Progressistes, libéraux, conservateurs... : la France des villes et la France des champs peuvent-elles encore vivre ensemble ? <!-- --> | Atlantico.fr
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"France des villes" et "France des champs" peuvent-elles vivre ensemble ?
"France des villes" et "France des champs" peuvent-elles vivre ensemble ?
©Reuters

Fractures françaises

L'élection présidentielle a révélé un clivage croissant entre les territoires périurbains portés à droite, voire à l'extrême droite, et la France des centres-villes plus à gauche. Un clivage qui s'observe aussi sur les questions de société comme le mariage pour tous.

Christophe Guilluy, Guillaume Peltier et François Kalfon

Christophe Guilluy, Guillaume Peltier et François Kalfon

Christophe Guilluy est géographe.

Chercheur auprès de collectivités locales et d’organismes publics, il est également le coauteur, avec Christophe Noyé, de L’Atlas des nouvelles fractures sociales en France (Autrement, 2004).

Il a publié plus récemment Fractures françaises (Bourin, 2010).

Guillaume Peltier est Secrétaire National de l'UMP chargé des études d'opinion.

François Kalfon Secrétaire National du PS en charge des études d’opinion.

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Atlantico : Lors de l'élection présidentielle, on a constaté une opposition marquée entre la France des centres-villes etla France des campagnes. Dans les cœurs de grandes villes, au centre des Communautés urbaines, et même en proche banlieue, le vote Le Pen est contenu, tandis qu'il progresse dans les franges périurbaines. Y a-t-il deux France ? De quelles données dispose-t-on pour étayer cette idée ?

Christophe Guilluy :La nouvelle géographie sociale se structure autour de deux grandes oppositions socio-culturelles : la « France métropolitaine » (environ 40 % de la population) , celle des grandes métropoles et la « France périphérique » (environ 60 % de la population), celle des territoires périurbains, ruraux, des petites villes et des villes moyennes.

 La question n’est pas seulement celle des franges périurbaines. J’ai justement fait émerger le concept de « France périphérique » pour distinguer ces territoires des seuls espaces périurbains. Il existe un « périurbain » aisé et intégré aux grandes villes, et des espaces périurbains intégrés à « la France périphérique ».

Cette géographie permet de distinguer les territoires en fonction de leur fragilité sociale (revenus, emplois, logement, CSP). Il apparaît alors que la « France périphérique », qui accueille désormais la majorité des nouvelles classes populaires, est aussi celle des « fragilités sociales ».

Le concept de « France périphérique » permet de souligner qu’il existe un continuum socio-culturel entre certaines franges périurbaines de grandes villes, des espaces ruraux, les petites villes et les villes moyennes. Sur ces territoires « à l’écart des métropoles » se recomposent de nouvelles classes populaires (ouvriers, employés, petits paysans, jeunes et retraités de ces catégories) sur les ruines de la classe moyenne. C’est dans cette France majoritaire (et périphérique) qu’émerge la plus vive critique des choix économiques et culturels des classes dominantes depuis 30 ans.

À l’inverse, la France métropolitaine qui concentre l’essentiel des CSP + et des populations issues de l’immigration, bénéficie de la recomposition économique des territoires et de plus en plus des bienfaits de la mondialisation. Aujourd’hui, les grandes métropoles produisent l’essentiel du PIB.


Guillaume Peltier : Sur le plan sociologique et électoral, il y a toujours eu "plusieurs France" : la France de l'Ouest , modérée, et la France de l'Est plus droitière. La nouveauté de ces dernières années, et qui a trouvé se quintessence lors de la présidentielle 2012, c'est la dichotomie entre la France urbaine des centres-villes et la France périurbaine et rurale pour des raisons sociologiques et pas seulement électorales.

La France des centres-villes est marquée par une sur-représentation de la fonction publique, des cadres supérieurs et des jeunes étudiants. A l'inverse de la France des villes, la France périurbaine et rurale est une France des plus de soixante ans, des classes moyennes et du salariat du privé. Cette France considère qu'elle est de plus en plus dépossédé par la mondialisation et de moins en moins aidé par l'Etat. 


François Kalfon : Les intentions de vote et les positions politiques des Français demeurent marquées par le traditionnel clivage droite-gauche, qui continue de structurer la vie politique et sociale française sur de nombreuses questions. Mais, il est vrai, depuis le traité de Maastricht notamment, et plus récemment depuis le débat sur le traité constitutionnel européen, on constate bien un clivage vertical, à coté du clivage horizontal droite-gauche, qui se structure dans la société française. On pourrait le qualifier de clivage entre les élites et le peuple.

