Fraudeurs fiscaux : la réapparition de la liste Lagarde va-t-elle faire basculer la Grèce dans la guerre civile ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le parquet grec vient d'adresser au Parlement une liste d'individus soupçonnés d'évasion fiscale.
Le parquet grec vient d'adresser au Parlement une liste d'individus soupçonnés d'évasion fiscale.
©Flickr / Images_of_Money

Exaspération

Après des mois de polémique, le parquet grec vient d'adresser au Parlement une liste d'individus soupçonnés d'évasion fiscale à partir de données fournies par les autorités françaises.

Joëlle Dalègre

Joëlle Dalègre

Joëlle Dalègre est maître de conférences à l'INALCO, spécilisée en civilisation de la Grèce. Elle est notamment l'auteur de La Grèce inconnue d'aujourd'hui, de l'autre côté du miroir, l'Harmattan 2011, 252p. En collaboration avec 4 doctorants ou docteurs de la section grecque de l'INALCO.

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Atlantico : Les autorités avaient prétendu avoir perdu la « liste Lagarde » originale, et ont demandé au ministre des Finances, Yannis Stournaras, de la réclamer à nouveau à la France. La Grèce était déjà aux prises avec la crise et des scandales de corruption. L’arrivée de la liste Lagarde des fraudeurs fiscaux au Parlement va-t-elle faire basculer la Grèce dans la guerre civile ?

Joëlle Dalègre : La guerre civile, au sens propre du terme, cela semble peu probable : les Grecs ont connu une guerre civile sauvage entre 1945 et 1949 dont les conséquences et traumatismes sont encore vivants. Le fait que chaque jour ou presque des mécontents manifestent autour de Syntagma, que quelques dizaines de furieux cassent n'importe quoi, ne fait pas une guerre civile.

Le plus grand danger est, à mon avis, le développement de l'anomie, c'est-à-dire, obéir à la loi quand elle vous convient, et surtout n'obéir qu'à ses propres règles coutumières en méprisant le reste, ainsi payer les impôts prélevés à la source sur salaires et retraites, la TVA inévitable au taux maximal (2 euros le litre d'essence quand même) et les impôts joints à la note d'électricité et c'est tout. Pour le reste, le Grec moyen est davantage préoccupé par le système D quotidien, des petits boulots de quelques heures ou semaines non déclarés, des échanges de services non monétarisés entre parents, voisins, amis ou même rencontres d'internet, la découverte des lieux où les agriculteurs apportent des camions de produits à bas prix, le bois à ramasser pour les poêles, les queues à l'EDF pour obtenir report ou fractionnements des paiements...


C’est devant la montée de la colère des Grecs contre une nouvelle série de mesures d'austérité, que le gouvernement a décidé de se procurer la fameuse liste. Paradoxalement, la focalisation de l’attention de l’opinion publique sur cette liste ne détourne-t-elle pas l’attention de la crise et des mesures d’austérité ? La prise en main de ce dossier par le gouvernement grec est-il une façon de détourner l’attention ?

En réalité je l'ignore, ça pourrait être une bonne façon à condition qu'aucun membre du gouvernement en place ne soit compromis  (Samaras doit le savoir, j'espère) car dans l'affaire le gouvernement joue gros. Son équilibre ne tient qu'à un fil, ses deux alliés renâclent car ils savent que les mesures ne plaisent pas à leurs électeurs et Samaras n'est pas majoritaire à lui seul ; par ailleurs, s'il perd ses alliés, de nouvelles élections d'après les sondages, donneraient la victoire au Syriza et encore plus de voix à l'Aube Dorée. L'actuel gouvernement semble avoir un peu convaincu l'Europe de sa crédibilité pour la première fois, donc en cas contraire... Le nouvel accord, allongement de la durée des prêts et baisse des taux d'intérêt donne un peu d'air au pays, une crise politique serait mortelle

Les fraudeurs fiscaux répertoriés risquent de ne pas être punis car en l’espace de deux ans, ils ont eu le temps de clôturer leurs comptes ou de les transférer. De plus, les hommes d'affaires résidant à l'étranger  ne peuvent pas être atteints par la justice de leur pays. Comment cette affaire peut-elle trouver une issue politique et judiciaire dans ces circonstances ?

Les hommes d'affaires résidant et travaillant à l'étranger ne risquent rien de toute façon, par ailleurs, on avait dit que la liste obtenue par des voies non légales n'était pas utilisable juridiquement... Les + grands risques sont évidemment ceux que courent les politiques ou les grands médecins dont les activités s'exercent en Grèce et qui auraient du mal à justifier l'origine de ces fortunes mais, à moins d'être idiots, ils ont eu le temps d'y penser, j'ai cru comprendre que des agences immobilières londoniennes s'étaient spécialisées dans la clientèle grecque... J'avoue ne pas croire qu'une issue juridique soit possible et quant à l'issue politique... les anciens ministres PASOK et du gouvernement. Karamanlis sont déjà grillés, ils ont déjà reçu des yaourts et des tomates, même les peines de prison peuvent se racheter en Grèce, donc...

La mère de l’ex-Premier ministre grec Georges Papandreou figurerait en bonne place sur la liste. Son compte s'élèverait à 550 millions d'euros, d’après la presse hellène. M. Papaconstantinou et son successeur, Evangelos Venizelos, accusés d'avoir omis d'ordonner des enquêtes sur la liste, devraient faire face à une enquête parlementaire, et éventuellement, à des accusations criminelles. Cela ne va-t-il pas contribuer à discréditer la classe politique et provoquer un raz-le-bol ?

La mère de Papandréou n'est pas grecque, rien à craindre, sinon les questions sur l'origine de cette fortune, mais le fils est déjà politiquement mort, alors... Le plus grand risque est Venizélos, car cela ramène au risque de voir le gouvernement s'effondrer. D'autre part, on peut dire que les gens ne croient plus en leur gouvernement, ils savent ou croient tous savoir qu'il n'a aucune liberté de manœuvre et se contente d'appliquer les ordres de la Troika, alors, le risque est juste d'encourager les millions de petits fraudeurs à persister ou faire plus avec une bonne excuse.


Cette crise sera-t-elle l’occasion pour la Grèce de faire la lumière sur des pratiques de fraude très répandues dans le pays depuis des années et à mettre fin au système de corruption ?

Là, j'ai de gros doutes, à l'égard de la Grèce et des systèmes corrompus en général, on fait toujours semblant de croire qu'en se débarrassant de quelques moutons noirs, le système est blanchi, les Grecs ne découvriront pas la corruption de leurs politiques, ils en parlent depuis toujours. En tout cas cela fait parler la presse grecque et les médias en attendant de connaître la "vraie liste".

Propos recueillis par Julie Mangematin

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