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L'empathie, cette incroyable compétence en matière de management
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Bonnes feuilles

Etre empathique suppose de savoir se mettre à la place de l'autre. Norbert Alter explique pourquoi il s'agit d'une qualité essentielle en matière de management. Extrait de "La force de la différence : Itinéraires de patrons atypiques" (2/2).

Norbert  Alter

Norbert Alter

Norbert Alter est docteur en sociologie et professeur à l'université Paris-Dauphine. 

Il a passé treize années à France Telecom, d'abord comme cadre administratif puis comme sociologue.

Il est également Co-directeur du master "Management, travail et développement social" à l'université Paris-Dauphine. 

Spécialiste du monde du travail, il est l'auteur de nombreux livres, dont Donner et prendre : la coopération en entreprise (La Découverte, 2010).

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Être empathique suppose de savoir se mettre à la place de l'autre, et il est infiniment plus aisé d'opérer ce type de mouvement lorsqu'on ne dispose pas d'une place sociale attitrée que lorsque celle-ci se trouve attribuée et acceptée comme une sorte d'état de nature. Il est infiniment plus aisé de se dévoiler lorsque l'autre représente ce voyageur, celui qui n'est pas vraiment de notre monde mais que l'on croise, dans un train, à l'épicerie ou dans toutes sortes de configurations professionnelles.

Pour toutes ces raisons, même si les patrons atypiques ne sont pas systématiquement plus sympathiques que les autres, ils sont, à coup sûr, plus empathiques et ils mobilisent les personnes, plus que les personnages, parce qu'ils se moquent plus largement que les autres des rôles convenus. Cette disposition représente une véritable compétence en matière de management, parce qu'elle permet de soustraire la capacité d'action aux registres formalistes des savoirs gestionnaires. Il en va ainsi pour ce chef d'entreprise autodidacte, qui s'embarrasse assez peu de techniques dites scientifiques en matière de recrutement, et qui s'intéresse assez peu à des curricula vitae parfaits. Il laisse largement de côté le passé du candidat mais cherche, derrière le salarié potentiel, la personne, celle qui fonde son engagement, et à laquelle il peut donner sa chance. Cette démarche va jusqu’a accepter des profils formellement de « mauvaise qualité »:

« Pourquoi je ne tendrais pas la main à ceux qui ont envie de travailler? La priorité c’est la motivation et le travail. Par contre on est très sélectif en amont, on regarde la personnalité de l’individu, et je ne recrute que comme ça, y compris en interne. Son cursus et ses compétences acquises à un moment donné, je m’en fous. Moi ce qui m’intéresse c’est la personnalité (…).

Cette même compétence sociale peut amener à faire respecter sa différence en déplaçant une interaction fondée sur des stéréotypes à une interaction fondée sur une expérience réciproque. Elle consiste à faire passer l'autre d'une positon de rôle à une positon de sujet, de personnage à personne. Ce face à face suppose à la fois de comprendre ce que l’autre peut accepter, du point de vue du dévoilement, mais également de prendre le risque de baisser la garde (celle du rôle) le premier. Dans ce type de relation, le différent mobilise ainsi une sorte de qualité pédagogique fondée sur l'exemple: « je prends le risque d'être moi-même, de sortir des rôles convenus, alors faites de même, ne restez pas à l'abri de votre rôle ». Voici un exemple de la manière dont ce schéma opère, dans le rapport d'une dirigeante à ses homologues masculins:

« Pour moi c’est très important de ne pas renoncer à ce qu’on est. Je pense être féminine, et avoir envie de l’être, donc je ne vois pas pourquoi je changerais. Je sens qu’il faut faire attention par rapport au côté sexy, suivant les situations, mais je dirais que pour moi ce n’est pas tellement lié aux hommes, c’est plus par rapport aux situations. (...) La première chose c’est de désarmer l’agressivité possible, de désarmer par de l’empathie. Parce que moi en fait j’aime fondamentalement l’harmonie, et je ne supporte pas le conflit, l’agressivité. (...) Ce qui fait qu’à un moment donné, quand vous arrivez à désarmer des gens, ils ne sont plus dans une relation de séduction ou de quoi que ce soit, ils sont plus dans une relation on va dire d’empathie réciproque. »

Le même type d'attention aux personnes permet de distinguer un problème humain, social ou affectif, là où les solutions techniques et cognitives avaient échoué. Ce point de vue représente une véritable leçon de management. L’efficacité d'une négociation ne consiste par exemple pas à tirer le meilleur parti de l'autre ; elle consiste à parvenir à un accord tout en bénéficiant de sa coopération ultérieure. Encore faut-il faire de cet échange un moyen d'écouter l'autre, en « compréhension » (en se mettant à sa place pour partager sa logique). Et cette posture s'oppose point par point à celle d'un technocrate. Un dirigeant autodidacte se trouve ainsi confronté à ses directeurs (ses « collaborateurs ») issus des meilleures formations, qui mobilisent une conception étroitement utilitariste et stéréotypée de la bonne décision, alors qu'il ne cesse de leur expliquer qu'une bonne décision suppose l'échange, l'attention à l'autre. Très clairement, il explique cette différence de conception par la qualité des chemins respectivement empruntés. Les trajectoires linéaires de ses dirigeants les rendent peu sensibles à l’attention, à la vigilance que l’empathie amène à porter à l’autre, alors que sa trajectoire discontinue suppose de mobiliser des capacités inverses. (…)

Q : Mais est-ce que ça n’est pas une ressource de venir d’un milieu populaire, de ne pas avoir fait d’études ?

Si, c’est ça. C’est sûr que le gars qui a fait l’ENA (...) il n’y a pas de doute, il a fait des études, dans 90% issu d’un milieu social, et des fois social et financier, aisé. Donc il a été préservé, on l’a préservé des rudesses de l’hiver. Après on lui dit : " Il y a des concours". Il est le meilleur, il est sélectionné, il fait partie de l’élite. Quand ce gars-là après, est au volant de la machine, comme on lui a dit qu’il était le meilleur, le meilleur pilote, qu'on lui a prouvé, qu' on lui a donné tous les postes et tout, donc il est le meilleur pilote. Et puisqu’il est le meilleur, est-ce qu’il a besoin d’écouter les autres ? »

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Extrait de "La force de la différence : Itinéraires de patrons atypiques", Presses Universitaires de France (octobre 2012)

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