Il oppose les habitants des métropoles, souvent assez diplômés, les intellectuels, les acteurs de l’économie créative…  qui composent en quelque sorte les gagnants de la mondialisation, aux personnes qui vivent dans les secteurs périurbains, situés entre 20 et 150 kilomètres des grandes métropoles ou encore dans les villes moyennes et qui subissent de plein fouet la désindustrialisation et la fermeture des structures publiques de proximité telles que les maternités, les tribunaux, les hôpitaux, etc. On y trouve aussi tout le salariat d'exécution très présent dans l'industrie et très impactés par les délocalisations. Tous ces gens se sentent floués par la mondialisation. A mesure que la crise s'agave, la file des personnes qui se sentent perdantes de la mondialisation a tendance à s'allonger. Les classes moyennes traditionnelles en particulier voient progressivement l’avenir se boucher pour leurs enfants. Ils sont rattrapés par une certaine précarité économique, et ont tendance à s'inscrire plus facilement dans ce clivage vertical.


Comment expliquez-vous ce clivage géographique que la présidentielle a rendu particulièrement visible ?

Guillaume Peltier : Ce clivage s'explique avant tout par la crise. La France des employés et des ouvriers qui travaillent a de plus en plus de mal à se loger dans les centres-villes. C'est la fameuse France des classes moyennes trop riches pour avoir accès aux logements sociaux et trop pauvres pour rester sur le long terme dans les centres-villes. Les classes moyennes sont ainsi reléguées en banlieue, puis en grande banlieue, puis à la campagne. Le ressort principal de ce clivage qui se creuse est donc la baisse du pouvoir d'achat. Ensuite se greffent sur cette question  la problématique du cadre de vie, la volonté de trouver la tranquillité et d'échapper à la délinquance. Mais se posent alors d'autres problèmes qui expliquent le comportement électoral : le sentiment d'être abandonné et oublié, la question des transports et des services publics... 


François Kalfon : Il existe des territoires gagnants et des territoires perdants de la mondialisation, et cette différence de conditions matérielles d'existence explique aussi la différence de positionnement politique. Il existe aussi une sorte de territorialisation, de spatialisation des classes sociales et des groupes qui s'organisent sur des bases communautaires au sens large. La mondialisation a tendance à atomiser le corps social et le pacte social traditionnel que constitue la République.

Cela est lié à la ségrégation face au logement. Les centres urbains, pour des raisons culturelles et financières, sont vraiment l'espace des cadres supérieurs intellectualisés. Or on constate que les "bobos", les nouvelles classes dirigeantes ont tendance à réinvestir les centres-villes. Dans une ville comme Bordeaux, la réfection du centre-ville par Alain Juppé a vu revenir au centre de la ville et des appartements de l’époque classiques jusque la abandonnés, un public d'universitaires, de catégories socioprofessionnelles supérieures. Au contraire, sous le mandat de Jacques Chaban-Delmas, les classes bourgeoises délaissaient le centre-ville. Cet exemple bordelais peut être décliné dans beaucoup d'autres grandes villes.

Sous l'impulsion des grands maires, souvent socialistes, il y a eu un réinvestissement des centres-villes, avec des tramways, de la voierie extrêmement qualitative, faisant des centres-villes les espaces de regroupement des plus favorisés. Dans la première couronne des grandes villes, il y a beaucoup de quartiers dits "verticaux" composés de grands ensembles dans lesquels se regroupent les populations discriminées notamment d'origine étrangère. Avec la crise, des effets de dérochage social ont eu tendance à ghettoïser ces quartiers. Les classes moyennes qui travaillent ont alors préféré se regrouper dans la seconde couronne des agglomérations. Pourtant il y a une trentaine d'années, l'ensemble des classes moyennes et les cadres supérieurs aspiraient davantage à un modèle à l'américaine, avec un pavillon avec jardin. Or, le rattrapage des classes moyennes par la crise crée une sorte de frustration dans les secteurs périurbains, et dans ce que Christophe Guilluy appelle plus largement la "France périphérique" : celle qui est trop riche pour vivre des revenus d'assistance et des dispositifs d'aide sociale, mais pas assez gagnante pour s'en sortir symboliquement et matériellement dans la mondialisation.

