très peu de résultats et réussissent par contre très bien à victimiser les gens. Ce qui passe à la trappe, c’est une manière affirmative et culturelle d’aborder le problème : il faut donner les moyens aux gens de construire leur subjectivité sexuelle minorisée de manière riche et positive, dans une perspective d’empowerment. C’est ainsi qu’ils seront armés contre les discriminations. Mais là les ressources ne sont pas à chercher dans l’égalitarisme républicain qu’ils s‘agisse d’identité sexuelle ou ethnique ou des deux à la fois. Elles sont dans les cultures LGBT elles-mêmes.


Les discriminations contre les homosexuels dans les quartiers difficiles se matérialisent-elles sous des formes différentes de celles qui ont lieu dans d'autres zones ? 

Sans doute. Mais ce serait bien de se poser la même question sur Neuilly-Auteuil-Passy. De ne pas se demander si les quartiers sont plus ou moins homophobes mais de s’interroger effectivement sur les différentes formes que prend l’homophobie selon les contextes et tant qu’à faire sur la structure du ghetto hétérosexuel. Et sur le rôle que joue singulièrement le parti socialiste en matière de politique sexuelle et racialisée en s’appuyant sur des associations qu’il crée de toutes pièces pour matraquer les banlieues depuis SOS Racisme en les obligeant à diffuser un modèle caduc et foncièrement injuste : celui de l’intégration républicaine. 

Voyez ce qui s’est passé avec Ni Putes Ni Soumises : on attend l’équivalent pour les gays. Cette idée que les banlieues sont plus homophobes fait son chemin chez les gays. Elle débouche sur des formes de racisme décomplexé et on voit bien quel est le bénéfice : penser que les gays blancs sont plus civilisés sexuellement et surtout qu’il n’y a qu’un modèle d’identité homosexuelle, le bon, le nôtre, le Marais.

Ce qui est faux bien sûr mais les gays et les lesbiennes eux-même contribué à cet appauvrissement. Il est d’ailleurs à craindre qu’une fois les revendications du mariage et de la filiation satisfaites, ce qui restera du militantisme gay consistera à défendre ou plutôt à répandre sans grand discernement le modèle gay occidental au niveau international sous prétexte de lutter contre l’homophobie au singulier. On voit déjà les prémisses de cette forme d’impérialisme sexuel.

Le "mariage pour tous" répond-il vraiment à une demande des homosexuels victimes de discrimination ? 

Pour ceux qui mettent en équivalence mariage et filiation et égalité des droits, sans doute. Mais il est patent que cette équivalence est abusive, qu’elle ne prend pas en compte d’autres formes de discrimination caractéristiques comme celles économiques et liés au racisme et à l’identité de genre qui est loin de ne concerner que les trans. Mais surtout elle alimente la démocratie des droits dans son dysfonctionnement structurel qui est de ne pas inclure et d’exclure depuis qu’elle existe.

Vous avez évoqué un "effet de loupe" sur la situation des homosexuels en banlieue. Notre vision est-elle erronée par les déclarations politiques, ou les médias ? Peut-on dire que les discriminations dont sont victimes les gays et lesbiennes sont encore courantes ?  

C’est plus qu’un effet de loupe : c’est une forme de déni de l’homophobie et du racisme institutionnel français. 

Propos recueillis par Ann-Laure Bourgeois

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !