Fifty Shades of Grey déclenche une révolution sexuelle : le symptôme de millions de vies sexuelles rongées par l'ennui ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le France peut être considérée comme étant plus libre dans ses moeurs que le Royaume-Uni.
Le France peut être considérée comme étant plus libre dans ses moeurs que le Royaume-Uni.
©Reuters

Palliatif

Selon une enquête de Netmums.com, avant de lire le roman érotique "Fifty Shades of Grey", les femmes ne faisaient en moyenne l’amour qu’une fois par semaine avec leur partenaire, contre trois fois après. L’ennui envahit-il notre vie sexuelle au point qu’il faille en passer par un roman pour réveiller notre libido ?

Gérard Leleu

Gérard Leleu

Gérard Leleu est médecin et sexologue. Il est également écrivain et conférencier, auteur de nombreux ouvrages sur le couple et le plaisir.

 

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Atlantico : Selon une enquête de Netmums.com, avant de lire le roman érotique Fifty Shades of Grey, les femmes ne faisaient en moyenne l’amour qu’une fois par semaine avec leur partenaire, contre trois fois après la lecture (voir ici). Selon une autre enquête du site Lovehoney (voir ici), trois quarts des Britanniques déclarent que leur vie sexuelle s'est améliorée en 2012, et un cinquième d'entre eux estiment que ce revirement est dû à la lecture du roman (voir ici). L’ennui  envahit-il notre vie sexuelle au point qu’il faille en passer par un roman pour réveiller la libido ?

Gérard Leleu : Les Britanniques sont un peuple bien particulier, qui a inventé le puritanisme et qui est donc très "retro", très réactionnaire en matière de sexualité, et qui s’intéresse assez peu aux livres d’érotisme. S’ils avaient lu le Traité des caresses quand il est paru en 1983, ils auraient gagné 30 ans. L’ouvrage que vous citez est quelque peu détestable : il n’y a pas d’érotisme, c’est carrément de la pornographie, il n’y a pas d’esthétique dans la description, il n’y a aucun sens, pas de spiritualité. Il faut qu’un peuple soit très réactionnaire, tourné vers le passé et bourré d’interdits, pour que cela lui fasse de l’effet. Cela les excite peut-être, mais ce n’est pas cela qui développe le désir pour autant. Car le désir et l’excitation sont deux choses différentes.

Le sexe dans ce roman n’a pas de sens,  n’est pas érotique et ne contient aucune spiritualité, et donc fonctionne surtout sur un peuple réactionnaire, puritain et très bloqué par le protestantisme. On peut déplorer qu’ils aient mis tant de temps à s’ouvrir à l’amour des corps.

Les Français sont-ils mieux lotis que les Britanniques ?

La France est plus libre dans ses mœurs, plus tournée vers l’Orient. La femme est le sujet de beaucoup d’admiration depuis longtemps, et en dépit de notre catholicisme, nous avons toujours adoré faire l’amour et nous avons infiniment moins de blocages que les Britanniques.

La France est un pays ouvert à l’amour et à ce qui tourne autour, y compris l’amour charnel, comme l’on disait autrefois. C’est un peuple radicalement différent, avec des religions complètement différentes. La notion de pudeur au Royaume-Uni renvoie davantage à de la pudibonderie, et elle est donc un repoussoir. Nous sommes plus latins, plus ouverts, et entretenons une tradition, non pas d’érotisme car ce mot est propre à l’Orient, mais qui s'apparente à une forme de grivoiserie.

Les Britanniques ont peur ne serait-ce que du toucher. Ils ne se donnent pas l’accolade comme on se la donne. Il est inconcevable qu’un homme embrasse ou donne l’accolade à un autre homme. Ils partent de très loin. Cela est moins vrai aujourd’hui chez les jeunes, mais ils reçoivent sensiblement la même éducation dans les écoles. La tradition est liée à une phobie du toucher. La poignée de main, "shake hand", consiste à secouer la main de l’autre. La peau est davantage un objet de punition et de répression qu’un objet de plaisir. Cela ne m’étonne donc pas que les Britanniques, avec 30 ans de retard sur le reste du monde, découvrent par un livre que le corps et la peau existent. Et ce malgré le fait que ce livre manque de beauté, d’esthétique, d’adoration de la femme, d’ouverture à la spiritualité. C’est assez décevant que le public soit sensible à ce côté obscur, à la part d’ombre de la relations sexuelle, et ce y compris en France. La France n’a pas beaucoup de leçons à donner sur le plan sexuel.