A la lecture par classes sociales, il faut ajouter une spécialisation territoriale des votes. Une étude de l'Ifop le montre très bien : entre 0 et 30 kilomètres d'éloignement par rapport aux grandes métropoles, les électeurs de François Hollande sont particulièrement surreprésentés, et ceux de Marine Le Pen sous-représentés. Au contraire, entre 20 à 30 km et 120 km, Marine Le Pen « surperforme » et François Hollande « sous-performe ». Au-delà, il y a la province traditionnelle, la ruralité réelle est finalement moins impactée par les révolutions industrielles et subit en conséquence moins de plein fouet les effets de la désindustrialisation. Il faut cependant modérer ce constat sur zones rurales, puisque l'on constate, dans les petites villes de l'Ouest notamment ou dans le Médoc par exemple, une montée d'un « Front national des champs », en raison d'une pauvreté rurale cachée et à cause de l'impact de la crise laitière et de la crise agricole.

Observe-t-on le même clivage concernant la question du mariage homosexuel?

Christophe Guilluy :Je n’en sais rien, nous ne disposons d’aucun sondage territorialisé. Par ailleurs , il ne me semble pas que Frigide Barjot soit exactement une représentante de la « France périphériqe » et populaire ? C’est au contraire la quintessence de la boboïtude parisienne ! Par ailleurs, la question sous-entend que la France populaire serait forcément homophobe, et les couches éclairées de la population évidemment gay friendly. Ce qui est évidemment faux.

En revanche, il y a en milieu populaire, un attachement à la famille, mais aussi un ré-investissement sur le territoire, l’habitat, la maison individuelle qui apparaissent comme des éléments concrets de protection face à une société mondialisée de plus en plus ouverte, individualiste et à un Etat-providence de moins en moins crédible.

Guillaume Peltier : Le clivage se recoupe sur de nombreuses questions. Si on fait une photographie rapide du vote de l'élection présidentielle, on constate une sur-représentation classique mais qui s'amplifie avec la politique de logement social des municipalités socialistes du vote PS, écologiste et Front de gauche dans les villes et les centres-villes. A l'inverse, dans le monde périurbain et rural, on constate une sur-représentation des catégories populaires qui ont voté majoritairement Marine Le Pen et des classes moyennes qui ont voté majoritairement Nicolas Sarkozy. En 2007, François Bayrou avait dû une partie de son succès à une capacité à mordre sur ce double électorat : il incarnait à la fois une certaine ruralité et en même temps son positionnement politique s'adressait aussi à certains bobos des centres-villes. 

Sur la question du mariage homosexuel, on a peu de données. On parle davantage du clivage droite/gauche, du clivage d'âge ou même du clivage par genre : par exemple, les hommes sont plus opposés au mariage homosexuel que les femmes. On s’aperçoit néanmoins qu'il y a un clivage net entre la France périurbaine et rurale qui est majoritairement opposée au mariage homosexuel, à l'adoption et à la PMA et les centres-villes qui y sont davantage favorables. On pourrait étendre cette dichotomie à la question européenne, au rapport à la mondialisation, à la perception de l'immigration, au rapport aux services publics et à la dette. 

François Kalfon : Ce clivage se retrouve très imparfaitement sur la question du mariage homosexuel. Selon un très récent sondage Ifop, on constate une forte robustesse du soutien des Français au mariage pour tous. En octobre, on était à 61% d'opinions favorables, on est aujourd'hui encore à 61%, c'est-à-dire au niveau de 2002, avec un léger tassement. Depuis mai 2004, les opinions favorables sont restées entre 61 et 64%.

Les sympathisants de gauche sont de façon constante favorables au mariage homosexuel, et parmi les deux droites, c'est au Front national que l'on trouve le plus de personnes favorables au mariage homosexuel, avec 44% de pros après un pic à 54%. Le niveau de 44% doit correspondre au niveau moyen. Il a dix points au-dessus que celui des sympathisants UMP. Cela s'explique simplement par le fait que le FN est composé en grande partie d'ouvriers et d'employés, qui sont pour le mariage pour tous à 65 et 67%, bien plus que la moyenne des Français. Pourtant, une approche caricaturale aurait pu postuler que l'indice d'adhésion au mariage pour tous suit le niveau de diplôme ou de CSP. Mais il n'en est rien : les deux critères d'adhésion sont celui de l'âge et celui du rapport à la religion. Les 65 ans et plus sont à 46% seulement d'adhésion au mariage pour tous, contre 73% pour les moins de 35 ans, et jusqu'à 90% pour les 18-24 ans.

