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L'esclavage est loin d'avoir disparu.
L'esclavage est loin d'avoir disparu.
©Reuters

Abolition

L’esclavage a été aboli dans quasiment tous les pays du monde. Il est pourtant loin d’avoir disparu. Le phénomène est-il aujourd’hui plus important qu’hier ?

Sylvie  O’Dy

Sylvie O’Dy

Sylvie O’Dy est présidente du Comité contre l’esclavage moderne (CCEM). Journaliste pigiste, elle a été rédactrice en chef de Glifpix (site de journalisme contributif), elle a également travaillé pour les groupes Bayard et Prisma ainsi que pour l’hebdomadaire L’Express.

Elle est l’auteur de Esclaves en France aux éditions Albin Michel (2001), préfacé par Robert Badinter.

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En Inde, alors que la classe moyenne représente 30% des 1,2 milliard d’habitants, de plus en plus d’aides domestiques sont réduites à l’esclavage. Les abus sur les migrants issus d’Afrique, du Moyen-Orient et d’autres régions de l’Asie du Sud sont de plus en plus fréquents.

Tant qu’il n’y aura pas de régulation pour régir les agences de placement de travailleurs domestiques, trafiquants et employeurs pourront continuer à agir en toute impunité. Selon un article de l’agence de presse Reuters, les aides domestiques en Inde sont estimées à 90 millions de personnes.

Si aucun chiffre fiable n’est disponible quant au nombre de travailleurs victimes de trafic, le gouvernement estime que 126 321 enfants ont été sauvés de la servitude en 2011/2012, soit une augmentation de 27% par rapport à l’année précédente. Selon les activistes, si l’on inclue les femmes de plus de 18 ans, les chiffres pourraient atteindre des centaines de milliers.

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Incontestablement. Dans son dernier rapport annuel, le département d’Etat américain évalue à 27 millions de nombre d’esclaves dans le monde. Pour l’Organisation internationale du travail, ce sont 21 millions de personnes qui seraient victimes du travail forcé. Et l’Union européenne considère que 5,5 millions d’enfants seraient concernés. Les économies développées compteraient au moins 1,5 millions d’esclaves.

L’esclavage constitue selon l’ONU le 3ème trafic mondial le plus lucratif. Il génèrerait ainsi entre 25 et 30 milliards d’euros de bénéfices par an dont il est extrêmement difficile de dire à qui, outre qu’il s’agit de réseaux mafieux, et quoi ils profitent concrètement.

Quelles formes l’esclavage prend-il aujourd’hui ?

On distingue :

  • l’esclavage à des fins sexuelles qui concerne des femmes et des enfants, enlevés ou/et trompés par des réseaux mafieux en vue de les prostituer. Il s’agit de la forme la plus visible.
  • le travail forcé qui concerne des personnes contraintes sous la menace d’effectuer des travaux difficiles dans des conditions dangereuses sans rétribution et étant soumises à des menaces et des violences. Les enfants réduits à la mendicité rentrent dans cette catégorie. Ainsi que l’esclavage domestique qui s’organise soit par le biais d’agences qui recrutent des domestiques aux Philippines, au Sri Lanka, en Inde ou en Afrique de l’Est  pour les pays du Proche et du Moyen Orient, soit directement, par exemple en Afrique de l’Ouest ou du Nord où de très jeunes filles, presque des enfants, sont mises en servitude. Un phénomène auquel les pays développés n’échappent pas. Ni aucune classe sociale. En France, par exemple, seuls 20% des cas de traite d’êtres humains sont le fait de personnels diplomatiques ou de richissimes nababs ;
  • l’esclavage pour dettes qui concerne les personnes qui s’endettent pour payer leur logement, des soins ou des médicaments pour leurs enfants, leur passeur etc. et qui, ne parvenant jamais à rembourser leur créancier, tombent en situation d’esclavage – situation dont leurs enfants héritent par la suite ;
  • l’esclavage traditionnel qui existe encore dans quelques pays comme la Mauritanie qui ne l’a aboli que partiellement qu’en 1981 ;
  • les enfants soldats ;
  • le trafic d’organes ;
  • les mariages serviles qui concernent les jeunes filles mariées  qui ne servent que de domestiques à la famille.

Comment expliquer cette recrudescence ?

Les candidats à une vie meilleure sont de plus en plus nombreux et de plus en plus vulnérables. Prêts à croire toutes les promesses et à tout pour trouver un travail qui les sortira de la misère, ils constituent des cibles faciles et abondantes pour le trafic d’êtres humains. D’autant que la prévention dans les pays d’origine est largement insuffisante. Difficile en effet de faire entendre à des personnes désespérées que leur sort pourrait être pire ailleurs.

Comment dans ces conditions lutter efficacement ?

Si le volet prévention est fondamental, il ne suffit pas. Il faut également assurer la protection des victimes et punir les responsables. Or le défaut de prise de conscience de l’ampleur du phénomène constitue un frein à la mise en place de politiques réellement efficaces. La France s’est dotée en 2007 d’une législation contre la traite des êtres humains qui prévoit notamment des dispositifs de protection des victimes mais elle n’est pas appliquée. Pourtant les cas ne manquent pas – on estime à plusieurs milliers le nombre de cas d’esclavage domestique sur le territoire. Le Comité contre l’esclavage moderne a aujourd’hui la charge de 123 personnes. Depuis 1999, nous avons accompagné plus de 160 procès devant toutes les juridictions. Mais les tribunaux ont tendance à considérer ces cas sous le prisme de l’emploi d’une personne en situation irrégulière et évitent de les faire entrer dans le cadre de la traite des êtres humains. Et quand ils le font, les peines sont très faibles – il y a deux ans, un couple reconnu coupable à Lyon n’a été condamné qu’à un an de prison avec sursis. Insuffisamment formés, policiers et les magistrats butent sur la difficulté pour les victimes d’apporter des preuves de faits qui se produisent bien souvent à huis clos. Et le droit français ne définit ni la servitude, ni le travail forcé. Ce qui pose problème et a valu à la France une condamnation de la Cour européenne des droits de l’Homme en octobre dernier.

Peut-être la transposition en droit français de la directive européenne contre la traite des êtres humains et les formes d’esclavage fera évoluer les pratiques notamment en termes de protection des victimes. Force est néanmoins de constater, qu’à l’heure actuelle, nos actions sont souvent plus reconnues à l’étranger qu’elles ne le sont en France.

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