L’ennui est-il le grand mal de la sexualité moderne ? Les couples ressentent-ils un trop grand décalage entre leurs fantasmes et la réalité ?

L’Occident me semble en pleine décadence sur le plan de la culture et sur le plan sexuel. Certes, les Français gardent une Tradition rabelaisienne de grivoiserie. Mais sur le plan du sens, qui fait la beauté de la sexualité,  nous sommes simplement un peu plus osés que les Britanniques. Nous n’avons pas de tradition d’érotisme, contrairement à l’Orient qui possède depuis longtemps une spiritualité, un érotisme sacré. Tout l’Occident est resté bloqué pendant 2000 ans, voire plus. La civilisation helléno-romano-chrétienne se caractérise par une chosification de la femme et un manque de spiritualité. Bien que les Grecs et les Romains étaient plus libres moralement que les judéo-chrétiens, sur le plan éthique, ils n’avaient aucune adoration pour la femme.  Libérés de la répression sexuelle du christianisme, mais n’ayant pas de tradition, nous sommes tombés dans le "x", qui a fleuri plus vite en France et plus tard en Angleterre. On est passés de l’interdit à la décadence. La situation de la sexualité en Occident est absolument déplorable, la femme et l’homme sont chosifiés, réduits à une relation d’organes, à une petite partie du sexe.

L’ennui est le maitre mot des personnes qui ont été réprimées, qui n’ont pas développé de tradition érotique. Ils s’ennuient au lit, manquent d‘imagination, et utilisent des objets, des sex toys. Qui dit pas de tradition, dit pas d’imagination, et donc mécanisation. Le fantasme peut être un auxiliaire de l’excitation érotique. Il sert à booster le désir.

N’est-il pas paradoxal de manquer à ce point d’imagination dans une société abreuvée d’images érotiques et sexuelles ?

Lorsque que vous voyez un film pornographique, vous les avez tous vus. Brigitte Lahaie (ancienne actrice de films pornographiques, ndlr) en présente un tous les jours : un objet ou un film, il y en a des milliers, mais c’est toujours le même. C’est toujours la même chose et cela se résume en un mot : la pénétration, la pénétrocratie. Pas un baiser, pas une seule caresse, pas de diversification des formes de baisers, de cunnilingus. Il n’y a rien à apprendre des films pornographiques, qui font preuve d’un grand défaut d’imagination.

L’Occident fait pâle figure en comparaison avec ce que faisaient les Chinois et les Hindous déjà 6000 ans avant notre ère et à ce qu’ils ont fait durant 6000 ans. Les livres décrivent 100 sortes de baisers, 100 façons de caresser, de pénétrer. Dans mes conférences, je trace un grand trait au tableau pour séparer la liste de ce qui à trait à l’érotisme et à la pornographie. L’érotisme est une relation, un échange entre une femme et un homme, avec non pas seulement du désir, mais aussi une relation affective qui a un sens. Cinquante nuances de Grey a aidé de nombreuses personnes à se libérer  de leur jeûne sexuel, leur jeûne de volupté, mais ils ne comprendront pas pour autant davantage à l’amour.

En tant que thérapeute, je ne me situe pas au niveau moral, mon regard s’intéresse à la question du bien-être. Faute d’être épanouis, les gens se rabattent sur autre chose : les drogues, l’alcool, les aliments. Il y a beaucoup de déceptions érotiques. Certaines personnes qui découvrent aujourd’hui ce livre ont quelques bonheurs provisoires, mais faute de relation et de sens, ils seront de courte durée.

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