Or, l'électorat UMP est marqué par la domination des seniors. Les seniors y sont opposés c’est pourquoi l’UMP apparaît comme le parti le plus hostile à ces réformes. L'autre déterminant est celui du rapport que l'on entretient à la religion. Plus vous êtes pratiquant, catholique, juif ou musulman, plus vous refusez le mariage pour tous et l'adoption, plus vous êtes « sécularisé », et moins vous avez d'influence de la vie religieuse dans votre quotidien, plus vous êtes d'accord avec le mariage homosexuel.

Sur les questions plus dures de l'adoption et de la PMA, on retrouve là de nouveau des différences territoriales : la région parisienne est un peu plus favorable à l'adoption ou la PMA que la province. Sur la question de la filiation, on retrouve une différence entre citoyens des métropoles et citoyens des champs, différence qui était peu marquée sur le mariage et plus accentuée dès qu’on parle « filiation ». On constate 44% d'adhésion à l'adoption dans les communes rurales, 47% dans les communes urbaines de province, 49% en région parisienne et jusqu’à 51% dans le cœur de l'agglomération parisienne ! Même si l’amplitude des écarts est bien moins forte que sur d’autres sujets comme l’immigration.

Géographiquement, la seule différence nette concerne le quart sud-est assez opposé à l'adoption avec seulement 43% de pros, et cette région classée à UMP, et vieillissante, très marquée par la droite. En revanche, le quart sud-ouest, marqué à gauche, est favorable à 51% à l'adoption.

Le 17 décembre, une quinzaine d'élus PS on publié une tribune appelant le gouvernement à remettre "l'agenda économique et social au cœur des priorités". Les questions de société, comme celle du mariage homosexuel ou du droit de vote des étrangers accentuent-elles les divisions ?

Christophe Guilluy :Sur le fond ces élus ont raison…même si , après la signature de la règle d’or, on savait que "l’ennemi n’était plus la finance " et qu’il allait être difficile de faire sérieusement du "social".

Par ailleurs, le "sociétal" ne vise pas seulement à masquer l'absence de "social". La question du droit de vote des étrangers est une question sociétale majeure pour les classes populaires, celle de l’émergence d’une société multiculturelle aussi.

La question des repères, des frontières est une question fondamentale et ce d’autant plus que l’on est fragile socialement. La question du droit de vote des étrangers, et donc de l’immigration est une question anxiogène : faire comme si cela allait de soit est une erreur.

Guillaume Peltier : Sur la question du droit de vote des étrangers, les divisions sont moins marquées. Cette option est fortement rejetées dans la France rurale et périurbaine. Mais dans le même temps, une partie significative de la population urbaine y est également hostile. La division est certaine mais sans doute moins tranchée que sur la question du mariage homosexuel. Sur les questions sociétales liées à la famille et à l'éthique, il y a une vraie césure.

François Kalfon : Je suis l’un des signataires avec d’autres de cette tribune. Il s'agissait de demander de traiter la question du pouvoir d'achat à travers la mise en œuvre de la réforme fiscale redistributive. Nous estimions en effet que la lutte contre le chômage d'un coté et les questions de société de l'autre ne sont pas suffisantes pour répondre à l’urgence sociale. Selon un sondage Harris Interactive pour RTL effectué début janvier, le chômage est la première préoccupation des Français à 85% et le pouvoir d'achat arrive en deuxième position à 69%, et ces deux préoccupations ne cessent de prendre de l'ampleur… Quand le droit de vote des étrangers ne préoccupe que 3% des Français et le mariage pour tous 9% des Français. On voit bien la distorsion entre le bruit médiatique du mariage pour tous, et la hiérarchisation dans l'esprit des Français qui est très différente.

Nous voulions revenir aux fondamentaux de ce qui préoccupe les Français, ce sur quoi nous serons jugés. A ce moment là, certains au Parti socialiste ont eu tendance à mettre en avant les questions de société comme les marqueurs de gauche afin de rassurer notre électorat, car les résultats en matière économique et sociale sont plus longs à venir. Mais nous voulions dire que ce n'était pas nécessairement une bonne idée, car cela peut donner l'impression que l'on délaisse les urgences massives et écrasantes.

