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L’Etat a-t-il été victime d’une arnaque dans le changement de capital du dernier groupe minier français ? La Justice demande (enfin ?) une enquête sur "l’affaire Eramet"
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EXCLU ATLANTICO

A la veille d’une audience cruciale devant la Cour d’Appel de Paris, Atlantico a eu accès à l’avis du Ministère Public qui, pour la première fois, estime nécessaire une enquête pour vérifier les conditions de la prise de contrôle du dernier groupe minier français par la très discrète famille Duval… Et si l’Etat n’a pas été, à cette occasion, spolié de plusieurs centaines de millions d’euros.

Pierre Guyot

Pierre Guyot

Pierre Guyot est journaliste, producteur et réalisateur de documentaires. Il est l’un des fondateurs et actionnaires d’Atlantico.

 

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Une famille aussi riche que discrète, de profitables sites d’exploitation minière à travers le monde, un homme d’affaires ancien champion de bridge, des soupçons de fraude et de conflits d’intérêts. Ajoutez, pour la partie civile, un tout nouvel avocat proche de François Hollande : voilà les ingrédients de l’affaire Eramet.

Dans les années 90, Eramet est déjà un dossier politiquement sensible. L’unique groupe minier français exploite des gisements de manganèse au Gabon, mais aussi des mines de nickel en Nouvelle-Calédonie, au moment même où va être négocié le deuxième volet des accords de Matignon. Pour tenter d’apaiser les indépendantistes kanaks, le Premier ministre de l’époque, Alain Juppé, retire à Eramet, sans contrepartie, les droits miniers dans l’archipel calédonien. En 1997, la stratégie de l’Etat change du tout au tout. La gauche arrive au pouvoir et, avec elle, Dominique Strauss-Kahn à Bercy. Le tout nouveau ministre des Finances rend aussitôt à Eramet le droit de travailler en Nouvelle Calédonie et indemnise le groupe, à hauteur d’un milliard de francs.

C’est dans ce contexte chahuté qu’en 1999, les Duval, discrète mais richissime famille d’industriels auvergnats, négocient un rapprochement avec le groupe minier. Les actifs de la famille Duval ne sont pas au beau fixe, plombés par les dettes d’une filiale canadienne qu’ils ont achetée un an auparavant, la Special Metals Corporation, mais les industriels auvergnats décrochent tout de même une parité d’échange entre les actions de leur entreprise, la Société Industrielle de Métallurgie Avancée (SIMA) et Eramet. Mieux encore : à travers un pacte d’actionnaires conclu avec la Cogema qui détient les parts de l’Etat français dans Eramet, les Duval obtiennent la direction du groupe minier.

Dans les années qui suivent, la Cogema (rebaptisée en cours de route Areva) affichera toujours une grande indifférence quant à la destinée d’Eramet. Anne Lauvergeon, la présidente d’Areva, justifie à l’époque ce manque d’initiative de son groupe dans la vie d’Eramet en expliquant que les 26% du capital que détient son entreprise dans Eramet constituent un niveau de participation qui ne lui convient pas. « C’est trop ou trop peu », affirme-t-elle à chaque fois qu’elle est interrogée sur ce désintérêt du groupe public. Une autre explication circule. Le numéro deux d’Areva d’alors, Gérald Arbola, est mariée à une Duval.Les opposants aux nouveaux dirigeants d’Eramet laissent entendre que l’esprit de famille l’aurait emporté sur celui d’entreprise… (L’Etat finira, en mars 2012, par racheter à Areva  ses parts dans le groupe Eramet, via le Fonds Stratégique d’Investissement (FSI), pour un montant de 776 millions d’euros)

En 2008, L’hebdomadaire Le Point révèle la façon dont les Duval auraient frauduleusement  gonflé la valeur de leur entreprise SIMA au moment d’entrer au capital d’Eramet. La nouvelle est un choc pour l’autre grand protagoniste de cette affaire, Romain Zaleski, actionnaire à hauteur de 13% de la nouvelle entité Eramet.

Côté moyens financiers, cet homme d’affaire franco-polonais âgé de soixante-dix-huit ans n’a pas grand-chose à envier aux Duval. Romain Zaleski a réalisé plus de 400 millions d’euros de plus-value lors de la vente de ses actions Arcelor à Mittal en 2006 et possède encore aujourd’hui, outre 13% d’Eramet, 10% de l’électricien italien EDISON. C’est côté informations qu’il est un peu distancé. Romain Zaleski affirme en effet que c’est dans Le Point qu’il a appris avoir été spolié par la famille Duval. Il engage une action judiciaire en 2009, soit dix ans après les faits !

En décembre 2011, le Tribunal de Commerce juge les demandes de Romain Zaleski irrecevables, estimant que tous les protagonistes du dossier avaient été correctement informés lors de l’opération de rapprochement et que les faits tombaient de toute façon sous le coup de la prescription.

Mais Romain Zaleski n’est pas du genre à facilement abandonner. En ancien champion de bridge qu’il est, Zaleski sait attendre la bonne main.

Le mardi 15 janvier prochain, la Cour d’Appel de Paris tiendra audience pour se prononcer à son tour, mais avec un élément nouveau susceptible de changer la donne. Atlantico a en effet eu accès à l’avis du Ministère Public qui sera soumis aux magistrats. Le Parquet y explique que la valorisation de l’entreprise des Duval en 1999 « reposait sur des éléments déterminant non conformes à ce qu’indiquaient les documents remis aux actionnaires » et que le principe de prescription ne doit donc pas s’appliquer. Le Parquet décide également d’aller à l’encontre de la décision de première instance favorable aux Duval et « estime opportun la désignation d’un collège d’experts chargés de déterminer le préjudice subi par ERAMET».

Pour l’Etat français, donc le contribuable, le préjudice s’élèverait entre deux et trois cent millions d’euros, selon les avocats de Romain Zaleski, parmi lesquels il faut chercher le nouvel atout de l’homme d’affaires. Pour défendre ses intérêts en appel, Romain Zaleski a en effet choisi Jean-Pierre Mignard. Cet avocat, ancien Président de l’association Désirs d’Avenirs de Ségolène Royal et lui aussi candidat malheureux aux dernières législatives à Marseille est également un proche de François Hollande qu’il a accompagné lors de son dernier déplacement officiel en Algérie par exemple. Jean-Pierre Mignard devrait être aussi capable de faire valoir les intérêts de son client - et peut-être, par la même occasion, ceux de l’Etat - dans les arcanes du nouveau pouvoir en place que devant les prétoires.

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