Rama, Rachida, Ségolène et Cie : la mégalomanie est-elle une qualité en politique ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Rama Yade compare son bébé à un "mini-Obama".
Rama Yade compare son bébé à un "mini-Obama".
©Reuters

Question d'ego

Dans le dernier numéro de Paris-Match paru cette semaine, Rama Yade évoque sa grossesse et compare son futur bébé à un "mini-Obama".

Christian Delporte

Christian Delporte

Christian Delporte est professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Versailles Saint-Quentin et directeur du Centre d’histoire culturelle des sociétés contemporaines. Il dirige également la revue Le Temps des médias.

Son dernier livre est intitulé Les grands débats politiques : ces émissions qui on fait l'opinion (Flammarion, 2012).

Il est par ailleurs Président de la Société pour l’histoire des médias et directeur de la revue Le Temps des médias. A son actif plusieurs ouvrages, dont Une histoire de la langue de bois (Flammarion, 2009), Dictionnaire d’histoire culturelle de la France contemporaine (avec Jean-François Sirinelli et Jean-Yves Mollier, PUF, 2010), et Les grands débats politiques : ces émissions qui ont fait l'opinion (Flammarion, 2012).

 

Son dernier livre est intitulé "Come back, ou l'art de revenir en politique" (Flammarion, 2014).

Voir la bio »

Atlantico : Rama Yade vient récemment de faire la une de Paris-Match. Dans l'interview qu'elle accorde à l'hebdomadaire, elle n'hésite pas à dire que l'enfant qu'elle porte est un "mini-Obama". Faut-il y voir de la mégalomanie ou une tentative d'attirer l'attention à tout prix ?

Christian Delporte : Au-delà de la formule qui peut tout autant indigner ou être considérée comme un trait d’humour (tout dépend de là où on se place !), c’est surtout le principe de l’interview qui attire l’attention. Rama Yade n’est pas la première à médiatiser sa grossesse : Ségolène Royal Royal l’avait précédée, au temps où elle était ministre de Mitterrand. Mais l’ancienne ministre de Nicolas Sarkozy est, depuis 2007, une "bonne cliente" des médias et, qu’elle le reconnaisse ou non, une femme politique "people".

Sa grossesse faisait déjà parler dans les gazettes avant cette interview qu’on peut interpréter de deux façons. Soit, jugeant inévitable la curiosité médiatique, elle a pris les devants pour contrôler sa communication : mieux vaut se retrouver en une de Paris-Match ou de Gala que subir les paparazzis de Voici ou CloserSoit elle utilise sa grossesse à des fins politiques, jouant sur les sentiments des Français à son égard. Dans les deux cas, elle est le symptôme d’une personnalisation accrue de vie politique qui, en quelques années, a fait éclater la frontière entre vie publique et vie privée.

La mégalomanie est-elle une caractéristique du politique ?

Un homme ou une femme politique a, par définition, un ego surdimensionné. Il faut avoir de soi-même une idée hors du commun pour prétendre représenter les autres et décider pour eux. La modestie, l’effacement, la discrétion sont incompatibles avec la carrière politique. Ce n’est pas nouveau. Les grands hommes politiques, ceux que l’histoire a retenus, les Clemenceau, les Jaurès, les de Gaulle, les Mitterrand  croyaient à leur destin.

Ce qui a changé, c’est l’hyper-médiatisation de la politique. Vous pouvez être un bon ministre, travailleur, efficace, maîtrisant parfaitement vos dossiers. Mais faire ne suffit pas : il faut aussi faire savoir, en allant sur les plateaux de télévision, en vous affichant en couverture des magazines, bref en vous mettant en avant. La discrétion condamne l’homme politique à toujours jouer les seconds rôles, donc à ne jamais pouvoir décider, ne jamais pouvoir peser sur le destin de la nation.

Peut-elle présenter des vertus ? 

Elle en a, dès lors que l’homme politique est vraiment exceptionnel et que son action s’accomplit au bénéfice de tous. Mais tout le monde n’est pas Clemenceau en 1917...

Prend-elle une dimension nouvelle avec la peopolisation croissante des politiques ?

La peopolisation est caractéristique d’un temps sans grande personnalité politique. Ne pouvant incarner le destin d’un pays, ne disposant d’aucune vision d’avenir de nature à entraîner les peuples, incapable de s’imposer naturellement par ses idées et son charisme, l’homme politique s’en remet aux aléas de la sentimentalité.

La peopolisation est significative d’une époque où la politique est conduite par des hommes ordinaires, interchangeables, qui n’entraînent pas spontanément l’identification collective. Pour construire la fidélité nécessaire, il leur faut alors créer un lien sentimental avec l’opinion qui passe par l’exposition de leur vie privée. La mégalomanie politique se transforme donc par l’étalement d’une intimité factice qui ravale l’homme public au rang de vedette médiatique.

L'ultra-personnalisation peut-elle être vraiment porteuse politiquement ?

D’abord, le système médiatique et un mode d’élection dans notre pays qui privilégie l’individu (à commencer par la présidentielle) rendent l’ultra-personnalisation inévitable. Du coup, elle est source de notoriété. Si on ne vous voit pas, si vous ne passez pas à la télévision, si les médias vous ignorent, vous n’existez pas politiquement. Que l’ultra-personnalisation favorise les meilleurs, ce n’est pas sûr. Qu’elle construise les carrières politiques, c’est une évidence, à l’heure de la démocratie d’opinion.

Que révèle ce genre de comportements du rapport actuel des élus à la politique et à leurs électeurs ? Que reste-t-il de l'intérêt général ?

Que le peuple doute de l’efficience des hommes politiques tient de l’évidence. Dès lors, la peopolisation s’inscrit dans une stratégie de recherche de proximité qui tente, tant bien que mal, de compenser la méfiance généralisée à l’égard de la "classe" politique. La personnalisation n’est pas nécessairement ennemie de l’intérêt général, dès lors qu’elle ne s’arrête pas à l’ambition individuelle, mais qu’elle repose sur une vision de l’avenir partagée par la société. Ce qui manque précisément aujourd’hui, c’est la capacité de se projeter au-delà des six mois qui viennent. Cela désespère l’opinion, nourrit l’instabilité politique et pousse les hommes publics à d’abord sauver leur peau.

Propos recueillis par Théophile Sourdille

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