Le « paquet compétitivité », les vœux du président de la République déterminant comme urgence numéro 1 la question de l'emploi, et l'accord qui vient d'être signé sur la sécurisation de l'emploi, démontrent que la hiérarchisation que nous réclamions est désormais en œuvre. François Hollande candidat affirmait vouloir rassembler les Français là où Nicolas Sarkozy divisait. Je souhaite que nous continuions à le faire en traitant aussi la question du pouvoir d’achat.

Du point de vue de la fiscalité cela signifie qu’il faut que l’impôt soit compris par tous et que tout le monde y adhère. Cela passera par une meilleure lisibilité de l’impôt. S’il est normal que les riches paient plus d’impôts, il ne faut pas diviser les Français entre eux. De la même manière, je pense que nous pouvons jeter les bases d’un consensus sur la question du mariage pour tous, le gouvernement ayant décidé d’exclure la PMA du projet de loi et de le reporter au prochain texte. En effet, un sondage BVA i-télé du 11 janvier a révélé qu’environ 7 Français sur 10 approuvent cette décision. A la question : « Faut-il un débat préalable à la question de la PMA ? », 69% des Français approuvent la mise en place d’un débat préalable. Ce qui correspond au souhait du gouvernement.

La situation de la France est-elle comparable à "la guerre culturelle" qui ravage les Etats-Unis ? "Les bobos", éduqué et plutôt riches, y sont pour le libéralisme social et culturel et votent massivement pour la gauche (les démocrates) tandis que "les petits blancs", hostiles aux "droits des minorités" sont plutôt pauvres et votent massivement à droite, (républicain)…. 

Christophe Guilluy : Il y a de fait une géographie sociale qui influence le vote. Les grandes métropoles mondialisées, qui concentrent les flux migratoires, votent plutôt à gauche et pour la société ouverte ; la France périphérique vote plus volontiers à droite e/ou à l’extrême droite. Ce constat fait conclure un peu rapidement à une « droitisation » de l’électorat. En réalité, c’est le rapport aux minorités, à l’immigration qui détermine le vote des catégories populaires d’origine française et d’immigration ancienne. C’est une demande de protection qui s’exprime ici face à la mondialisation et à son corollaire l’immigration.

L'instrumentalisation politique du droit de vote des étrangers est d’autant plus dangereuse que l’idée que les bienfaits de l’Etat-providence sont en partie capté par les populations immigrés se diffuse rapidement. En décembre 2012, selon un sondage du Ifop, 8 français sur 10 estiment qu ‘il y  a trop d’assistanat, et que l’Etat verse trop de prestations ! un résultat paradoxal à un moment où une majorité des classes populaires se fragilise.

Ce sentiment est d’autant plus fort qu’aujourd’hui les métropoles qui produisent l’essentiel des richesses concentrent aussi l’essentiel de l’ingénierie sociale.

Guillaume Peltier :Le système français et la sociologie française ne ressemblent pas au système américain. Je ne crois pas à une superposition de photographie qu'on puisse faire de manière aussi facile.

 Aux Etats-Unis, l'évolution que vous décrivez est très juste. Il y a une toute autre explication en France qui est née pour la première fois en 1992 à l'occasion du traité de Maastricht et qui s'est poursuivie en 2005 avec le vote sur le traité constitutionnel et en 2012 avec l'opposition François Hollande/ Nicolas Sarkozy. Il y a d'un côté un monde urbain qui considère que la construction européenne, la mondialisation et l'immigration ne sont pas un handicap au destin commun des Français. A l'inverse, la France périurbaine à l'impression que beaucoup de choses  lui échappe et se sent dépossédée de la maîtrise de son destin.

François Kalfon : Je ne sais pas si du point de vue territorial il est possible d’effectuer une comparaison mais il est possible d’effectuer un parallèle sur le rôle de la gauche et sur le rôle de la droite en France et aux Etats-Unis. Il existe en effet, des similitudes entre la situation américaine et la situation française, y compris dans le comportement de la droite. Cette dernière a tendance à ethniciser son discours et à jouer sur les clivages entre les nationaux et les populations d’origines étrangères. Cela a été le cas aux Etats-Unis également. Lors de la dernière élection présidentielle, la Floride, qui était plutôt une terre républicaine parce qu’influencée par les Cubains anti-castristes a basculé assez nettement du côté démocrate à force d‘entendre un discours républicain (assez proche de celui de l’UMP) de stigmatisation des étrangers. Les latinos de Floride sont généralement partagés entre leur anti-castrisme d’un côté, et leurs origines étrangères de l’autre. L’élément déterminant de leur vote aura finalement été la reconnaissance par le parti démocrate du multiculturalisme.

Les classes moyennes et populaires, fragilisées par la mondialisation, qui subissent des insécurités objectives et perçoivent finalement une perte de substance, ont tendance à se raidir. Certains à gauche pensent qu’il faut donc les abandonner à leur triste sort ce qui les conduit tout droit dans les bras du FN. En revanche, nous, la gauche populaire, ne partageons pas cette analyse. Nous estimons que ces sujets doivent être pris au sérieux parce que nous pensons que la demande de repères, « d’ordre juste » pour reprendre la formule de Ségolène Royale, ne doit pas être interprétée comme un glissement à droite. Face à l’individualisme et au repli sur soi qu’induit la société libérale, la demande de repères, de cadre républicain, de valeurs, de droits et de devoirs, est plutôt interprétable comme une demande de cadre collectif. Or cette demande de réponses collective au libéralisme qui isole, n’est-ce pas aussi une des valeurs de la gauche ?

L'opposition entre "France des villes" et "France des champs" est-elle irrémédiable ? Ces "Deux France" peuvent-elles se réconcilier et vivre ensemble ?

Christophe Guilluy : La double dynamique de « gentrification » et d’immigration des grandes métropoles et le processus de fragilisation sociale de la « France périphérique » participe à l’affaiblissement de la cohésion nationale. La période de ralentissement économique, de récession et de restriction budgétaire va creuser au contraire cette fracture car si la « France métropolitaine »  et ses habitants sont parfaitement adaptés aux exigences de l’économie mondialisée, ce n’est pas le cas de la « France périphérique » dont les besoins de protection seront de de moins en moins pris en charge par un état-providence lui aussi fragilisée.

Guillaume Peltier : On ne prend malheureusement pas le chemin de la réconciliation aujourd'hui. Cela dépendra de la capacité d'un homme d'Etat à incarner l'unité nationale et à proposer une perspective commune à ces "deux France". Elles ont, malgré tout, de nombreux points communs : un certain attachement à la nation notamment. En 2007, Nicolas Sarkozy était parvenu à s'adresser à ces "deux France" en incarnant  à la fois l'ordre et le mouvement. Pour réconcilier ces "deux France", il faudra un homme d'Etat qui a le charisme, l'énergie de présenter  à la fois des solutions différenciées et un destin commun pour ces "deux France". 

François Kalfon : Lorsque vous parlez de la France des villes et de la France des champs, vous omettez une partie de la population : la France périphérique ou la France péri-urbaine. Lorsque l’on parle de France périphérique, on fait référence aux zones de relégation de l’est désindustrialisé, on estime également qu’il existe une diagonale de la Normandie au sud-est, ainsi qu’une façade ouest plus ouverte. La France des villes et la France des champs est un raccourcis erroné.

Je ne souhaite pas que cette opposition soit irrémédiable et cela passe par des politiques actives. Je suis président de la Commission des transports à la Région Ile-de-France et cela signifie par exemple qu’il faut résoudre la question des RER par exemple – ce que nous nous attachons à faire, il faut faire en sorte d’atténuer la relégation territoriale en investissant pas exemple dans les transports. La péréquation des moyens présente également une solution à la relégation territoriale. En clair, cela signifie que les communes riches aident les communes pauvres. On peut, par la politique, réparer ces fractures. En revanche, si l’on ne pose pas cette question de l’inégalité des territoires comme un problème politique et que l’on laisse faire les marchés, alors cette fracture va s’accentuer et devenir inévitable.

Par ailleurs, les fonds structurels européens ne prennent pas en compte le rattrapage territorial actualisé de certains territoires, il faudrait une nouvelle définition des territoires européens bénéficiant des fonds européens. Nous disposons de toute une gamme d’outils pour lutter contre le décrochage de certains territoires. Le rôle de la politique ce n’est pas d’accompagner l’évolution en cours en la considérant inéluctable. Il faut modifier les déséquilibres qui se créent. Le fait que le marché soit efficace pour créer de la richesse est relativement établi, mais c’est le rôle de la politique d’assurer la redistribution ce dont le marché est rigoureusement incapable.

Propos recueillis par Julie Mangematin et Alexandre Devecchio

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